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Sauvetage de banque italienne : pourquoi l’Europe devrait s’inquiéter du fait que les populistes reviennent sur leurs propres engagements plutôt que de s’en réjouir
©AHMAD GHARABLI / AFP

A la rescousse

Malgré les violentes critiques de l’actuel gouvernement italien vis-à-vis de ses prédécesseurs sur le sauvetage des banques toscanes et vénitiennes avec l’argent public, il a dû se résoudre à intervenir pour éviter la faillite de Carige, dixième banque du pays.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Mais pourquoi même un gouvernement aussi hostile à la finance est-il tenu, lui aussi, de sauver le système bancaire et de se porter garant pour lui ?

Michel Ruimy : Les banques ne sont pas tout à fait des entreprises comme les autres. Si un constructeur automobile ou une société informatique fait faillite, c’est dramatique pour leurs salariés et malheureux pour leurs actionnaires et leurs créanciers. En revanche, la défaillance d’un établissement peut avoir des répercussions importantes sur les autres banques, même individuellement bien protégées contre les risques qui peuvent les affecter (risque de crédit, risque de marché…). En raison des fortes interrelations entre banques, la chute de l’une peut entraîner celle des autres (risque de crise systémique). C’est ce qui a été vérifié avec la faillite de la banque Lehman Brothers à l’automne 2008.

Par ailleurs, du fait d’une concurrence parfois acharnée et d’une absence d’encadrement du crédit et des taux d’intérêt, les banques ont de fortes exigences de rentabilité qu’elles soient privées ou mutualistes. Comme dans la plupart des secteurs d’activité, la concurrence limite les marges sur les produits et services bancaires et pousse aux innovations. De ce fait, plus une banque est importante, plus elle prend des risques et plus elle devra être sauvée car sa faillite coûterait cher à l’ensemble du corps social. Ceci est paradoxal ! On récompense les prises de risque excessives et sanctionne la prudence (situation d’aléa moral).

Ensuite, lorsqu’une institution bancaire est en difficulté, elle va chercher à vendre une grande partie de ses actifs pour disposer de liquidités, ce qui risque de faire chuter le cours des marchés sur lesquels elle est présente. De plus, en prenant connaissance des difficultés de la banque, les déposants des autres banques risquent de ne plus faire confiance à leur propre banque et vont chercher à récupérer leurs dépôts, mettant ainsi l’ensemble du système bancaire en difficulté. (risque d’illiquidité). Enfin, chaque banque a beaucoup à perdre dans la disparition d’une autre banque, puisqu’elle perdrait alors les crédits qu’elle lui a consentis. C’est pourquoi la banque, entreprise finalement pas tout à fait comme les autres, est aussi l’entreprise la plus soumise aux réglementations et contrôles.

Dès lors, si une institution bancaire parmi les plus importantes venait à faire faillite sans que l’Etat n’intervienne, il s’ensuivrait un véritable chaos dans l’économie : l’ensemble du système financier pourrait s’effondrer (risque systémique), les transactions financières élémentaires deviendraient quasi-impossibles et la valeur des dépôts et des placements financiers ne serait plus garanti. C’est ce qui pouvait arriver la banque Carige, la dixième banque d’Italie.

Alors que les partis au pouvoir juraient que, pas 1 euro du contribuable ne serait utilisé pour venir en aide à un « secteur arrogant aux pratiques similaires à celle de la mafia » selon les mots de Luigi di Maio (M5S), ils ont été contraints de voler au secours d’une banque essentielle pour l’économie de Gênes, déjà atone et mise à mal par l’effondrement du pont Morandi. Il faut garder en tête qu’en Europe, le secteur produit environ 10% de la richesse des pays. Mais son importance va bien au-delà du chiffre d’affaires réalisé. Les banques jouent en effet un rôle d’intermédiaire incontournable en gérant l’épargne de ceux qui en ont le plus et attribuent du crédit à ceux qui le demandent.

« Quand le bâtiment va, tout va » dit un dicton populaire. « Quand la banque va mal, rien ne va » pourrait-on ajouter. Les crises bancaires ont, pour effet, de menacer la capacité des banques à faire crédit et, par voie de conséquence, la capacité d’investissement et de consommation des ménages et des entreprises Ainsi, étant pris en otage, les États sont dans l’obligation d’intervenir, du moins pour les plus importantes.

Plutôt que de se réjouir de cette déconvenue du pouvoir italien, ne devrions-nous pas nous inquiéter d’une impuissance face aux banques qui semble collectivement partagée ?

La finance serait-elle un animal un peu à part, incapable de subvenir à ses besoins en cas de crise ? L’affirmation est volontairement provocatrice.

En fait, une banque en difficulté dispose d’instruments pour se sortir toute seule de l’ornière, comme par exemple une augmentation de capital. Mais, la réussite de l’opération n’est pas toujours assurée : il faut que la banque inspire confiance pour attirer les capitaux. Autre solution : augmenter les fonds propres c’est-à-dire le coussin permettant d’amortir les pertes en cas de pépin. Le problème est qu’en immobilisant ainsi des ressources, l’établissement réduit sa rentabilité. Reste une option plus « discrète » : vendre ses activités à risque. Pour les banques françaises, cela consisterait à se séparer de leurs départements de finance structurée. Mais, là encore, cette stratégie n’est pas sans chausse-trappe car si tous les établissements abandonnent les activités profitables, ce serait, à long terme, négatif pour l’économie française.

Par ailleurs, aider une banque en difficulté pour un État, coûte moins cher que la laisser faire faillite. Pour renflouer l’établissement, il peut acheter des actions préférentielles donnant droit à un dividende mais sans droit de vote (pour ne pas effaroucher les actionnaires). Ce que le ministère des Finances a fait après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en 2008. Au terme, de cette opération d’un peu moins 20 milliards d'euros, l’État a réalisé un profit d’environ 2,5 milliards. Mais, si cette solution peut s’avérer rentable à terme, elle comporte des risques et un coût immédiat pour le budget des États, actuellement surendettés. En effet, si la situation des banques continue de se détériorer après avoir reçue cette aide, la note de la France peut être dégradée à son tour. En outre, si l’arrivée de l’État au capital augmente la taille du parechoc, il ne réduit pas, pour autant, les risques assumés par la banque.

Il n’en demeure pas moins qu’il ne faut pas se réjouir de l’initiative du gouvernement italien. Il faut trouver, de manière générale, un moyen de sanctionner les banques tenues pour responsables de leur situation. Ceci est politiquement nécessaire dans le contexte actuel.

Quelles auraient été les solutions envisageables permettant de confronter ces banques à leurs responsabilités sans engager celle des contribuables ?

Aux Etats-Unis, des initiatives ont déjà été prises. Concernant les mauvaises pratiques en finance, ce sont plus de 200 milliards d’euros de sanctions financières qui ont été déjà récoltées, depuis 2007, par les régulateurs.

Ce n’est pas l’Union européenne qui prendra la tête de cette bataille contre les mauvaises pratiques de la finance. Depuis un peu moins de 2 ans, la Commission européenne n’a plus infligé aucune amende à l’encontre d’un établissement financier. Son impuissance s’explique par son cantonnement aux domaines bien définis du droit communautaire, qui ne comprend pas les mécanismes mis en place pour maintenir la stabilité du système (supervision prudentielle), mais aussi par l’absence de poste dévolu à cette tâche, comme un procureur financier européen, par exemple.

La France, quant à elle, reste à la traîne en matière d’encadrement et de répression de la fraude bancaire. La dernière grosse amende infligée dans l’Hexagone a obligé, en 2017, la banque HSBC à s’acquitter de 300 millions d’euros pour échapper à un procès pour « blanchiment de fraude fiscale », une procédure inédite et un montant record. Une sanction qui semble ridicule au regard de celles prononcées dans d’autres juridictions, par exemple, aux Etats-Unis, où la BNP Paribas a payé, il y a 3 ans, la plus importante amende financière jamais infligée à une banque étrangère (9 milliards de dollars) pour avoir violé des embargos contre le Soudan, l’Iran et Cuba. En 2016, la Deutsche Bank a dû payer 7 milliards de dollars pour clore l’enquête sur son rôle dans la crise des subprimes et, dans le même dossier, Crédit suisse a dû payer un peu plus de 5 milliards de dollars.

Un autre motif de sanction est en train de prendre de l’ampleur : la lutte contre l’évasion fiscale avérée et la faiblesse des moyens que consacrent les établissements financiers à son encadrement et à sa prévention. En 2017, la BNP Paribas a été sanctionnée - 10 millions d’euros - par l’Autorité française de supervision bancaire. Preuve que la répression est efficace, Crédit suisse a lancé une vaste campagne de publicité axée sur sa « tolérance zéro » à l’égard de l’évasion fiscale.

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