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Une France à cran : ce clivage dur comme de la pierre créé par Emmanuel Macron autour de sa personne
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Dans la tête des Français

Dans la lignée de la séquence POP2017, Bruno Cautrès accompagne BVA pour suivre le quinquennat. Sa dernière chronique :

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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La dernière enquête de l’Observatoire de la politique nationale réalisée par BVA pour Orange, RTL et La Tribune, montre une hausse de la popularité d’Emmanuel Macron (+ 4 points, soit 31% de bonnes opinions). Après avoir stabilisé sa chute le mois dernier, cette légère remontée de popularité permet-elle à Emmanuel Macron de sortir de la saison en enfer qu’il vient de passer ? En adressant sa lettre aux Français et en lançant le Grand débat national, Emmanuel Macron a appuyé sur le siège éjectable… à quelques secondes du crash ! Éjecté en catastrophe de l’avion de l’impopularité radicale en flamme, il semble reprendre des couleurs. 
Le Président a pu atterrir et repartir sitôt au combat, mais dans quel état ? Emmanuel Macron souhaite renouer avec la méthode de la grande marche du printemps / été 2016 qui lui avait tant réussi, mais beaucoup de Français souhaitent qu’il modifie le plan et la direction de départ. La grave crise que nous avons traversée a marqué la fin du macronisme triomphal, celui qui donnait le sentiment d’invincibilité. Les gilets jaunes ont faire mettre un genou à terre à Emmanuel Macron et sa popularité en légère hausse est toujours marquée par un niveau très bas (69% d’opinions négatives). Si l’on regarde le contenu qualitatif de l’image d’Emmanuel Macron aujourd’hui, aucune des annonces et aucune des images du Président se jetant à corps perdu dans l’arène du Grand débat n’a fait bouger les lignes en fait !
Les réponses données par les Français à la question ouverte posée par BVA sur l’image du Président nous en disent long. Le répertoire des mots les plus fréquemment utilisés à propos d’Emmanuel Macron, en positif ou en négatif, semble figé et n’a pas subi d’évolution depuis le mois dernier. Reprenant la posture du candidat qui tombe la veste, remonte les manches, va « au contact », multiplie les expressions voulant incarner la proximité avec le peuple (« les enfants »), mettant les rieurs de son côté ou affrontant la contradiction, Emmanuel Macron n’a pas ménagé sa peine. Un marathonien du meeting électoral qui veut mettre KO ses contradicteurs en leur en imposant physiquement et intellectuellement. Mais les Français, même s’ils reconnaissent ces qualités athlétiques à Emmanuel Macron, doutent toujours du résultat final et beaucoup lui disent « so what ? ».
Comment expliquer cet état de l’opinion ? Un fossé, rapidement apparu au début de son mandat, n’a en fait cessé de s’approfondir entre deux grandes narrations à propos d’Emmanuel Macron. D’un côté, la narration élogieuse mais minoritaire, admirative d’Emmanuel Macron et qui le décrit sous les traits du réformateur dont la France a besoin (le mot « réforme » est cité 42 fois dans les verbatims des réponses à la question ouverte), de la jeunesse (l’adjectif « jeune » est utilisé 24 fois) et du courage (15 fois). De l’autre côté, la narration négative très largement majoritaire, celle qui le rejette en bloc voire éprouve de la détestation à son égard : les verbatims négatifs débordent de mots qui évoquent, à propos d’Emmanuel Macron, le « président des riches » (le mot « riches » est cité 120 fois !), « l’arrogance » (le mot est utilisé 49 fois), le « mépris » dans lequel il tiendrait les Français (40 fois), l’absence d’écoute. Pour beaucoup de Français, Emmanuel Macron n’est en fait qu’à l’écoute des « riches » ou de lui-même et pour certains cela revient au même.
Ces deux narrations à propos d’Emmanuel Macron sont comme deux planètes, deux « mondes », que rien ne semble plus pouvoir aligner. Au centre de cette cosmologie, Emmanuel Macron en point de mire de tout : le salut ne peut venir que de lui ou c’est par sa faute que nous vivons l’enfer. La personnalisation du pouvoir, pour le meilleur et pour le pire.
La force des mots utilisés par les Français raconte la capacité qu’aura eu le plus jeune Président de la Vème République à créer autour de sa personne un clivage aujourd’hui dur comme de la pierre. Emmanuel Macron voulait opposer le progressisme au conservatisme et être le rassembleur du premier. Mais l’interprétation qu’il en a donné tourne au clivage sur sa personne. En s’impliquant et en s’exposant autant dans le démarrage du Grand débat national, il a pris le risque d’accentuer encore ce trait. Des interrogations à propos du Grand débat national transparaissent d’ailleurs clairement à travers la discussion en ligne qu’ont eu les membres de la communauté POP by BVA : « Il y a débat, chacun peut y participer et faire valoir son point de vue. Qu'en sortira-t-il ? Nous ne le savons pas. Sera-t-il tenu compte des demandes qui finiront en tête du Grand débat ? Je ne vais pas faire de procès d'intention et je vais participer au débat. Je dois dire que je suis réservé sur ce qu'il en sortira », nous dit un retraité de la région PACA.
Décidément, plus que jamais se pose la question de l’évolution de notre système démocratique. Le coût humain de la grande crise que nous traversons est unique en Europe ; aucun autre pays de l’UE ne voit la contestation des choix du pouvoir tourner à une hécatombe de blessés, d’estropiés, de dégâts matériels et économiques. Les insultes fusent, même chez ceux qui défilent pour appeler à la réconciliation ! Ce système qui porte (tous les cinq ans) aux nues un homme destiné à concentrer sur sa personne tous les espoirs, toutes les tensions, tous les rêves, toutes les déceptions est-il si bon ? Nous en sommes plutôt fiers en France mais le reste de l’Europe nous regarde effaré par l’écart abyssal entre ce que nous montrons de nous et notre aspiration à guider l’Europe. Le débat qui s’engage pourrait être celui de la dernière chance pour Emmanuel Macron et pour un système politique qui semble à court (à bout ?) de souffle. Le fameux génie français doit se réveiller…

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