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Mais pourquoi encore payer des impôts en France ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Modèle de société

Après une année mirabilis, 2018 aura-t-elle été une annus horribilis pour Emmanuel Macron ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Après une année de conquête, 2018 est devenueune année de disgrâce. Lors de son arrivée au pouvoir, les « planètes étaient alignées » : la croissance économique était solide, le prix du baril du pétrole peu cher et le niveau des taux d’intérêt très bas. Un an plus tard, la conjoncture s’est, en partie, retournée : si le Produit intérieur brut (PIB) devrait progresser de 1,5%, soit 0,7 point de moinsqu’un an auparavant, des signes de faiblesse persistent : le taux de chômage est quasi-stable, à 9% de la population active, le déficit commercial français devrait à nouveau se creuser pour atteindre 70 milliards d’euros (près de 3% du PIB)tandis que la France rejoindra, en 2019, le club des pays dont la dette publique est supérieure au seuil symbolique de 100% de leur PIB. 
Sur les marchés, dans un environnement politique tendu,2018 n’a pas échappé à la règle avec de violentes corrections en février et en octobre.C’est l’élément qui a prédominé cette année et qui explique pourquoi très peu de classes d’actif ont pu, dans ce contexte, offrir une protection et une alternative à la volatilité. Si la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a été sans doute l’élément le plus inattendu et le plus important pour les marchés, ceux-ci doivent dorénavant apprendre à vivre sans le soutien de politiques monétaires accommodantes. 
Bref, l’ambiance est à la morosité. L’an prochain, au vu des incertitudes (Brexit, tensions commerciales, élections européennes…), l’activité économique pourrait aussi être impactée par le retournement mondial de la conjoncture. Sans une croissance forte, il est difficile d’envisager une baisse durable du chômage, une maîtrise des finances publiques et une politique plus redistributive dans un contexte de crise sociale que pourrait aggraver le prélèvement à la source.Car la découverte de la baisse des revenus à fin janvier, même si ellen’est qu’artificielle - les impôts doivent de tout manière être payés -, risque d’avoir un fort impact psychologique alors que beaucoup de Français se plaignent déjà d’une baisse de leur pouvoir d’achat.
Mais, au crépuscule de cette année, je voudrais revenir sur une réflexion que le mouvement des « gilets jaunes » a soulevée : le rôle de l’impôt. Pourquoi payons-nous alors que nous avons le sentiment de « ne pas en avoir pour notre argent » ?
Grande question d’autant qu’en droit français, aucune définition de l’impôt n’existe. Son étymologie nous indique qu’il est un prélèvement imposé et son essence, une quote-part volontaire.Plus étonnant, le dictionnaire est riche de mots en la matière. On y trouvecontributions, cotisations, droits, prélèvements obligatoires, redevances, taxes… Comme si on voulait entretenir volontairement un flou de crainte que le contribuable ne s’engouffre dans un défaut de formulation pour s’exempter. 
Au plan historique, depuis l’Antiquité,l’impôt n’a jamais été aimé. L’Etat, quant à lui, s’est toujours présenté comme un garant de la paix et de l’ordre social et l’impôt, comme le prix à payer pour profiter de l’ordre en place. Ainsi, si l’impôt est un devoir civique, qui peut être lourd à supporter d’un point de vue financier, il est aussi une liberté pour le contribuable qui peut, en payant, se dispenser de lourdes responsabilités à l’égard de la collectivité. 
Mais, le plus difficile à accepter est son poids. L’OCDE n’a-t-il pas considéré la France comme le pays le plus taxé des pays développés, l’année dernière ?En fait, le poids de l’impôt est surtout psychologique.La tension s’aggrave entre les contribuables surtout s’il apparaît que les règles ne sont pas les mêmes pour toutes. Dès lors qu’un personnage politique participe à la fraude fiscale ou qu’un dégrèvement soit favorable à une catégorie de contribuables, et voilà que l’impôt devient soudainement très lourd à supporter. L’impôt, en effet, pèse davantage par ce qu’il signifie que par son poids réel. Selon le « paradoxe de Montesquieu » (De l’Esprit des lois, livre XIII), l’impôt est plus lourd en démocratie et plus léger en tyrannie parce qu’il est la contrepartie de la liberté. On se serre plus facilement la ceinture si l’on a l’impression d’en profiter. Ce paradoxe repose sur la confiance accordée à l’État. Si L’Etat perd la confiance de la population, il perd le consentement à l’impôt.
En théorie, l’impôt permet également de redistribuer les ressources sur un même territoire, réduisant les écarts de richesse entre les populations riches et les plus modestes.Or, le mouvement des « gilets jaunes » illustre le divorce que nous constations il y a quelques années entre Paris et la province qui est devenu aujourd’hui le divorce entre quelques grandes villes et le reste de la France c’est-à-dire entre 20 millions d’« urbains » et les 45 millions de « provinciaux ». Avant, il y avait une lutte des classes, aujourd’hui nous sommes entrés dans une lutte des territoires. Mais, ce n’est pas propre à la France ! Partout, que cela soit aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, les métropoles captent la lumière. 
Pour résoudre la situation, certains, partant du constat que moins d’1 résident français sur 2 a payé l’impôt sur le revenu (IR) en 2016, proposent aujourd’hui l’idée d’un IR dès le premier euro afin de recréer du lien avec l’Etat en faisant participer le citoyen - contribuable, même de manière symbolique, aux financements des services publics. Si l’idée est intellectuellement séduisante, les « Gilets Jaunes » ne se plaignent pas de ne pas payer assez d’impôts. Bien au contraire ! De plus, alors que le Gouvernement vient de compléter les salaires avec la prime d’activité, il serait incongru de reprendre, en impôt, une partie de cette prime. N’oublions pas que les raisons pour lesquelles la grande majorité des ménages ne paient pas d’IR sont d’ordre social ou familial. Si vous leur prélevez une somme d’argent, vous leur prélevez du pouvoir d’achat.
En définitive, alors que notre endettement public va s’accroître en 2019, pourquoi continuer à payer l’impôt ? Il faut voir l’impôt comme un choix de modèle de société. S’il peut être vu comme un outil de liberté ou, au contraire, comme un instrument de déresponsabilisation du citoyen, privé de sa possibilité d’agir réellement dans l’intérêt public, il doit aussi être vu, encore plus aujourd’hui, comme un lien permettantde nouer une vie sociale entre tous c’est-à-dire de réconcilier le peuple français avec ses dirigeants. Or, tout ce tissu qui fait qu’il peut y avoir une adhésion populaire a été progressivement déchiré depuis des décennies. Il faut le retisser, mais je crains malheureusement, que ceci ne mette beaucoup de temps.

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