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Pourquoi Macron, les populistes et les gilets jaunes sont tous le produit de la même vague (et pourquoi ils seraient bien inspirés de le comprendre réciproquement)
©LUDOVIC MARIN / AFP

Made in mondialisation

Quel constat explique la vague que nous connaissons actuellement ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : De Donald Trump à Emmanuel Macron, dans quelle mesure la "nouvelle donne" des dirigeants occidentaux procède-t-elle d'une même vague ? 

Edouard Husson :  Emmanuel Macron a été porté au pouvoir de manière improbable alors que les deux grands partis qui avaient structuré la vie politique française dans les décennies précédentes, la droite orléaniste et la gauche social-libérale, s’effondraient. On a parlé de « dégagisme ». Le mot n’est pas très beau. Mais il est certain que le candidat inattendu a été porté au pouvoir par une vague de rejet populaire. Ce que le gouvernement ne veut pas voir actuellement, c’est que parmi les Gilets Jaunes il y a, aujourd’hui, des déçus de La République en Marche, des gens qui ont voté Macron ! Ils sont loin d’être majoritaires mais il ne faut pas les oublier à côté des déçus du PS ou des représentants de la France insoumise et du Rassemblement National.

En fait, il y a un paradoxe. Emmanuel Macron a été porté au pouvoir par un début de révolte : et le prendre en compte, c’est voir que la France en a assez d’être dans un carcan. La faiblesse du discours de Macron, c’est qu’il s’adresse uniquement à la moitié supérieure de la société française. Et cette partie de la France qui vote pour lui, qui se sent à l’étroit dans le carcan étatiste français, ne voit pas que, malgré tout, elle s’en tire bien dans la mondialisation et arrive à vivre à l’euro ; tandis qu’une autre partie de la société française n’a pas autant de possibilités de se sortir du double carcan intérieur (l’étatisme) et extérieur (l’euro) et c’est elle qui se révolte à présent.

Ailleurs dans le monde occidental, on voit que ce sont des leaders porteurs d’un conservatisme entrepreneurial qui commencent à s’imposer, pour répondre à la crise politique du libéralisme : Orban, Trump, Salvini.  

De l'épuisement du modèle culturel post-1968 à la mondialisation en passant par la fin des idéologiques, l'illusion du progressisme ou encore par le surgissement de l'ère numérique ou , quelles sont les causes de cette vague qui frappe les démocraties libérales ? 

Un phénomène classique dans l’histoire occidentale : la fin d’un cycle historique. Dans les années 1960, le socialisme qui avait dominé le siècle précédent s’épuise. Ce socialisme était né de la Première Guerre mondiale : à l’occasion de la mobilisation totale des sociétés, les idées socialistes ont gagné du terrain, sous différentes formes : social-démocratie, communisme, fascisme, progressisme. L’encadrement des sociétés par l’Etat ne résiste pas à la poussée individualiste qui suit la Seconde Guerre mondiale. Ceci concerne aussi bien l’Occident que le bloc communiste. Ce qu’on appelle le néo-libéralisme s’impose en Amérique du Nord et en Europe, entre 1968 et 1989. Une fois qu’il est au pouvoir le néolibéralisme connaît le sort de tous les mouvements qui n’ont plus d’adversaires, il ne connaît plus de limites, il se croit tout puissant. C’est le largage de bombes dites « faucheuses de marguerites » sur l’Irak et l’Afghanistan ; la dérégulation quasi-totale de la finance ; la substitution d’un marché mondial de l’emploi aux marchés nationaux ; l’entrée sans contreparties de la Chine dans l’OMC ; le rêve abstrait d’un multiculturalisme absolu ; la mise en place par les gouvernements américain et chinois d’appareils de surveillance quasi-absolus grâce à la puissance de la révolution de l’information ; l’émergence de ces géants du numérique que sont les GAFA ou Samsung.

La France est exemplaire dans la mesure où en 1981 avait été élu, en pleine vague libérale (Thatcher, Reagan), le dernier président socialiste ; de même qu’aujourd’hui nous avons élu le dernier président néo-libéral en plein retournement conservateur. La différence entre 1983 et 2019 saute cependant aux yeux. Ce vieux fripon de Mitterrand était un homme de droite déguisé en socialiste et il n’eut pas de mal à effectuer un tournant libéral ; alors qu’Emmanuel Macron semble tout d’une pièce et, jusqu’à aujourd’hui, il ne semble pas pouvoir se résoudre à abandonner l’individualisme néo-libéral.

Quels ont été les effets produits par ce contexte, en termes politiques, culturels, économiques ou même géographiques, et qui participent à cette angoisse occidentale ? 

L’histoire de l’Occident est fondamentalement l’histoire de la montée en puissance de l’individu. L’Evangile est à l’origine de tout. Il force les sociétés fermées du paganisme à s’ouvrir ; il met en cause les institutions humaines dans la mesure où elles sont vécues comme un absolu qui enfermerait légitimement la liberté de l’individu pour en maîtriser la violence. Mais le christianisme n’est pas que libération de l’individu. Certes, c’est comme individu que l’on entre dans le Royaume de Dieu ; mais celui-ci n’est pas de ce monde : la vie terrestre doit être organisée ; l’individu chrétien sait qu’il est né dans une famille et qu’il vit et grandit en société. Il recherche une société juste au sein de laquelle il puisse préparer son salut. A partir du moment où l’influence du christianisme décline, avec les révolutions modernes, on se retrouve devant un mouvement de balancier : au lieu d’avoir un individu qui, en attendant le salut dans l’au-delà, cherche à construire une société harmonieuse sur terre, on assiste à des tentatives de réaliser le bonheur de l’individu sur terre, dont les excès sont compensés par un mouvement de balancier socialiste ou conservateur.

La dernière poussée d’individualisme, celle des années 1960-2010, a produit des inégalités comme l’Ancien Régime n’en a jamais connu. Elle a fabriqué de la monnaie apparemment sans limites. Elle a détruit la vision immémoriale de la famille. Elle a mis en cause de manière absolue la souveraineté de l’Etat, aboli les frontières, et mis en place une « liberté d’expression pour tous » sur les réseaux sociaux. Et en fait, c’est l’ensemble du corps social qui aujourd’hui réagit : le monde des dirigeants commence à regretter la liberté de parole sur les réseaux sociaux ; les entrepreneurs n’en peuvent plus de régulations décidées très loin de la réalité du terrain (un effet de la mondialisation) ; les classes moyennes voient leur pouvoir d’achat diminuer alors même qu’ils travaillent comme jamais (aux Etats-Unis, le double emploi est une réalité importante depuis vingt ans) ; le monde ouvrier a été littéralement désintégré ; et, tout en bas de l’échelle sociale, on assiste même à une forme d’anomie.

Cette description n’est pas typiquement française : je pourrais l’appliquer aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne, à l’Italie et même à l’Allemagne. Mais ce qui est typiquement français, c’est l’élection d’un président à contretemps du mouvement historique. Emmanuel Macron est comme le chant du cygne du néolibéralisme. Et la différence entre Mitterrand et lui, c’est que Mitterrand contrefaisait le chant du cygne du socialisme, Macron est le dernier des Mohicans du libéralisme.      

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