De combien de temps Emmanuel Macron dispose-t-il encore pour tenter de faire passer des réformes ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
De combien de temps Emmanuel Macron dispose-t-il encore pour tenter de faire passer des réformes ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Fenêtre de tir

Selon l’institut Markit, le secteur privé français se contracte à un niveau inédit depuis 4 ans, notamment avec un plus bas atteint par le secteur des services depuis 59 mois.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Dans de telles conditions, comment évaluer la fenêtre de tir dont dispose encore Emmanuel Macron pour réformer avant que la conjoncture ne le rattrape ?

Michel Ruimy : Emmanuel Macron souhaite poursuivre, cette année, la transformation du pays en dépit des protestations. Le programme des réformes pour 2019 est pour le moins étoffé : l’assurance - chômage, les retraites et l’Etat, qui ne manqueront pas de provoquer de vifs débats.

Au plan intérieur, déjà des difficultés apparaissent. Concernant les nouvelles règles de l’assurance-chômage, le processus a du retard, notamment à cause du mouvement des « gilets jaunes ». Les partenaires sociaux ont donc programmé deux séances supplémentaires de discussion, repoussant l’issue à la fin du mois de février. Pour les retraites, le haut-commissaire à la réforme, Jean-Paul Delevoye, qui devait initialement remettre ses recommandations en janvier-février, a finalement demandé un délai supplémentaire pour les dévoiler en mars-avril. Mais, il envisagerait une présentation du projet de loi aux parlementaires en juin voire en septembre pour éviter le contexte des élections européennes de fin mai. Enfin, pour la réforme de l’Etat, alors que les « gilets jaunes » réclament davantage de services publics, est-ce le moment opportun de présenter une réforme visant à supprimer 120 000 postes de fonctionnaires d’ici à la fin du quinquennat, en favorisant les départs volontaires, les embauches de contractuels ou la rémunération au mérite ?

Au plan économique, Emmanuel Macron ne pourra pas compter sur un environnement propice. Après une année 2017 mirifique, les performances économiques 2018 ont été sensiblement moins bonnes. En 2019, la tendance se poursuivra. Il n’y aura pas, à proprement parler, d’arrêt brutal de l’activité mais un net essoufflement pourrait être observé. Au premier trimestre, l’altération du climat des affaires et des effets probables du mouvement social des « gilets jaunes » sur l’activité économique devraient encore ralentir la progression du Produit intérieur brut. Même si le pouvoir d’achat des ménages augmente, la consommation, faute de confiance, risque de ne pas repartir aussi fort qu’attendu, le taux d’épargne devrait légèrement augmenter et le taux de chômage, stagner. Un coup dur pour l’État qui misait gros sur les mesures de pouvoir d’achat de fin d’année pour soutenir l’activité.

Or, une activité moins dynamique conduit à moins de recettes fiscales, à moins de rentrées de cotisations sociales, et à davantage de dépenses sociales. Une croissance ralentie signifierait une équation budgétaire plus laborieuse à résoudre. Donc, on peut s’attendre, pour ce premier trimestre, un environnement morose et probablement moins de ressources financières pour l’Etat. Un climat dégradé, rendant difficile la mise en œuvre de réformes, notamment celle de l’assurance chômage.

Puisque les deux réformes attendues sont celles concernant l’assurance chômage et les retraites, comment évaluer leur « faisabilité » politique dans un tel climat ?

Jusqu’à l’automne 2018, Emmanuel Macron a déroulé son programme fiscal presque sans accroc. Impôt sur la fortune, taxe carbone, CSG, baisse de la taxe d’habitation... les promesses de campagne, votées fin 2017, commençaient l’une après l’autre à entrer en vigueur. C’était sans compter sur la mobilisation des « gilets jaunes », qui a ébranlé cette trajectoire fiscale bien tracée.

Or, des points d’achoppement concernant ces réformes ont surgi. Pour ce qui concerne l’assurance-chômage, les syndicats et les organisations patronales ont été invités d’une part, à revoir « en profondeur » les règles d’indemnisation des chômeurs, notamment la durée de l’indemnisation, les montants versés, les conditions à remplir pour les chômeurs,etc. et d’autre part, à trouver - via un bonus-malus sur les cotisations patronales ou un autre dispositif - le moyen de limiter le recours abusif des entreprises aux contrats très courts, dont le nombre a fortement augmenté ces vingt dernières années.

Obtenir un accord s’annonce difficile, puisque les partenaires sociaux sont opposés au gouvernement sur des thèmes différents. Les syndicats craignent que, sous couvert de réaliser des économies, la réforme se traduise par une baisse des droits des chômeurs. À l’inverse, les organisations patronales sont opposées au système de bonus-malus sur les cotisations sociales. Donc, pour le moment, le gouvernement laisse les deux parties négocier, quitte à reprendre la main si l’accord final ne correspond pas à la feuille de route qui leur a été transmise, notamment sur l’ampleur des économies à réaliser. Cette « épée de Damoclès » pourrait inciter les partenaires sociaux à trouver un terrain d’entente.

Concernant les retraites, les Français sont en demande d’équité. L’enjeu est de taille pour le nouveau modèle social que souhaite construire Emmanuel Macron. Il s’agit de faire en sorte que chaque euro cotisé ouvre la voie aux mêmes droits, calculés selon un système de points dont le cumul permettra de calculer la pension des futurs retraités. Un nouveau système qui ne prend plus en compte les 25 meilleures années ou les six derniers mois comme c’était le cas auparavant. Contrairement aux réformes précédentes, la refonte du système de retraite n’a pas pour objectif de retrouver des marges financières en faisant varier les cotisations, l’âge de départ à la retraite ou la durée de cotisation. Son but est de refonder complètement le système - qui restera par répartition - pour le rendre plus simple, plus lisible et plus pérenne aux yeux notamment des jeunes générations. Il s’agit de mettre, à la même enseigne, salariés du privé, fonctionnaires et indépendants. Ce qui suppose de fondre les 42 régimes existants en un seul, dans lequel les règles de calcul de la pension seront les mêmes pour tous.

L’harmonisation des règles peut faire des perdants et des gagnants, sachant que la réforme devra se faire à enveloppe budgétaire constante. Jean-Paul Delevoye s’emploie à déminer le terrain depuis près d’un an car les sujets de friction sont légion, que ce soit avec certaines catégories de fonctionnaires ou avec les indépendants.

On voit donc des réformes ardues à ficeler du fait de « problèmes endogènes », qui seront difficilement mises en œuvre pour une « raison exogène », le ralentissement économique.

Quels sont les risques, entre le Brexit du 29 mars, ou la décision américaine concernant le secteur automobile européen (devant intervenir avec le 17 février), qui pourraient encore fragiliser cette fenêtre de tir ?

Le Royaume-Uni n’a pas répudié l’Europe libérale qu’il a façonnée, mais l’embryon de fédération européenne à laquelle, paradoxalement, il ne participe pas : l’euro, Schengen… Le drame européen n’est pas technocratique et ne s’appelle pas Bruxelles. Il est anthropologique. L’Europe se meurt, faute d’identité et de projet. Porté à l’origine comme un projet kantien de paix perpétuelle, les années de mondialisation heureuse et un élargissement sans fin l’auront finalement affadi et désarmé face aux défis contemporains.

En fait, le Brexit est le produit direct d’une version moderne de la trahison des élites dont David Cameron, dans sa légèreté et son irresponsabilité, s’est révélé être le facteur accélérateur. On ne joue pas impunément avec les peuples. Il restera probablement dans l’histoire de la Grande-Bretagne comme l’homme qui, pour sauver l’unité de son parti, a perdu celle de son pays.

Au-delà du choc boursier et monétaire immédiat, au-delà de l’image de confusion que l’Europe donne d’elle-même dans le monde, au-delà de l’encouragement qu’il constitue pour tous les populismes et tous les mouvements indépendantistes existants, le vote britannique peut être légitimement perçu comme un point de départ tout autant qu’un point d’aboutissement. Au final, les peuples risquent, à la fin de l’histoire, de se trouver déconcertés car la Grande-Bretagne négocie simultanément les conditions de son divorce et les modalités de ses relations nouvelles avec l’Europe. Donc, les impacts seront moindres à court terme et se verront à long terme.

Quoique moins médiatisée, la situation de l’Allemagne est plus problématique pour la France car elle est l’un de nos principaux partenaires commerciaux. L’Espagne et l’Allemagne, les deux économies motrices européennes à l’heure actuelle, sont en perte de vitesse. Si le ralentissement en Espagne reste mesuré, le coup de frein est bien plus appuyé de l’autre côté du Rhin où la croissance a été plombée par le secteur automobile. En effet, ce secteur souffre des nouvelles normes européennes anti-pollution, dont l’entrée en vigueur en automne a désorganisé les chaînes de plusieurs constructeurs, y compris Volkswagen. Ceci a pesé sur la production et les exportations du pays.

En outre, la menace d’un relèvement des droits de douane américains plane toujours sur ce secteur. Ce n’est pas qu’un épiphénomène mais le témoin de ce que sera 2019 pour l’Allemagne : un environnement international moins favorable, marqué par le ralentissement de la croissance mondiale et des tensions commerciales tous azimuts, ainsi qu’un approfondissement du mouvement de relocalisation de l’industrie. Une fois n’est pas coutume, la contribution du commerce extérieur sera négative et fera tomber la croissance à moins de 1,5%, laissant l’Europe sans réelle locomotive. Pour les entreprises françaises, les débouchés extérieurs vont se resserrer et, pour certaines, plomber leur croissance.

On voit donc un environnement économique maussade qui ne va pas mettre du « baume au cœur » à nos dirigeants, en espérant qu’il ne fera pas tomber pas de Charybde en Scylla.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !