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Ces jeunes YouTubeurs en plein burn-out
©Sam YEH / AFP

Métier sous pression

De nombreux témoignages reviennent de jeunes "influenceurs" sur Youtube souffrants d'un trouble de l'anxiété.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : De nombreux témoignages reviennent de jeunes "influenceurs" sur Youtube souffrants d'un trouble de l'anxiété. Concrètement dans quel cercle vicieux s'enferment parfois ces jeunes ? Quel est ce phénomène et à quoi pourrait-on le comparer ?

Pascal Neveu : Le phénomène des influenceurs est intéressant à analyser, déjà dans un premier temps, en regardant les chiffres et certaines études. Plus de la moitié des influenceurs ont entre 19 et 30 ans. Ils sont plusieurs milliers en France, suivis par 34% d’internautes.

Les influenceurs dans la tranche 12-18 ans ont doublé et sont passés de 9% à 17,4% entre 2017 et 2018 En parallèle la part des jeunes influenceurs a largement augmenté : les influenceurs dans la tranche des 19-25 ans est quant à elle passée de 26% à 31,7%.

Alors que les influenceurs les plus importants étaient jusqu’à ce jour des blogueurs, c’est le réseau social Instagram qui emporte la palme avec 69,2%, les blogs vivant une différence de 16% passant de 26,1% en 2017 à seulement 10,1% en 2018. Les réseaux sociaux qui suivent sont Youtube avec 7,3% des influenceurs actifs, Facebook avec 7% et Twitter avec un petit 3,9%. Les autres réseaux sociaux représentent de faibles pourcentages avec seulement 1,9% des influenceurs sur Snapchat alors que nombreux sont les jeunes qui ne jurent que par ce réseau social.

La majorité des influenceurs ont entre 1000 et 50.000 abonnés, soit 74% d’entre eux.

. 45,7% des influenceurs ont entre 1000 et 10.000 abonnés.

. 35% des influenceurs ont entre 10.000 et 50.000 abonnés

. 16.5% des influenceurs ont entre 50.000 et + de 100.000 abonnés.

Les 10 thèmes les plus abordés sont les suivants :

1) Lifestyle : 60,5%
2) Mode : 29%
3) Beauté : 27,8%
4) Voyage : 16,5%
5) Famille : 9,2%
6) Nourriture : 9%
7) Sport : 6,9%
8) Bien-être : 5,7%
9) High-Tech : 4,7%
10) Déco : 3,9%

Autrement dit, les influenceurs sont fortement sollicités par les marques qui les rémunèrent. D’ailleurs, 43,9% des influenceurs se déclarent comme étant satisfaits avec des rémunérations qui correspondent à leurs attentes. Ils sont majoritaires. Ils sont près de 69,1% à gagner de 0 à 1000 €/an,  tandis que seuls 1,3% gagnent plus de 50.000 €/an. Les chiffres dans les pays anglo-saxons sont plus importants, certains influenceurs étant suivis par plusieurs millions d’abonnés, avec des rémunérations beaucoup plus importantes, générant un business pour certains depuis 10 ans.

Une journaliste de la BBC a interviewé et suivi quelques influenceurs les plus connus au monde. Chacun, même s’il a décrit un quotidien et une vie aussi normale que la nôtre, a pourtant évoqué des périodes d’angoisse, des moments de burn-out, l’impérative nécessité de connaître le nombre de leurs followers et d’être reconnus dans la rue par eux.

L’émergence des réseaux sociaux et la capacité à se créer une « vie amicale » internationale, d’être aimé (« liké »), de se vivre à travers un compteur de « popularité », modifient la relation qu’ont ces jeunes avec leur identité, le narcissisme et le rapport à la réalité.

Le regard plongé sur ce fameux compteur, une main ne lâchant plus leur smartphone, leur vie se résume à des statistiques, à penser la prochaine vidéo, à s ‘assurer du succès du « post ».

C’est un nouveau mode de vie, une nouvelle façon de gérer une existence, forcément source d’angoisses… de part la qualité reconnue d’ « influenceur » qu’il est désormais hors de question de perdre.

Parmi les interviewés, on peut voir la jeune mexicaine Jessi, 11 ans, dont une vidéo a été vue par 135 millions de personnes. Les coulisses sont plus terribles car cette enfant ne vit plus que par ses vidéos qui lui font oublier le décès de sa mère.

Nous savons que les phénomènes addictifs sont le reflet d’un mal-être profond, d’un vide à combler, que l’on retrouve d’ailleurs fréquemment à la suite de deuils. Mais il est important de questionner l’incidence de cette vie « youtube » sur un enfant, un adolescent, un jeune adulte qui advient, qui teste son identité, se la forge, l’éprouve via des relations virtuelles, même si nous ne pouvons pas douter de l’enrichissement d’une famille et d’amis réels.

Quelles peuvent être les conséquences sur la santé mentale de ces jeunes ?

C’est justement de se retrouver dans une sorte de « quatrième dimension »… un monde séparé du réel, en tout cas des « exigences » de la vie, où tout nous échappe. Un peu comme un Trader qui ne pense plus qu’aux marchés boursiers, aux chiffres.

L’obsession voire la paranoïa peuvent guetter. D’un côté maintenir le nombre de « suiveurs », ne pas voir ses revenus diminuer, surveiller la concurrence. D’un autre côté continuer à « créer » un contenu qui ne fait pas perdre de « suiveurs ».

D’ailleurs la sémantique utilisée dit tout : Youtube… « Followers », Like… quand ce ne sont pas pouces levés ou baissés. On crée sa vie sur une chaîne virtuelle ! Pire que l’audimat d’un prime-time à la télévision ! Le documentaire de la BBC montre cette petite qui semble fuir à travers ces vidéos, ce qui est décrit par son entourage : « Elle est heureuse, on la voit sourire… », mais également un autre youtubeur qui reprenant le fameux tatouage « Love » sur ses phalanges a remplacé le O par un crucifix. Sans sombrer dans l’analyse sauvage, et ce qui est bien souligné par la journaliste, sans le moindre jugement… leur vie est ordinaire, mais rythmée par la réussite de leur prochaine vidéo, bien scénarisée.

Comment alors pouvoir sortir de cet engrenage ? 

Le cercle vicieux est créé par ces ingrédients : reconnaissance, argent, influence. Cette fameuse sensation de « pouvoir »… tant pour soi, mais aussi envers les autres. Et dépasser les seules fameuses 15 petites minutes de notoriété d’Andy Warhol. L’être humain souffre d’un mal considérable qui s’appelle l’ego. Les réseaux sociaux, les vidéos où l’on s’exhibe et pensons distiller notre savoir, devenir leader d’opinions ne sont que l’expression de cette souffrance existentielle.

Nous tous pouvons y céder, donc il n’est nul besoin de juger et encore moins condamner ces « influenceurs ».

Leur âge peut limiter l’introspection, évitant de se regarder tous les matins, ou les soirs, dans le miroir en clamant « Dis-moi qui a le plus de suiveurs ? Dis-moi combien j’ai gagné ?... ». Car nous avons besoin d’être aimé… mais pas virtuellement, même si nous cédons souvent aux chants des sirènes et certains fantasmes. Aussi, l’entourage me semble avoir un rôle à jouer. Pour autant, nous l’avons vu, entre les concours Mini-Miss, l’affaire Jordy… il est parfois aussi glorifiant et lucratif pour l’entourage de ne pas raison garder.

Souvenons-nous de toutes ces jeunes stars télé dont le parcours de vie s’est terminé de façon tragique, tant par la prison, qu’un suicide, une dépression, une addiction.

Car j’évoquais l’addiction à internet, à Youtube… En effet, une étude indienne a investigué les facteurs qui contribuent à l’addiction à Youtube. Il en ressort qu’être producteur de vidéos est plus fortement associé à des indicateurs de conduites addictives que le simple fait de consommer des vidéos. La gratification sociale semble par ailleurs être la motivation la plus importante associée à l’addiction.

La vie est un théâtre, et tant les « influenceurs » que les « suiveurs » cultivent cet art du paraître, de la détente, de moments chocs, mais également de vérités, d’alertes…

Aussi, il serait sans doute plus intéressant de travailler non pas sur la notion d’influenceurs mais plutôt de révélateurs… comme ce que la photographie nous révèle à travers un cliché… conscients de part et d’autre de ce que nous pouvons nous apporter humainement et non pas parasités par des considérations égotiques et financières.

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