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Comment la réduction du nucléaire pénalise l'écologie de chaque côté du Rhin : l’Allemagne émet encore 7,5 fois plus de CO² par KWh que la France
©PATRIK STOLLARZ / AFP

Objectifs climatiques hors d'atteinte

L’Institut pour l’énergie solaire Fraunhofer ISE a publié son rapport annuel sur la production électrique allemande. Et les résultats laissent à désirer...

Jean-Pierre Riou

Jean-Pierre Riou

Jean-Pierre Riou est issu de l'Éducation nationale et s'est spécialisé dans la problématique des énergies renouvelables depuis plusieurs années. Après de nombreux échanges avec des spécialistes de la question, économistes, ingénieurs, chercheurs, experts, il a publié de nombreux articles, dans L'Expansion, la Revue de l'Institut de Recherche Économique et Fiscale (IREF Europe) et Contrepoints.

Jean-Pierre Riou tient également un blog.

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Atlantico : Le taux d'émission de CO² par kWh est bien plus élevé en Allemagne qu'en France. Que cela montre-t-il sur la transition énergétique allemande ?

Jean-Pierre Riou : L’Institut pour l’énergie solaire Fraunhofer ISE vient de publier le bilan 2018 de la production électrique allemande. 
Pour la première fois, les énergies renouvelables en auraient été la principale source, avec plus de 40% de la production totale, ainsi que l’ont titré de nombreux médias 
Les détails de ce bilan figurent ci-dessous.

Cette illustration met en évidence 3 points :
Que les énergies fossiles restent largement en tête, 
Que la production éolienne et solaire a cependant acquis une place considérable,
Que les exportations allemandes sont importantes.

La biomasse a continué sa progression et, bien qu’émettrice de CO2 et ne posant pas le problème d’intermittence, a gonflé le score du « renouvelable », qui comprend également l’hydraulique.
Et en toute logique, l’augmentation de cette part renouvelable a permis une réduction du gaz et du charbon, parallèlement à la réduction de la production nucléaire. 
Le lignite, ou charbon brun, plus polluant encore que le charbon, est resté au même niveau qu’en 2000 et conserve sa première place.

C’est pourquoi il est faux de prétendre que la réduction de la production nucléaire allemande depuis 2010 se serait accompagnée d’une augmentation du charbon et des émissions de CO2 (eq).
Mais force est de constater l’extrême lenteur de ses progrès dans ce domaine, qui place désormais les objectifs climatiques allemands hors de sa portée.

Car elle n’a pas de plan B lorsque le vent et le soleil sont couchés. 

Et c’est la raison pour laquelle l’Allemagne a opté pour les subventions à des centrales fossiles chargées de rester en réserve stratégique  du réseau sans pouvoir réduire d’un seul MW la puissance de son parc pilotable malgré de développement d’un « doublon intermittent » éolien/solaire de plus de 100 000 MW .
Cette difficulté à atteindre ses objectifs est visible ci-dessous sur l’illustration de l’évolution des émissions de son kWh, celles-ci étant encore 7,5 fois plus importantes que le kWh français en 2016, avec  440,8 g CO2/kWh contre 58,5g CO2/kWh en France. 

Le choix d'abandonner le nucléaire de façon précipitée après Fukushima montre-t-il ses limites à travers ces chiffres ? Risque-t-on d'être confronté au même problème en France ? 

L’analyse de l’évolution des mix électriques mondiaux par une étude de « Environmental Progress » avait mis en évidence le « pouvoir de décarboner »  de chaque filière de production d’électricité.
Et montré la corrélation forte entre nucléaire/hydraulique et réduction d’émission et la quasi absence de corrélation entre celle-ci et les énergies intermittentes que sont éolien et photovoltaïque.
En décidant de se priver d’une part de sa production nucléaire, qui est décarbonée et pilotable, l’Allemagne se prive incontestablement de son meilleur atout climatique.

Le choix qu’elle a fait, sans concertation avec ses voisins, de remplacer cette énergie par une production intermittente, entraîne des surcoûts considérables mais surtout met en péril l’équilibre de tout le réseau électrique européen en réduisant ses marges de sécurité et en lui imposant des contraintes vis-à-vis desquelles les États sont désormais amenés à se protéger 
Cependant l’Allemagne semble parvenir, bien que trop lentement, à réduire ses émissions.

Mais la situation est tout autre en France où le parc de production d’électricité était déjà décarboné à plus de 90% bien avant de voir la première éolienne, et notamment à plus de 92% en 1995.
Or, le rôle de la France, plus gros exportateur mondial presque chaque année depuis 1990 et dont l’électricité n’émet quasiment pas de CO2, est manifestement d’aider ses voisins à sortir des énergies fossiles grâce à la disponibilité de son parc de production lorsque les conditions météorologiques ne permettent pas aux énergies intermittentes de produire.
Au lieu de quoi, le développement éolien/solaire français fragilise plus encore l’ensemble du système sans pouvoir prétendre participer à une quelconque réduction d’émissions de CO2 d’un parc électrique qui n’en émet déjà pas. 
L’évolution de ses émissions est d’ailleurs éloquente sur ce point .

Dans combien de temps l'Allemagne sera-t-elle apte à effectuer une réelle transition énergétique et ne plus dépendre des énergies fossiles ? En quoi doit-on s'inspirer de l'expérience allemande pour notre propre passage aux énergies propres ?


Le sort du système électrique allemand et sa sortie des énergies fossiles dépendront de l’avènement de ses possibilités techniques de se passer de production de courant quand il n’y a ni vent ni soleil. 
Depuis un quart de siècle que le problème de l’intermittence de production est posé en ces termes, de nombreuses pistes de stockage continuent à être explorées sans même qu’on sache encore laquelle pourrait un jour être viable à grande échelle pour un coût acceptable par la collectivité.

Et c’est donc dans un pari bien risqué que s’est engagée l’Allemagne, qui a prévu de s’attaquer, enfin,  dès l’an prochain, à la réduction de ses centrales pilotables et qui redoute déjà des ruptures d’approvisionnement dès 2020 . 
En tout état de cause, l’Allemagne a prévu d’être la plateforme européenne du gaz à horizon 2035 et n’a pas l’intention d’en diminuer les capacités installées .

La Cour des Comptes a chiffré à 121 milliards d’euros la facture restant à payer pour les charges des seuls contrats d’énergie renouvelables électriques déjà engagés fin 2017  (plus biométhane). 
Mais par delà les coûts que représenteraient les nouvelles installations prévues, l’épreuve des faits exclut que la France remplace son parc nucléaire par des énergies intermittentes. Celles-ci n’ayant toujours pas été en mesure de remplacer le moindre MW pilotable en Allemagne.
Si l’objectif se pose alors en termes de part de production, il est nécessaire de revenir sur la notion d’énergie propre.  
Car sur le plan climatique, l’énergie nucléaire aurait tout aussi bien pu faire partie des préconisations de la Commission européenne, au même titre que l’éolien et le photovoltaïque. 
Ce qui aurait conféré à la France un avantage considérable, d’ailleurs difficilement acceptable par ses voisins. 

Mais on peut regretter que les atouts de cette filière d’excellence française aient été insuffisamment défendus lors des négociations européennes visant à préconiser les moyens supposés efficaces pour réduire les émissions de CO2.

Un rapport du Sénat datant de cette période  fait état de son inquiétude sur ce point en considérant : « Votre rapporteur constate que, en dépit des gages donnés par le Premier ministre à l'aile écologiste de sa majorité, les dissensions sur la question nucléaire persistent et se retrouvent jusqu'au niveau gouvernemental. 
Cette situation risque d'aboutir à une remise en cause insidieuse du programme électronucléaire français, et d'affaiblir la voix de la France lorsque celle-ci aura à exprimer sa position sur les questions nucléaires au sein des instances européennes. »

A en croire Pierre Bacher dans son ouvrage « Le credo antinucléaire »,  « affaiblir la voix de la France » était un euphémisme...

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