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Plus cinq points de popularité : comment Emmanuel Macron vient de se prouver qu’il avait tort en disant qu’on n’achète pas la popularité
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Gilets jaunes

Fin septembre 2018, interrogé en marge du One Planet Summit, Emmanuel Macron, en mal de popularité, dénonçait une pratique de « l’ancien monde » affirmant que « la meilleure façon d’être haut dans les sondages est de donner de l’argent aux gens ».

Bruno Jérôme

Bruno Jérôme

Bruno Jérôme est économiste, maître de conférences à Paris II Panthéon-Assas.

Il est le co-fondateur du site de prévisions et d'analyses politico-économiques Electionscope.

Son ouvrage, La victoire électorale ne se décrète pas!, est paru en janvier 2017 chez Economica. 

Bruno et Véronique Jérôme ont aussi publié Villes de gauche, ville de droite: trajectoires politiques des municipalités françaises 1983-2014,  Presses de Sciences-Po, 2018, en collaboration avec Richard Nadeau et Martial Foucault.

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Véronique Jérôme

Véronique Jérôme

Véronique Jérôme est maître de conférences en sciences de gestion à l'Université de Paris-Sud Saclay, Docteur HDR en sciences économiques de l'Université Paris-I, lauréate de la Bourse Louis Forest de la chancellerie des Universités de Paris et chercheuse associée au Largepa de Paris II. 

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Bruno Jérôme est économiste, maître de conférences à Paris II Panthéon-Assas.

 

 

Bruno et Véronique Jérôme ont aussi publié Villes de gauche, ville de droite: trajectoires politiques des municipalités françaises 1983-2014,  Presses de Sciences-Po, 2018, en collaboration avec Richard Nadeau et Martial Foucault.

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Les retombées de la crise des Gilets Jaunes nous conduisent naturellement à nous demander s’il suffisait au Président de redistribuer (de l’argent) pour être plus populaire. Les résultats du dernier sondage Ifop Paris-Match, et peut-être ceux à venir, semblent accréditer cette thèse. Mais l’effet peut s’avérer être de courte durée car, comme nous allons le montrer, au final, on ne décrète pas sa crédibilité.

La popularité boussole de l’exécutifet manipulation de l’économie

Il y a quatre décennies déjà que l’économiste suisse Bruno Frey, tenant de la théorie des Choix Publics,a cherché les réponses à ce sujet, à l’aide de son modèle dit « politico-économique ».Pour lui, la cote de popularité des gouvernants est,bien qu’ils s’en défendent toujours,leur boussole. Il s’agit en somme du baromètre qu’ils utilisent pour apprécier l’effet des résultats de leur politique économique sur lejugement des électeurs[1]. La popularité dépasse le simple sondage dans lequel elle s’exprime, dès lors qu’elle s’interprète comme la mesurede la crédibilité que stockent les gouvernants. Lorsque leurstock est excédentaire par rapport à une moyenne de long terme, les politiques ont tout loisir d’accentuer la nature partisane ou discrétionnaire de leur politique économique (de façon schématique, la droite préférant baisser les impôts quand la gauche donne la priorité à la redistribution). En cas de déficit de crédibilité,les gouvernants sont contraints de « réagir» et de mobiliser l’instrument de la dépense publique[2]. En faisant le choix de mesures redistributives comme les subventions, les prestations,la hausse des salaires, ilsespèrent restaurer leur popularité et avec elle, leur stock de crédibilité. Ils peuvent développer cette stratégie opportuniste tout au long de leur mandat et ainsi, ils manipuleraient l’économie dans l’espoir d’être réélus, comme l’expliquait William Nordhaus, disciple de Samuelson et père du « cycle économique électoral (political Business cycle) ».

Mais ceci ne vaut qu’à deux conditions : (1) que les agents économiques-électeurs soient « myopes » et fassent des anticipations peu sophistiquées. Ou dit autrement,qu’ils ne voient pas la manipulationet ses conséquences néfastes pour l’économie en général et pour eux-mêmes en particulier ; et (2) que la manipulation de la politique économique donne des résultats certains et visibles le jour « J ».

Les gains de la manipulation de l’économie semblent aléatoires…

Plus de quarante ans après, ces travaux théoriques etcette vision quelque peu « cynique » de l’exercice du pouvoir peuvent paraître caricaturaux tant les agents économiques sont de mieux en mieux informés (grâce aux réseaux sociaux, aux chaines d’information en continu, aux contenus du web…),de plus en plus réactifs et simultanément de moins enmoins « manipulables ».

Par ailleurs, il faut tenir compte des délais d’ajustement. Ainsi, à an d’une élection, un Président, peut toujours tenterde mobiliserdes moyens pour inverser la courbe du chômagesoit par une relance budgétaire, soit de façon plus artificielle à l’aide de contrats aidés. La mesure, pour être efficace, demandera du temps et pourrait très bien produire des résultats,mais parfois, le sortant a été éliminé et l’opposition se retrouveau pouvoir en plein état de grâce !C’est pourquoi, face à des électeurs sceptiques, désenchantés qui ne croient plus à la sincérité des annonces gouvernementales[3], toute manipulation de l’économieparaît très aléatoire pour qui en abuserait.

Mais cela peut agir sur la popularité à court terme

Mais cela n’arrête pas les politiques qui persistent dans la «manipulation» de l’économie, tout en le niant le plus souvent. En témoignent le saupoudrage budgétaire et l’augmentation des prestations, quasi systématiques, à destination d’une « clientèle » en période préélectorale. En un mot, le politique estime parfois qu’il peut « acheter » non seulement sa réélection mais aussi restaurer sa popularité comme le postulait Bruno Frey.

 Et cela semblefonctionner ! Le dernier sondage Ifop pour Paris-match voit en effet Emmanuel Macron remonter à 28% de satisfaits (+ 5) et Edouard Philippe à 33% (+7). A priori, les 10 milliards d’euros (au minimum) injectés dans l’économie pour tenter de juguler la crise des gilets jaunes (et un peu aussi pour préparer les futures européennes…) permettent au Président de rebondir. Tout en restant minoritaire dans l’ensemble des Professions et Catégories Sociales (PCS), le Présidentretrouve des couleurs chez les 65 ans et plus (34% de satisfaits, +8), les artisans (+11), les professions intermédiaires (+7), et les ouvriers (20%, +8). Il remonte aussi chez LREM (92%, +5) etchez LR (35%, +3). En revanche, les professions libérales et cadres supérieurs (35%, -3), les employés (18, -1) et surtout le MoDEM (30, -14) semblent plus inquiets des conséquences futures de la redistribution d’aujourd’hui.Ainsi, après huit mois de baisse consécutifs Emmanuel Macron semblerait être en mesure d’interrompre (provisoirement ?) la dégringolade du nombre de satisfaits de son action.

Comment le gouvernement peut-il infléchir le cycle de la popularité ?

En réalité, le gouvernement conserve quelques avantagesissus de « l’ancien monde ». En dépit du transfert de la politique monétaire à la BCE et de la contrainte budgétaire imposée par les critères de Maastricht, il détient toujours une partie de la politique discrétionnaire en matière de redistribution et de subvention. Il peut ainsi user de politiques « surprise » pour tenter de provoquer un choc de demande dans l’économie. Il est par ailleurs en asymétrie d’information face aux agents économiques-électeurs, puisqu’il a pour lui l’expertisedes effetsinduits des outils de la politique économique, le contrôle du calendrier de leur mise en œuvre et la force de frappe de la communication gouvernementale à travers les effets d’annonce. Ces atouts stratégiques lui donnent assurément un « coup d’avance »à court terme, ce qui,espère-t-on, permettra de doper sa popularité et de minimiser les perteslors d’élections intermédiaires comme les européennes ou les municipales.

A plus long terme, la crédibilité, tout comme la popularité ne se décrètentpas

Mais tenter de « manipuler » l’économie à plus long terme s’avère plus complexe. Les agents peuvent d’abord corriger leurs anticipations ou leurs erreurs d’appréciation. C’est notamment le cas lorsque le gouvernement corrige par la rigueur budgétaire et la hausse de la fiscalité ce qu’il a initialement redistribué par pure tactique électoraliste.

Enfin, on ne peut pas acheter sa crédibilité, car la manipulation n’est possible que lorsqu’elle est …inutile, comme le démontre le « paradoxe de la manipulation ».[4]

Paradoxe de la manipulation et popularité

Ce concept nous dit que le politique ne peut vraiment manipuler l’économie que lorsqu’il est populaire. Or, cela n’a de chance de se produire que lorsque l’économie va bien : le gouvernement a bien géré et les résultats sont làmais,dans ce cas, point n’est besoin de manipuler puisqu’il sera corrélativement crédible et populaire. A contrario, un gouvernement impopulairea grand besoin de manipuler,mais son impopularité est la marque d’une crédibilité détruite. Dans ce cas, il est presque impossible de faire adhérer à nouveau les agents aux mesures prises (quand bien même elles seraient sincères).

On l’a souvent martelé[5], la crédibilité tout comme la popularité ne se décrètent pas. Elles se construisent dans le temps sur des résultats tangibles, et ressentis de tous, ce qui participe à la construction de la réputation du politique.

Tenter de manipuler l’économie par des mesures de pouvoir d’achat opportunistes ou des effets d’annonce non sincères, touten clamant l’inverse, reste contreproductif, car cela précipite le politique dans la spirale infernale de la défiance (ce que nombre de gouvernants ont expérimenté sans que cela ne serve de leçon à leurs successeurs). Tout au mieux, une redistribution « tactique » ne fera-t-elle que freiner la chute sans vraiment l’arrêter. A terme, celle-ci aura de surcroît un coût budgétaire et fiscal, voire un coût social, exorbitants pour un gain politique souvent faible. Pour preuve, et à bien y penser, la relance du 10 décembre 2018 aura coûté au minimum 2 milliards d’euros pour chaque point de satisfaction gagné par Emmanuel Macron.

Jean-Paul Sartre l’avait évoqué. « La confiance de gagne en gouttes, et se perd en litres ». La popularité, pour sa part, ne saurait s’acheter, elle se mérite. Et il va falloir qu’un jour les politiques l’acceptent et l’intègrent dans leurs comportements pour le plus grand bien de leur crédibilité et de la démocratie élective.


[1] Frey modélise ceci sous la forme d’une fonction de popularité.

[2] Il s’agit de la fonction dite de « réaction » du gouvernement.

[3]En septembre 2018, un sondage Elabe, indiquait par exemple que 75% des français ne croyaient pas aux baisses d’impôts.

[4]Développé par l’économiste Daniel Goyeau en 1985.

[5] Voir Jérôme-Speziari et Jérôme (2017), La victoire électorale ne se décrète pas!, Economica

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