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Si Houellebecq est prophète, alors il faut se préparer à ce que la France des terroirs n’accepte plus son sort
©BORIS ROESSLER / DPA / AFP

Vent de révolte

Et après Sérotonine ? Retour du christianisme, chaos social, fantasme d'un gouvernement mondial ? Bien malin celui qui pourrait prévoir le thème du prochain roman de Houellebecq, peintre talentueux des mouvements de fond de notre époque.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Avec Sérotonine, Michel Houellebecq signe son retour avec un nouveau roman décrivant une France qui oscille entre l'hypertension et la dépression. Après Plateforme ou Extension du domaine de la lutte qui décrivaient la médiocrité sexuelle et sentimentale de notre société libérale contemporaine, Les Particules élémentaires ou La possibilité d'une île qui se penchaient sur les excès de la génétique, et d'une certaine forme de volonté d'impuissance moderne, La Carte et le territoire qui évoquait la question de la France périphérique et enfin Soumission qui s'attaquait à la vulnérabilité des sociétés occidentales à l'islamisme, ce roman porte sur la question écologico-sociale, entre révolte des zones non-urbaines et destruction de l'agriculture traditionnelle. Comme pour Soumission, l'actualité - celle des Gilets jaunes en premier lieu - n'est-elle pas la meilleure attachée-presse de Michel Houellebecq ?

Edouard Husson : L'actualité est une agence de communication impartiale.  Personne, même pas Houellebecq, ne pouvait deviner qu'il se passerait l'attentat de Charlie Hebdo le jour de la sortie de Soumission. De même qui avait imaginé les Gilets Jaunes? Je n'ai pas encore lu autre chose que des extraits de Sérotonine mais je comprends que le romancier a anticipé sur le degré de violence des forces de l'ordre quand elles interviennent contre un mouvement qui exprime la révolte de la France des terroirs, de ce qu'on aurait appelé au XVIIIè siècle les "pays". Et c'est bien l'une des caractéristiques de la réaction du pouvoir en place au mouvement des Gilets Jaunes qu'un déploiement de violence disproportionné par rapport à la nature du mouvement - dont il faut dire que la violence qui lui est propre a été tardive, en grande partie provoquée par la répression des forces de l'ordre et reste très en-dessous de celle des pillards ou des casseurs qui sont venus parasiter le mouvement - en alliés objectifs d'un pouvoir cherchant à discréditer les Gilets Jaunes dans l'opinion. 

Le propre d'un grand romancier, d'un grand artiste, c'est de voir au-delà des apparences. Houellebecq n'écrit pas des romans à thèse, il laisse se déployer le monde fictif qu'il porte en lui et cela donne par exemple une radiographie sans complaisance du monde libéré sexuellement et dont a disparu tout lien social, toute ambition collective, toute compassion, toute charité. Ou bien cela donne une vision de la complaisance de notre intelligentsia et d'une partie de nos dirigeants vis-à-vis de l'Islam alors que cette religion confond pouvoir temporel et pouvoir spirituel: le romancier, sans être didactique, laisse se dérouler un récit qui aboutit inéluctablement, dans une atmosphère d'ironie grinçante, à la soumission du pouvoir politique au pouvoir religieux.  

Ce qui est à souligner aussi, c'est que l'oeuvre d'essayiste de Houellebecq gagne en densité au fur et à mesure de la publication de l'oeuvre littéraire. En général, les écrits non fictifs d'un romancier sont de peu d'intérêt. Et de fait les textes d'actualité de Houellebecq qui datent d'une vingtaine d'années sont souvent faibles. Mais plus récemment il a produit quelques fulgurances, telles le discours prononcé lors de la réception du prix Spengler ou ses interrogations sur le renouveau catholique en France. C'est le fruit de son oeuvre romanesque.

Dans cette logique, à quels thèmes l'écrivain le plus en vue de France pourrait-il s'attaquer selon vous s'il voulait appuyer "là où ça fait mal", au cœur des malaises réels qui habite notre société ?

Ne cherchons surtout pas à prescrire à Houellebecq tel ou tel thème. A la rigueur un grand éditeur aurait pu passer une commande à l'écrivain mais Houellebec n'a jamais croisé sur sa route quelqu'un avec qui dialoguer d'égal à égal. Il a même failli stériliser son génie de ce fait: par exemple en n'étant jamais canalisé alors qu'il cédait au trop facile enchaînement des scènes de sexe. Mais, tel un somnambule, l'écrivain a finalement évité les obstacles. Il a réussi à se renouveler.  Il est devenu le romancier de notre anti-société: alors qu'un discours altermondialiste ou néo-marxiste facile s'acharnera contre le seul capitalisme, le romancier montre que la révolution sexuelle fonctionne comme le libéralisme économique: l'inexorable avancée de l'individualisme est partout à l'oeuvre. Face aux écologistes devenus fous et rêvant de l'extinction de l'espèce humaine accusée de vouloir détruire la planète, Houellebecq redonne la priorité à la question du mal que l'homme fait à son semblable. Face à la fin de la métaphysique et au refus de la transcendance, Houellebecq laisse monter dans son oeuvre un peu d'optimisme, furtif. Il établit au moins chez certains de ses personnages la possibilité de retrouver le sens de la société, c'est-à-dire, comme il le dit profondément, de survivre en échappant à la compétition entre individus et, pourquoi pas, ajoutera-t-on en observant comme il reste au bord de la conversion au catholicisme, en retrouvant une religion authentique, où l'homme puisse dialoguer librement avec la transcendance retrouvée. 

Peut-être le romancier et le poète qu'est Houellebecq ne réussira-t-il  jamais à sortir complètement , dans son oeuvre, de l'évocation de ce monde asphyxiant où ne poussent que des fleurs du mal. Le romancier de l'individualisme auto-destructeur rebâtit pourtant un premier lien avec ses semblables en réconciliant le roman avec la vérité des êtres. C'est la meilleure antidote au postmodernisme à l'abri duquel prospèrent aujourd'hui tant d'impostures intellectuelles (pensons à la chasse aux pseudo-fake news) et de tyrannies mortifères (comme le rêve d'un gouvernement mondial).

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