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Revenu universel : l’Italie invente (enfin) son RMI, le Sikkim voit beaucoup plus ambitieux
©JOHN THYS / AFP

Avancée

Un petit Etat indien et l’Italie viennent de faire des annonces importantes concernant le revenu universel. Ceci n’a rien d’anecdotique. La tendance de fond est solide et mondiale.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : Que cela soit en Italie avec le revenu de citoyenneté, ou en Inde dans l'Etat du Sikkim (600 000 habitants), le concept de revenu universel s'est popularisé auprès des gouvernements au cours de ces dernières années. Les différentes réformes menées en ce sens sont-elles véritablement un revenu universel, ou s'agit-il plus d'un habillage marketing pour ces gouvernements ?

Marc de Basquiat : Considérant les blocages de la société française, il serait bien arrogant de juger avec légèreté les réformes envisagées par d’autre pays. Lorsqu’on suit l’avancée de la réflexion dans le monde, on est au contraire frappé de constater avec quel sérieux beaucoup de gouvernements cherchent des réponses adaptées aux problèmes sociaux de leurs populations. Le cas de l’Inde est emblématique. D’abord parce que le sous-continent a probablement déjà ravi à la Chine le titre de pays le plus peuplé au monde. Ensuite, parce que le Ministère des Finances indien a consacré un chapitre entier de son budget 2016-2017 à une remarquable étude sur le revenu de base inconditionnel. La sensibilité indienne (« essuyer chaque larme de chaque œil ») s’y allie avec la rigueur d’analyse de la plus grande bureaucratie du monde.

Le petit Etat du Sikkim pourrait effectivement être le premier à mettre en œuvre le revenu de subsistance universel promu par Pawan Chamling, leader du Front Démocratique du Sikkim (SDF), selon le résultat de l’élection législative prévue cette année. Le dispositif, qui doit d’abord être défini dans le détail,remplacerait en 2022 nombre de mécanismes partiels et conditionnels dont le rapport du gouvernement indien a démontré les inconvénients.

Dans le cas plus précis de l'Italie, le revenu de citoyenneté ne risque-t-il pas plutôt de produire un effet indirect de baisse généralisée des salaires, notamment en raison de la conditionnalité qui lui est associée ?

Il faut prendre conscience que l’Italie revient de loin dans ce domaine. Seuls deux pays en Europe ne disposent pas encore d’un minimum social de type RMI ou RSA : la Grèce et l’Italie. Bien sûr, les personnes qui ne parviennent pas à s’insérer par une activité économique « normale » ne meurent pas de faim dans les rues !Ils mobilisent d’autres moyens de subsistance : recours à la famille, à des réseaux d’entraide, au travail dissimulé. Mais aucun de ces moyens ne développe une saine autonomie, en termes sociologiques et économiques. Le temps passé par les personnes dans le dénuement à chercher chaque jour des combines plus ou moins légales pour leur subsistance représente un énorme gâchis, social et économique. Il est beaucoup plus rationnel que l’Etat assure à chacun un revenu minimum de subsistance. Lorsqu’on est à l’abri de l’angoisse de sa survie (personnelle et familiale), on peut commencer à construire intelligemment sa vie.

Lors de l’élection italienne de mars 2018, le Mouvement Cinq Etoiles promettait un revenu de base universel d’un niveau élevé, pour tous les italiens. Finalement, le pragmatisme a modéré ses ardeurs et le Revenu de citoyenneté, dont l’entrée en vigueur au deuxième trimestre vient d’être votée, est un dispositif beaucoup plus classique. Réservée aux familles les plus fragiles, calculée au plus près des besoins de subsistance et d’accès au logement, la prestation conditionnelle est assez similaire à ce que la France a mis en place avec le RMI il y a 30 ans.

Selon le principe raisonnable que les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets, on devrait observer en Italie une progression dynamique du nombre de bénéficiaires, une extension problématique du budget, le développement de trappes à inactivité (régulière) ou à bas salaires. Mais c’est probablement un passage obligé pour tout pays qui prend au sérieux l’article 25 de la Déclaration des Droits de l’Homme : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille ». Les effets pervers sont connus. Le Revenu de citoyenneté italien n’est qu’une étape.

Quel serait le concept le plus probant en la matière ?

Observant à distance et a posteriori la grande variété des projets plus ou moins assimilables au concept de revenu universel dont la définition est normalisée, on repère deux catégories : ceux dont le schéma est pérenne et les autres. Le premier groupe est sélectif. Il se caractérise avec un seul critère : le projet a été lancé suite au constat de l’existence d’une ressource financière pérenne. Il s’agit de l’exploitation pétrolière en Alaska et en Iran, des casinos à Macao et dans une tribu Cherokee de Caroline du Nord.

Comme nous le rappelle l’épisode « Gilets jaunes », notre pays ne détient qu’une seule ressource financière pérenne : « en France, on n’a pas de pétrole, mais on a des impôts ! ».Chez nous comme dans la plupart des pays aux systèmes sociaux développés, le revenu universel est en réalité un projet de réforme du système fiscal. C’est le seul point d’entrée qui fonctionne.

Malheureusement, lorsque le président Macron annonce un « Revenu Universel d’Activité » qui fusionnera des aides existantes, chacun comprend bien qu’il ne s’agit pas du tout d’un dispositif conforme à la définition normalisée. Rien sur la fiscalité. C’est un n-ième bricolage des dispositifs sociaux, qui occupera la technocratie mais ne résoudra absolument rien.

Nous avons souvent décrit le projet de réforme fiscale qui mène naturellement à l’instauration d’un revenu d’existence « fiscal » en France. Espérons que cette approche, inhabituelle car mêlant les dimensions de la fiscalité, du social et du familial, sera un jour comprise. C’est la seule qui permettra une simplification massive de notre complexe socio-fiscal, en protégeant et dynamisant chaque citoyen de notre pays.

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