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Marine Le Pen : vent en poupe mais… tigre de papier ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Elections européennes

Invitée du 20 heures de France 2, la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a demandé la dissolution de l'Assemblée Nationale et de nouvelles élections législatives à la proportionnelle intégrale.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Le RN est annoncé comme l'un des favoris des prochaines élections européennes. Une situation qui n'est pas inédite et ne s'est pas pourtant pas transformée en réelle domination lors des dernières élections nationales. Le parti de Marine Le Pen a-t-il surmonté les faiblesses qui l'empêchaient de se positionner en parti présidentiable ?

Edouard Husson : Le plus frappant dans ce qui s’est passé depuis l’élection présidentielle, c’est effectivement cette espèce « d’éternel retour ». Le Rassemblement National remonte quasi-mécaniquement parce qu’au fond rien n’a changé dans la politique française: nous avons un gouvernement qui continue sur la lancée de ses prédécesseurs en matière de rigidité monétaire, de désindustrialisation assumée, d’absence de combat réel contre l’immigration clandestine, de refus de réformer en profondeur l’Union Européenne, de recentralisation à l’inverse des besoins de l’époque; et donc la partie de la population française qui culturellement, socialement, économiquement, politiquement, se sent abandonnée et méprisée depuis de longues années, continue à porter un certain nombre de ses intentions de vote vers le Rassemblement National. En face de la persévérance de la classe dirigeante dans l’insoutenable légèreté de l’être politique qui la caractérise depuis bientôt un demi-siècle, le parti de Marine Le Pen ne donne pas pourtant pas l’impression d’avoir tiré les leçons du fiasco de 2017. Les changements n’ont été que superficiels: Florian Philippot est parti mais pas la tendance au repli sur soi, à l’opacité des décisions, à l’incapacité aux alliances qui caractérise le Front National version Marine. 
Le changement de nom n’a pas eu de conséquence dans la réalité. La présidente du parti ne semble pas avoir progressé en fait dans sa capacité à rassembler. Or, comment voulez-vous avoir une chance de devenir présidentiable sans une disposition à faire venir autour de vous des talents différents et complémentaires? L’entretien accordé par Marine Le Pen à Valeurs Actuelles est très révélateur: au lieu de tirer les conséquences du grand ratage que fut sa prestation au débat, la présidente du Front National reproduit les erreurs qui l’ont empêché, et qui l’empêchent toujours, de devenir le centre de gravité d’une recomposition de la droite. Aucune reconnaissance vis-à-vis de Nicolas Dupont-Aignan qui lui a tendu la main entre les deux tours de la présidentielle; en revanche Marine Le Pen révèle qu’elle possède éminemment l’un des principaux défauts de la droite française, la fascination pour la gauche et l’incapacité à faire alliance à droite: elle continue à être fascinée par La France Insoumise et ne fait rien pour donner envie aux électeurs LR de voter pour elle. Enfin, elle continue à être, sur l’Union Européenne, d’une naïveté désarmante: naguère elle voulait sortir de l’euro; à présent elle semble croire que les prochaines élections européennes, et le probable succès de forces eurosceptiques, vont conduire à faire gérer la monnaie unique dans l’intérêt des peuples. 

Culturellement, quels sont les obstacles en France qui empêcheraient une droitisation à l'italienne ?

Qu’entendez-vous par droitisation? Si cela signifie l’abandon de l’utopie et le retour au réel, la droitisation est souhaitable. Mais vous voyez bien qu’il n’y a pas grand monde dans la politique française qui ait le courage d’être de droite. C’est une caractéristique de notre culture politique depuis la Révolution française: on trouve toujours chic d’être à la gauche d’une force politique. En revanche, être plus à droite qu’un tel mais, cher ami, êtes-vous bien sérieux? Marine Le Pen est elle aussi atteinte de ce syndrôme. Les journalistes de Valeurs Actuelles lui proposent de réfléchir au beau mot de conservatisme. La préservation du patrimoine religieux, spirituel, intellectuel, politique français; le retour de la classe politique à un instinct de conservation pour le pays; la transmission d’un capital, au sens économique et au sens culturel du terme: il y a de multiples manières d’aborder cette question. Il y a l’aspect tactique - la présidente du Rassemblement National n’a toujours pas compris que le seul avenir utile pour son mouvement et pour le pays, est la contribution qu’elle pourrait apporter à une alliance des droites, à une réconciliation entre la droite entrepreneuriale, la droite conservatrice et la droite populaire. Il y a aussi l’aspect plus fondamental, existentiel, de notre capacité à préserver ce que nous voulons voir adopter par d’autres. La présidente du Rassemblement National est inconséquente: d’un côté elle se plaint que la machine à intégrer française soit cassée; et de l’autre elle adhère à la tendance historiquement suicidaire de la droite française de ne pas s’assumer comme le parti de la protection et de la transmission. 
Je vous répondrai donc ironiquement qu’effectivement il n’y a pas de risque de droitisation à l’italienne en France. Nous sommes très loin, visiblement, de trouver dans le Rassemblement National un parti qui ait, comme la Ligue échappant à son régionalisme pour se mettre à préserver l’unité italienne, une capacité à sortir de l’enfermement politique d’origine; nous sommes à des années-lumière d’assister à l’émergence d’un conservatisme populaire qui ne se complaise pas dans un anti-élitisme de comptoir. La façon dont la Ligue a su transformer l’énergie du mouvement Cinque Stelle et de celui des Forconi en une coalition politique capable de gouverner en réconciliant une partie du monde dirigeant et l’Italie périphérique est très loin d’avoir fait école dans le parti de Marine Le Pen. 


La martingale politique "rempart contre le RN" ne fait-elle pas injure à la perception plus rationnelle qu'émotionnelle qu'ont les Français des conséquences qu'impliquerait l'élection de Marine Le Pen ?

Etre critique, rationnellement, vis-à-vis de Marine Le Pen, n’empêche pas de trouver absolument scandaleux le manque d’indignation qui a suivi, dans la classe politique, la diffusion du clip de Médine et Booba où l’on voit des enfants brûler une effigie de la présidente du Rassemblement National. Quand il s’agit de la droite, l’émotion artificiellement entretenue par le système politico-médiatique est à sens unique, toujours négative. Les néo-individualistes qui ont dominé la politique et la culture occidentale depuis un demi-siècle sont devenus des automates, incapables d’éprouver la moindre empathie quand un député allemand se fait sauvagement tabasser par des individus cagoulés, sous prétexte qu’il est de l’AfD. On est légitimement choqué quand on voit des Gilets Jaunes reproduire sur une marionnette représentant Macron le plus grand et plus stupide crime politique de notre histoire, l’assassinat de Louis XVI; mais on oublie de l’être quand des pseudo-artistes pratiquent une immolation par le feu symbolique vis-à-vis de Marine Le Pen ! 
Je crois que vous avez raison, le peuple français est, dans son tréfonds, beaucoup plus rationnel qu’émotionnel quand il refuse d’envisager que Marine Le Pen puisse s’installer à l’Elysée. Elle ne possède pas la largeur de vues ni la capacité à rassembler nécessaire à la fonction. Elle ne donne pas l’impression de vouloir apprendre ni se remettre en question. Il ne s’agit pas seulement d’elle: le parti veut aller en solitaire aux élections municipales, faisant le contraire de ce qui est nécessaire. Aux européennes, il vaut mieux plusieurs listes, et Nicolas Dupont-Aignan a raison sur ce point. En revanche, aux élections municipales, il faut être dans une logique d’alliances et de réseaux ouverts, en vue du second tour. Le Rassemblement National n’a pas l’air très bien parti pour cela. 

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