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Comment le physicien Laszlo Tisza, accusé d'être communiste en Hongrie, se réfugia en Ukraine dans les années 1930
©Solimoov

Bonnes Feuilles

Sébastien Balibar dans "Savant cherche refuge" publié aux éditions Odile Jacob relate l'histoire de la survie des scientifiques durant la Seconde Guerre mondiale. Extrait 2/2.

Sébastien Balibar

Sébastien Balibar

Sébastien Balibar est physicien, directeur de recherches à l'Ecole normale supérieure et membre de l'Académie des sciences. Il fait aussi partie du comité du Programme d'aide en urgences aux scientifiques étrangers (PAUSE)

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Les maraîchers produisent des légumes, les menuisiers des meubles, et les peintres des tableaux. Les chercheurs scientifiques, eux, travaillent à la création de connaissances. Ils produisent des articles qu’ils publient dans des revues spécialisées à condition que leurs pairs en approuvent la rigueur et l’originalité. Ce contrôle collectif est ce qu’en anglais on appelle le peer review, ou « jugement par les pairs ». Donc, avec deux articles publiés, Laszlo Tisza était devenu un chercheur en physique théorique. Sa carrière était lancée. Sauf que, deux mois après sa soutenance de thèse, il fut accusé d’entretenir des relations avec certains membres du Parti communiste hongrois. Il n’avait pas adhéré à ce parti, mais avait simplement eu le tort de renouer avec un de ses anciens camarades d’études qui, lui, était communiste. Or ce parti était interdit. Il était donc soupçonné de délit d’opinion, ce qui lui valut quatorze mois d’incarcération. Je ne sais pas comment il survécut dans cette prison mais, en 1932, à sa libération, il était devenu hors de question pour lui de trouver le moindre emploi de professeur adjoint en Hongrie. Que faire ? Il reprit contact avec Edward Teller, son ami fidèle. Teller n’avait pas chômé pendant ce temps-là. Après six mois passés à Leipzig, il était retourné à Göttingen, avait obtenu une bourse de la Fondation Rockefeller pour voyager en Europe et progressé dans ses relations avec les plus grands savants de l’époque : Niels Bohr à Copenhague, Enrico Fermi à Rome…

Teller avait aussi rencontré Lev Landau chez Niels Bohr. Quelle étonnante époque ! Ce n’était pas encore la guerre froide et la fondation américaine Rockefeller distribuait des bourses à des chercheurs hongrois travaillant en Allemagne pour aller rencontrer l’élite de la science danoise et italienne, et à des chercheurs comme Landau, travaillant en Union soviétique, pour aller visiter Rutherford, Dirac et Kapitza à Cambridge, Born à Göttingen, Heisenberg à Leipzig, et surtout le même Niels Bohr, à Copenhague en 1932 1933 ! Fondée à New York en 1913 par un magnat du pétrole – John D. Rockefeller –, cette fondation caritative souhaitait « promouvoir le bien-être de l’humanité ». Elle ne se découragea pas, même au sommet de la crise mondiale qui s’annonçait, malgré quelques errements du côté de l’eugénisme. Et la science était déjà mondialisée. Quoi qu’il en soit, Teller fit une nouvelle recommandation à Tisza, celle d’aller rejoindre Landau qui fondait un groupe de recherche prometteur en physique théorique à Kharkov, donc en Ukraine. Une récolte enfin abondante avait mis fin à la crise économique de l’URSS et à l’épouvantable famine de 1932 1933 dont on devait apprendre plus tard qu’elle avait fait des millions de morts. Quelle époque, décidément ! Enfin, Teller avait entendu dire beaucoup de bien de la manière de travailler de Landau, et cela lui suffisait. Il recommanda donc Tisza auprès de Landau, et celui-ci l’invita à participer à une conférence, à Kharkov en mai 1934. Sur-le-champ, Tisza posa sa candidature auprès de Landau pour venir travailler avec lui.

Landau l’accepta immédiatement, sans même lui faire passer l’examen qu’il infligeait habituellement à ceux qui frappaient à la porte de son école, hébergée par l’UFTI, l’Institut physicotechnique ukrainien. Cet examen, le « Teorminimum », avait une redoutable réputation, de par le niveau exigé, mais surtout à cause de la personnalité impressionnante de Landau lui-même, qui n’était pourtant pas plus âgé que les autres. À l’extérieur de la porte de son bureau, on pouvait lire : « Attention, il mord ! »

Extrait de "Savant cherche refuge" de Sébastien Balibar publié aux éditions Odile Jacob

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