Taxe à 75% : pourquoi l’échec de la seule bonne idée de François Hollande aurait dû inquiéter<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Taxe à 75% : pourquoi l’échec de la seule bonne idée de François Hollande aurait dû inquiéter
©Angelos Tzortzinis / AFP

Gilets jaunes

Qui se souvient encore de la taxe à 75% sur les hauts revenus ? Cette affaire n’est pas si ancienne, mais elle est déjà tombée dans l’oubli après avoir reçu un enterrement de première classe.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Or, le mouvement des Gilets jaunes, dont il faut rappeler qu’il a débuté par des questions fiscales, invite à relire différemment l’échec de cette réforme : ne doit-on y voir une explication de ce qui se passe aujourd’hui ? La situation serait-elle différente si cette réforme avait été menée à son terme ?

Une proposition surprise

Lorsque François Hollande a lancé cette proposition, qui consistait à prélever une taxe de 75% sur les revenus supérieurs à 1 millions d’euros, c’était pendant la campagne électorale de 2012, très exactement le 27 février. La campagne est déjà bien engagée, ce qui incite à pense que la proposition avait un but essentiellement tactique. On est en effet à un moment charnière : le candidat socialiste est en baisse (il était à 35% au début 2012, il est tombé à 28% en février) et, sur sa gauche, Jean-Luc Mélenchon est en pleine ascension. Manifestement, une partie des électeurs, notamment dans les milieux populaires, attendent des réformes fiscales ; ils veulent que les riches soient mis à contribution. En lançant cette proposition, François Hollande a trouvé la bonne parade : à compter de cette date, son score va se stabiliser jusqu’au soir du premier tour, le 19 avril, où il obtient effectivement 28%.

Mais François Hollande doit maintenant mettre en œuvre cette réforme. Le voulait-il vraiment ? Y croyait-il lui-même ? Ce qui est sûr, c’est que la mesure provoque une levée de boucliers. Une coalition se forme, dans laquelle va se retrouver tout le gratin de la société : les professions libérales, le patronat, les artistes… et les footballeurs professionnels ! Le 1er mars 2012, en pleine campagne électorale, la Ligue de football professionnel (LFP) dénonce une mesure qui, selon elle, menace de sceller « la mort du football français ». En juin de la même année, le premier ministre anglais, David Cameron, annonce qu’il est prêt à dérouler le tapis rouge pour accueillir les entreprises concernées par ce projet. En septembre, le milliardaire Bernard Arnault fait une demande de double nationalité franco-belge, ce qui est interprété comme une annonce d’un futur exil fiscal. En décembre, Gérard Depardieu prend domicile dans une riche commune de Belgique, attitude que le gouvernement français qualifie « d’assez minable ». Depardieu s’exile finalement en Russie.

Le verrou du Conseil constitutionnel

Le coup de grâce vient du Conseil constitutionnel. Le 29 décembre, la juridiction suprême rend sa décision : la taxe n’est pas conforme à la Constitution. C’est le coup de grâce. Malgré tout, François Hollande tente de sauver les apparences en annonçant une nouvelle mouture, bien plus modeste : la taxe sera payée uniquement par les entreprises (les professions libérales sont donc exemptées). Le nouveau projet est adopté en octobre. La taxe est plafonnée à 5% du chiffre d’affaires des entreprises. Elle concerne bien les salaires supérieurs à 1 million d’euros, mais son taux est limité à 50% et la taxe ne sera versée que pendant deux ans (2013 et 2014). Selon le gouvernement, elle devrait toucher moins de 500 entreprises et 1000 dirigeants ou salariés. La Ligue de foot indique qu’elle concernera 13 des 20 clubs de Ligue 1.

Mais en août, l’opposition se durcit. Le patronat réclame sa suppression et demande au passage la fin de l’impôt sur la fortune. En octobre, le football professionnel menace de faire la grève des matches, une première depuis 1972. Il y renonce quelques semaines plus tard après avoir rencontré le gouvernement. Le 29 décembre 2013, le Conseil constitutionnel valide la nouvelle version de la taxe, mais en octobre 2014, Manuel Valls indique, lors d’un déplacement en Angleterre, que le dispositif ne sera pas prorogé en 2015. Le dernier versement des entreprises est effectué début 2015. La taxe a finalement rapporté 400 millions d’euros. En juillet 2018, dans son discours devant le Congrès réuni à Versailles, Emmanuel Macron ironise sur le projet de François Hollande, qu’il accuse d’avoir fait fuir les riches.

Retour de l’histoire ?

Que peut-on retenir de cet épisode, peut-être plus important qu’il n’y paraît ? L’histoire ne se répète pas, mais il est quand même difficile de ne pas faire un rapprochement avec la période qui a précédé 1789, lorsque les projets qui visaient à taxer les propriétaires, voulus par certains responsables éclairés (Turgot, Necker ou Calonne) et mollement soutenues par Louis XVI, ont été bloqués par une alliance entre les riches et l’appareil d’Etat, avec l’aide décisive des Parlements (notamment celui de Paris). Les Parlements étaient à l’époque les tribunaux de l’Ancien régime. Les parlementaires (donc les juges), devenus en grande partie indépendants, avaient acquis suffisamment de pouvoir pour empêcher les réformes face à un roi affaibli, en proie à de nombreuses rumeurs (on l’accusait notamment de comploter pour affamer le peuple). Les réformes étant bloquées, et vu l’ampleur de la dette, le roi n’a plus le choix : il doit convoquer les Etats généraux, ces fameux Etats généraux dans lesquels on pourrait voir un Grand débat national avant l’heure.

Les élites vent debout

L’échec de la taxe à 75% était prévisible. Le projet était tellement mal ficelé qu’il est difficile de donner tort à Jean-Luc Mélenchon lorsque celui-ci a jugé « absurde » de vouloir créer deux seuils à 45% et 75%.

Il reste que la taxe était la seule mesure destinée à rendre acceptable les réformes plus difficiles. Or, le moins qu’on puisse dire est que cette réforme n’a trouvé aucun soutien dans les milieux privilégiés, tous bords confondus. Rarement les élites n’ont été aussi unanimement opposées à une réforme, depuis les milieux économiques jusqu’aux juristes en passant par les artistes et les sportifs. Tout ce que la France compte de milieux libéraux et progressistes s’est récrié. Sur France Culture, l’éditorialiste libéral Philippe Manière a qualifié la taxe de « farce », et rappelé avec un certain plaisir que, dans une déclaration privée de mai 2012, Emmanuel Macron jugeait déjà qu’une réforme de ce type ferait de la France un « Cuba sans le soleil ».

Personne n’est monté au créneau pour se faire le porte-parole des milieux modestes et justifier une réforme de ce type, quitte à proposer un autre système. Le principe même d’une réforme de ce type a totalement disparu. Emmanuel Macron est allé plus loin en réformant fortement l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Taxer les riches pour gagner la confiance

Le dédain des élites pour ce type d’imposition néglige pourtant un point essentiel : le sens profond que revêt une taxe sur les riches. Avec une taxe de ce type (comme d’ailleurs avec l’ISF), ce qui est en jeu est moins un éventuel apport financier (forcément faible) que le message qui est envoyé. En acceptant de taxer les riches, sous quelque forme que ce soit, les dirigeants politiques disent quelque chose d’essentiel : ils signifient qu’ils ne sont pas du côté des riches. C’est donc une manière de marquer une frontière entre le monde politique et le monde économique, de montrer concrètement que le premier n’est ni le complice, ni le prisonnier du second. Là où les économistes voient une attitude irrationnelle, on peut donc voir au contraire une démarche très rationnelle sur le plan politique : c’est au fond une volonté de fonder la confiance dans les élites sur une preuve tangible, laquelle suppose d’instaurer une rupture claire entre le pouvoir politique et les puissances de l’argent. En période de calme et prospérité, une telle confiance n’a pas besoin d’être étayée et confirmée ; mais il n’en va pas de même lorsque surviennent les difficultés et les tensions. Ce n’est pas un hasard si l’ISF a fait partie des revendications émises au début du mouvement des Gilets jaunes. Lancer le Grand débat national en fermant la discussion sur ce point ne paraît pas très judicieux. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !