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Macron en Egypte : Pourquoi Sissi n’est pas seulement un atout pour la diplomatie économique française...
©LUDOVIC MARIN / AFP

Diplomatie

Ce lundi, Emmanuel Macron a rencontré son homologue égyptien, le président Abdel Fattah al-Sissi. Le président français a profité de cette visite pour vanter les mérites du respect de l’État de droit.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Dans un récent article, commentant la visite actuelle de trois jours du président français en Egypte, l’économiste Sébastien Laye, expliquait, à juste titre, pourquoi les relations économiques et commerciales entre la France et l’Egypte étaient au beau fixe et qu’elles pouvaient être, de plus, un formidable moyen d’aider au développement et à la stabilité du pays le plus peuplé du monde arabe (près de 100 millions d’habitants !). Il avait absolument raison. Car, au-delà d’un contrat de 5 milliards d’euros signé pour la vente d’une vingtaine de Rafale à l’Egypte, et d’autres accords militaro-commerciaux, c’est dans de nombreux autres domaines que des sociétés françaises, comme par exemple Vinci, Bouygues et EDF, investissent dans le pays et contribuent, indirectement, au redressement économique bel et bien en cours du pays. 
Là où le bât blesse, c’est que la plupart de notre Intelligentsia, qui considère le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi comme le pire des dictateurs, critique l’attitude française avec « ce régime qui bafoue les droits de l’Homme ». Cette polémique évoque à elle seule les limites de notre politique dans la région et dont les deux piliers sont la diplomatie des contrats commerciaux et la diplomatie de l’émotionnel.  
En effet, dès la fin de la guerre d’Algérie, c’est avec des personnages comme le général Catroux et surtout, Maurice Couve de Murville, les deux principaux conseillers de De Gaulle pour le monde arabe, que, sous couvert d’une nouvelle « politique arabe » française, cette « diplomatie des contrats commerciaux » s’est véritablement développée et a perduré jusqu’à nous. Souvent au prix de concessions humiliantes et d’une perte notable d’influence dans la région. Parallèlement, depuis quelques décennies, nous avons par ailleurs doublé cette « diplomatie économique », d’une « diplomatie de l’émotionnel ». Diplomatie de l’émotionnel toutefois à géométrie variable, puisque pour quelques marchés, justement, nous cessons alors nos leçons de morale et fermons les yeux, par exemple, sur les régimes des pays du Golfe, qui sont pourtant loin d’être des paradis démocratiques ! Pire, nos positions hasardeuses sur la Syrie ou le Liban, par exemple, sont aussi le fruit amer de nos liens commerciaux avec nos clients des monarchies du Golfe.
Au final, notre diplomatie économique et de l’émotionnel s’entrechoquent parfois et notre pays, dans le monde arabe, est à présent discrédité et considéré comme une petite puissance hautaine et moralisatrice mais qui dans les faits, n’est qu’une marchande de canons prisonnière de ses actes par ses riches clients du Golfe.
Sissi, le premier, ne s’y était pas trompé et avait parfaitement intégré cette faille française. Ainsi, dès sa prise de pouvoir musclée en juillet 2013, le chef de l’armée égyptienne a très vite compris que pour faire taire les critiques françaises sur ses atteintes aux droits de l’Homme, il fallait agiter un chéquier sous le nez des diplomates du Quai d’Orsay !

Hier, au Caire, lors de la conférence de presse avec son homologue égyptien, le président Macron a eu raison d’être très prudent lorsque la question des « droits humains » a été abordée. Or, il faudrait tout simplement que nous cessions, une bonne fois pour toute, nos discours moralisateurs, notre ingérence politique, notre « fondamentalisme démocratique et droit-de-l’hommiste » hypocrite pour leur préférer enfin, un réalisme géopolitique généralisé !
D’ailleurs, qui sommes nous, nous Occidentaux, pour juger et donner encore une fois des leçons de morale ? Surtout nous Français, puisqu’il nous aura fallu trois révolutions et cinq républiques afin de parvenir à une démocratie encore bien imparfaite et qui plus est, quotidiennement émaillée par diverses affaires de corruption et à présent, traversée par une crise politique et un mouvement social plus profonds que certains ne le pensent... 


Sissi une chance pour le commerce franco-égyptien ? Pas que...

Pour en revenir à l’Egypte, rappelons que le chef d’Etat égyptien n’est pas qu’une chance pour les relations commerciales entre Le Caire et Paris. 
D’abord, Sissi, par une habile et intense activité diplomatique, est en train de redonner à l’Egypte toute sa place dans le monde arabo-musulman. Partenaire privilégié des Occidentaux dans le renseignement et la lutte contre le terrorisme jihadiste, le président égyptien est devenu également incontournable dans la résolution des conflits régionaux : Libye, Syrie, conflit israélo-palestinien et demain au Soudan...
D’autre part, même si cela fait froid dans le dos à quelques « savants » et à certaines belles âmes, habitées par des idéologies surannées et par un « antisissisme » primaire, il est important de noter que Sissi reste, malgré tout, très apprécié par la grande majorité des Égyptiens. Même au Maghreb et au Proche-Orient, après plus de 8 ans de drames et de tragédies et aussi étonnant que cela puisse paraître, il est, avec le syrien Assad, le chef d’Etat le plus populaire dans les rues arabes !
De fait, à l’inverse des discours de certains idiots utiles de l’islam politique et des Frères musulmans et en dépit de ce qu’ils veulent encore nous faire croire, les aspirations démocratiques, sont plus que jamais secondaires. Echaudées par les exemples irakien, syrien et libyen, beaucoup ne rêvent à présent que de sécurité et sortir du marasme économique faisant suite aux Printemps arabes. Rêver ne dure qu’un temps. À présent, se nourrir, travailler et vivre dignement, quitte à subir de nouveau le joug d’une dictature, sont les seules priorités. Que cela nous plaise ou non, c’est ainsi !
Du reste, il est important de rappeler ici aux bien-pensants, que si le maréchal Sissi et son armée n’étaient pas intervenus en 2013 pour renverser le président issu des Frères musulmans, Mohammed Morsi, avec force, violence, mais aussi avec un certain savoir-faire, l’Egypte serait devenue, sans aucun doute et dans le meilleur des cas, une dictature islamiste implacable avec une économie en faillite ou, au pire, l’Algérie des années 1990 ! 
Quant à la « guerre contre le terrorisme » menée par Le Caire, la plupart des commentateurs et des observateurs déclarent que c’est un formidable échec. En effet, depuis 2014, des attentats réguliers secouent l’Egypte et l’insurrection jihadiste dans le Sinaï perdure.
Pour autant, au regard du contexte régional, de la taille du pays, du nombre de ses habitants (près de 100 millions), du poids et du nombre des Frères dans le passé, de la pauvreté et de la fréquence des attentats, nous pouvons dire que la situation reste, pour l’instant, relativement sous contrôle.
Enfin, certains de mes collègues, estiment, plus par idéologie que par honnêteté intellectuelle, que c’est cette répression qui seule alimente le terrorisme. Mais c’est absurde. J’en veux pour preuve l’exemple de la Tunisie post-Ben Ali, où le « printemps arabe » a relativement « réussi » pacifiquement mais ne l’a pourtant pas empêché, ces dernières années, d’être touchée par les attentats les plus sanglants de son histoire…

Soyons sérieux ! Nous sommes en Orient alors arrêtons d’appréhender naïvement cette région avec le prisme de notre éthique, de notre normalité, de nos valeurs ou pire, de nos idéologies !
Pour l’heure, le président égyptien Sissi a senti le vent du boulet : dictateur sûrement plus impitoyable que ses prédécesseurs, il semble demeurer néanmoins (et pour l’instant), honnête et intègre, avec un sens du bien commun inédit chez ses aïeux. Certes, il a encore du mal à réformer de fond en comble l’économie archaïque de son pays. Toutefois, la volonté est bien réelle. De plus, fait sans précédent historique dans cette partie du monde, on ne peut qu’observer objectivement sa détermination farouche de combattre toutes les formes de trafics et la corruption qui gangrènent son pays depuis des décennies (en effet, depuis 2014, plus de 1 400 procès de corruption au sein de l’appareil de l’Etat -pots-de-vin, gaspillages et détournements de fonds publics- ont eu lieu et de hautes personnalités, dont notamment un ex-ministre de l’Agriculture et l’ancien patron des douanes égyptiennes, ont été sévèrement condamnées).
En définitive, même si la démocratie devra encore attendre, le redressement socio-économique du pays reste donc le grand défi.
Par-dessus tout, actuellement, dans le monde arabe, Sissi est le fer de lance contre l’islam politique (grande répression contre les Frères musulmans et discours historique à Al-Azhar en décembre 2015). A l’inverse des autocrates d’antan, Sissi a compris qu’il fallait cesser les jeux troubles du passé entre les différents pouvoirs et les Frères musulmans ou autres salafistes. Certes, la réforme de l’islam, tant souhaitée par le président égyptien, reste cependant ardue : les conservateurs d’Al-Azhar résistent et le raïs est même parfois obligé de leur donner des gages. De toute évidence, n’en déplaise à certains, les « Gay Pride » dans les rues du Caire ou d’Alexandrie ne sont pas pour demain ! 


Quoi qu’il en soit, aujourd’hui tous les pays arabes, à l’instar justement de l’Egypte de Sissi, ont pris conscience du danger que représentent l'islam politique et la confrérie des Frères musulmans. Or, il est navrant de voir que la France, tout en la laissant librement diffuser ses idées, accueille toujours et fasse la part belle à cette organisation (interdite et considérée comme organisation terroriste par l’Etat égyptien depuis 2013 comme d’ailleurs par la Russie, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis). Comme il est tout aussi consternant de voir certains de nos « savants » présenter encore les Frères musulmans comme de gentils moines bouddhistes persécutés par un méchant dictateur... 
Assurément, nos dirigeants ne semblent toujours pas conscients de ce danger idéologique qui peut menacer la sécurité et la stabilité même de la France dans l’avenir. Espérons alors que le chef d’Etat égyptien parvienne à éclairer notre président sur ce grave sujet. Malheureusement, encore et toujours paralysé par notre « diplomatie économique » avec le Qatar (le pourvoyeur de fonds des Frères musulmans), il est peu probable que ce dernier l’écoute... 

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