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Indignation à géométrie variable : ce député AfD violemment agressé en Allemagne et dont vous n’avez probablement pas entendu parler
©Michael Kappeler / DPA / AFP

Montée des violences politiques

Frank Magnitz, député AfD, a été violemment agressé ce lundi 7 janvier à Brème par trois hommes masqués, un acte qui peut rappeler l'assassinat de la députée britannique Jo Cox en 2016, mais qui a bénéficié de peu de relais dans la presse française.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Ne peut-on pas constater une forme d'indignation sélective eu égard à la "qualité" de la victime ? 

Edouard Husson : Que sait-on pour l’instant ? Frank Magnitz, député au Parlement allemand a été agressé par trois hommes portant une cagoule en fin d’après-midi du 7 janvier, alors qu’il sortait de la réception de nouvel an d’un journal de la ville de Brême. Il aurait vraisemblablement été tué sans l’intervention d’un tiers, un ouvrier du bâtiment selon les médias. Frank Magnitz est hospitalisé,  en soins intensifs. Personne ne peut dire s’il pourra se remettre complètement de ses blessures. Effectivement, on a le droit de trouver la réaction gouvernementale particulièrement faible. La Chancelière n’a pas réagi directement mais laissé le porte-parole du gouvernement expliquer qu’il espérait « que la police allait vite trouver les responsables ». Le gouvernement en spectateur et non pas en acteur, alors que la police n’a pas de doute sur le caractère politique de l’agression ! Et alors qu’il y a eu une multiplication des actes de violence contre l’AfD depuis plusieurs semaines.

Il est bien évident que l’appartenance à l’AfD de la victime conduit la classe politique allemande à faire part d’une grande retenue dans l’émotion. La page Facebook de la CDU brêmoise contient d’ailleurs des photos de la réception de nouvel an de la section locale du parti : elles ont été postées après l’attentat mais visiblement les participants à la réception n’en avaient pas encore entendu parler. Et quand on passe en revue l’ensemble des réactions des partis politiques, on est frappé de voir le ton général : « Evidemment, il s’agissait d’un représentant de l’extrême droite. Malgré tout on ne répond pas à la haine par la haine ».

J’avoue avoir du mal à comprendre : soit l’AfD est, comme le disent certains, une résurgence du nazisme, et alors la République Fédérale possède, à la différence de la République de Weimar, tout l’arsenal juridique pour interdire le parti ; soit il s’agit d’un parti qui participe au jeu démocratique, dont on a tout à fait le droit de ne pas aimer les thèses, mais dont on doit protéger la liberté d’expression et la contribution à la structuration du débat public.

Au regard des climats politiques actuels, notre responsabilité ne serait-elle pas justement de traiter équitablement toutes les violences ? Quels sont les risques induits par cette sélectivité ? 

Oui. La République Fédérale des années 1990 a connu des poussées de violence de groupes se définissant comme néo-nazis, qui ont été combattues ; plus tôt dans l’histoire de la RFA, il y a eu une violence d’extrême gauche, terroriste. Dans les deux cas, l’Etat a fait appliquer l’ordre public, identifié et arrêté les coupables, avant de les traduire devant la justice. Aujourd’hui, nous sommes devant une question complètement différente : la vie politique allemande connaît une forte polarisation autour de la question de la politique d’immigration massive décidée en solitaire par Angela Merkel à la fin de l’été 2015. La Chancelière, par incompétence ou par naïveté, a permis que se développe, à la droite de son parti, une force politique qui a occupé le vide laissé par les chrétiens-démocrates, qui n’ont pas pu ou pas voulu limiter la portée des décisions de leur championne : l’AfD, parti conservateur hostile à l’euro, qui s’est radicalisé et fait désormais du combat contre la politique d’immigration sa priorité. Face au discours de l’AfD, une partie du SPD, les Verts et l’extrême gauche ont développé une rhétorique d’une grande violence, traitant en permanence l’AfD de parti « nazi ». Comme historien du nazisme, j’ai tendance à ne pas prendre au sérieux des individus qui crient au retour de la « bête immonde » à la moindre expression d’un discours qui se distingue de l’apologie du monde sans frontières et de la société ouverte. C’est une banalisation. Etre incapable de faire la différence entre l’un des pires régimes politiques de l’histoire et un parti démocratique défendant des thèses identitaires démontre une profonde régression du débat politique allemand. Et lorsque le gouvernement allemand montre aussi peu d’entrain que c’est le cas actuellement à combattre la violence d’extrême gauche, cela reflète une crise de l’état de droit et à la démocratie.    

Quels sont les efforts encore à faire, aussi bien pour les partis réputés "populistes" que du côté du "camp de la raison" ?

Ce qui s’affiche aujourd’hui comme « raison politique » n’est guère raisonnable. Sortir du jour au lendemain de l’énergie nucléaire sans disposer d’une production suffisante en termes d’énergie renouvelable et donc revenir aux centrales à charbon comme l’a fait l’Allemagne depuis 2011, ce n’est pas sérieux. De même ouvrir totalement les frontières à l’immigration sans avoir préparé les centres d’accueil, identifié les budgets nécessaires, mesuré l’effort humain, administratif, éducatif à accomplir, c’est à l’opposé de la représentation que nous nous faisons d’une Allemagne méthodique et mieux organisée que les autres. Alors, oui, ces gigantesques bévues de la Chancelière ont provoqué le surgissement d’un parti que certains qualifient de populiste et d’autres d’extrême droite et dont la rhétorique est souvent déplaisante ; mais est-ce un motif suffisant pour fermer les yeux lorsque monte la violence d’extrême-gauche contre ce même parti ? Peut-être une condamnation directe par la Chancelière, la semaine dernière, de l’attentat à la bombe contre un local de l’AfD en Saxe aurait évité que Frank Magnitz soit ainsi agressé et grièvement blessé. A vrai dire, quelle lenteur de l’Etat à réagir : le guet-apens de Brême est le neuvième acte violent commis contre l’AfD depuis la mi-décembre !    

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