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Cette forte pression sémantique que le pacte de Marrakech exerce sur la France
©PAU BARRENA / AFP

Immigration

Le Pacte de Marrakech, aussi appelé « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », a suscité de nombreuses polémiques en France, et un peu partout dans le monde.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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De fait, le texte intègre des innovations sémantiques et des propositions qui sont de nature à attiser les passions dans les pays industrialisés, confrontés à une forte immigration. Ce Pacte met la France dos au mur sur l’ensemble des questions que le politiquement correct interdit d’aborder. 

Sans le dire, et sans que cette affaire ne soit complètement claire pour tout le monde, l’ONU a fait entrer ses membres dans la seringue des politiques migratoires sous contrainte. On peut retourner le Pacte de Marrakech dans tous les sens, il correspond bien à ce mouvement historique occulte qui semble devoir s’imposer à l’ensemble des nations aujourd’hui. Pour l’illustrer, on reprendra quelques phrases emblématiques de ce pacte:

Tous ceux qui ont cherché à minorer l’impact et l’importance de ce Pacte ont escamoté l’ambition visionnaire du texte. Celui-ci ne cache pas son intention de « fluidifier » le fait migratoire dans un cadre mondialisé.

Il ne s’agit pas ici d’être pour ou contre le contenu du texte, mais simplement de reconnaître son importance, qui a besoin, pour être saisie dans son ampleur, d’être mise en perspective. 

Le Pacte de Marrakech, un petit pas de plus dans la mondialisation


Beaucoup de partisans du Pacte de Marrakech ont insisté sur sa portée non contraignante. Au fond, quel est le problème de signer un texte qui n’engage pas?

On connaît bien cette technique de curiaçage des opinions publiques. Elle repose sur un déni permanent des réalités et des promesses, sur une minoration constante des débats et sur une dissimulation systématique des objectifs. Alors que le Pacte de Marrakech explique sans ambiguïté son ambition de faciliter les migrations parce qu’elles sont une source de prospérité collective dans la mondialisation, les voix n’ont pas manqué pour nier que l’objectif du texte était là, et qu’en le signant la France acceptait de concourir à cette vision du monde. 

On verra plus loin que la posture à prendre sur ce sujet mérite un dépassement des clichés partagés d’un côté comme de l’autre en France. Il n’en demeure pas moins que signer le Pacte de Marrakech est tout sauf un acte sans signification politique majeure.

On relèvera que ce Pacte n’est pas né de rien. Il était annoncé par la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants du 19 septembre 2016. En son temps, celle-ci ne fit guère de bruit, mais elle lançait un grand mouvement international visant à mieux gérer les mouvements de migration, qu’ils soient dus à l’urgence du refuge ou à la logique beaucoup moins obligée de la simple migration économique. 

Progressivement se met donc en place un corpus juridique pour l’instant non créateur d’obligation, autour des mouvements de population entre États. Mais ces avancées à petits pas visent à ordonner un monde traversés d’échanges constants de population. Comme dit la Déclaration de New York: « Les déplacements massifs de réfugiés et de migrants ont des ramifications politiques, économiques, sociales, développementales et humanitaires et des ramifications en matière de droits de l’homme qui ne connaissent pas de frontières. Il s’agit d’un phénomène mondial appelant des approches et des solutions mondiales. « 

Le Pacte de Marrakech n’est rien d’autre qu’une première étape dans un long processus cherchant à trouver des solutions mondiales à un problème spécifique à la mondialisation (ou vécu comme tel). Cette étape en appellera bien d’autres, et cette fois bien plus contraignantes. 

Du réfugié au migrant: un rapide glissement sémantique


Dès la Déclaration de New-York, il est frappant de voir le glissement sémantique qui s’opère. Insensiblement, on passe de la question des réfugiés à la question des réfugiés et des migrants, comme si la migration ou le refuge n’étaient rien d’autre qu’une variation d’un même phénomène. Or les deux notions n’ont jusqu’ici jamais été confondues dans nos droits.  

Historiquement, il existe bien un droit de secours aux réfugiés qui fuient la guerre ou les persécutions. Ce droit est au coeur de nos politiques d’asile. Il fut par exemple défini dans l’article 120 de la Constitution de 1793, qui prévoyait: « Le peuple français donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. » Ainsi se trouvait défini le principe de la France comme refuge pour les persécutés politiques, qui n’emportait aucune conséquence sur le droit à migrer pour des raisons économiques. 

Le glissement du droit d’asile politique vers le droit de migrer économiquement ne s’est produit que très récemment. La crise de 2015 ouverte par Angela Merkel en fut un moment fort: à ce moment, l’Europe a délibérément étendu aux migrants le droit jusqu’alors réservés aux persécutés, confondant les deux dans une diatribe nouvelle, avec les conséquences que nous continuons à dénombrer aujourd’hui. 

On s’étonnera de la rapidité avec laquelle le glissement sémantique s’est protégé dans les instances nationales et supra-nationales: entre l’ouverture brutale des frontières allemandes à l’été 2015 et la déclaration de New-York de 2016, quelques mois à peine s’écoulent. On a connu des dossiers moins épineux (comme celui des travailleurs détachés ou des droits sociaux en Europe) qui ont nécessité beaucoup plus de temps pour trouver des issues beaucoup moins structurées.  

Un mouvement largement épaulé par la « société civile »


Il serait intéressant de déterrer les raisons pour lesquelles la cause des « migrants » est devenue un objet aussi pressant dans le multilatéralisme international. On notera avec intérêt que la « société civile » n’a pas manqué de se mobiliser pour promouvoir une cause qui fait l’objet de résistances encore farouches dans les pays d’accueil. 

À titre d’exemple, on lira avec intérêt cette publication issue d’Open Society, le conglomérat d’associations militantes financées par le milliardaire américain Georges Soros:

Ce texte est intéressant parce qu’il montre comment des mouvements influents pèsent sur le débat public et font délibérément glisser la question politique des migrations dans le champ émotionnel de la culpabilité – technique de manipulation des masses bien connues des démocraties occidentales, qui s’opère toujours au nom de l’humanisme et de la bonté universelle contre la barbarie des méchants. On n’est plus ici dans le domaine de la pensée, mais dans le domaine du manichéisme: ceux qui ne partagent pas l’ouverture sans limite de leurs frontières relèvent forcément du mal, de la fermeture d’esprit, de l’égoïsme et de l’affaiblissement des valeurs positives. 

Mondialisation ou grande migration vers le Nord?


En regardant toutefois de près la carte publiée par l’INED et intégrée au début de cet article, on mesure que la mondialisation dont il est question dans la littérature onusienne s’apparente plus à une méridionalisation du monde. Autrement dit, la mondialisation consiste plus en un vaste transfert de population des pays du Sud vers les pays du Nord qu’à une globalisation proprement dite. 

De façon très significative, et au défi de toutes les théories économiques répétées en boucle par les théoriciens en tout genre (et par l’ONU elle-même), le fait migratoire semble faire mauvais ménage avec la prospérité économique. Ce sont en effet les pays qui comptent le moins de migrants qui progressent le plus économiquement, Allemagne mise à part: la Chine, l’Inde, le Brésil, les Tigres asiatiques, hébergent moins de 1% de migrants… quand les puissances les plus industrialisées dépassent allègrement les 10% . Tout se passe comme si les puissances économiques les plus agressives déversaient leur surplus de population sur l’Occident pour s’épargner la peine de les gérer. 

Le cas spécifique de la France


Dans le cas français, comme dans le cas britannique (dans une mesure un peu différente pour des raisons qu’on va voir), il existe une spécificité mal prise en compte par le débat public. Celui-ci est en effet volontiers structuré entre partisans béats d’une immigration « émotionnelle » (au nom du bien) et adversaires farouches de toute arrivée nouvelle vécue comme une menace pour l’identité nationale. Cette polarisation souvent très passionnelle empêche tout débat serein sur l’immigration, comme celui-ci peut avoir lieu dans un certain nombre de pays anglo-saxons, où est validé le principe d’une immigration maîtrisée. D’où une situation curieuse où les gouvernements qui se suivent font mine de bloquer officiellement l’immigration tout en laissant faire au jour le jour des mécanismes exactement inverses. Il suffit de prendre le métro dans l’Est parisien à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit pour comprendre cette duplicité. 

Or, au regard de l’immigration, la France n’est pas n’importe quel pays! Une grande partie des immigrés qui vivent ou arrivent en France (Chine mise à part) sont issus de l’ancien Empire français. 

La carte ci-dessus (produite par nos soins à partir d’un retraitement des données de l’INSEE) le montre: les anciens États colonisés apportent une forte immigration, auxquels il faut ajouter la Russie, la Turquie, le Pakistan, l’Inde et le Brésil. Ce phénomène spécifique pose un problème essentiel, qui complique singulièrement la question de l’immigration en France: quel type de relation voulons-nous nouer avec nos anciennes colonies?

Pouvons-nous imaginer de rompre tout lien démographique avec eux, ou devons-nous conserver des devoirs propres à l’ancienne puissance tutélaire?

Cette question se pose bien entendu tout particulièrement avec les pays du Maghreb, qui fournissent les contingents les plus massifs d’immigration, et avec qui les liens historiques sont les plus étroits et parfois les plus douloureux. 

La France peut-elle se refuser à la francophonie?


Après un passé parfois turbulent, la France s’est décidée à assumer plus clairement (mais pas totalement) ses liens privilégiés avec ses anciennes colonies au travers de la francophonie. Selon les chiffres officiels, celle-ci regroupe près de 300 millions de personnes aujourd’hui, ce qui fait de la francophonie une puissance démographique non négligeable (à condition qu’elle soit assumée et utilisée bien entendu). 

Selon certaines projections démographiques, le français pourrait être la langue la plus parlée en 2050 dans le monde, devant le mandarin notamment. Cet atout pose évidemment question quant à nos relations avec nos anciennes colonies. On voit bien que l’expansion du Français dans le monde constitue une ressource que nous avons intérêt à cultiver. La langue française constitue en effet la base d’une influence sans égal dans le monde de demain. 

Pour une diplomatie linguistique assumée


Politiquement et diplomatiquement, la France a donc aujourd’hui un intérêt majeur à penser ses relations démographiques avec ses anciennes colonies. Penser signifie ici renouveler, c’est-à-dire sortir des schémas larmoyants traditionnels pour inventer une forme plus satisfaisante de leadership vis-à-vis de cette grande communauté culturelle que nous formons avec nos anciennes composantes.

L’objet de cet article n’est pas de détailler ce que pourrait constituer la francophonie comme outil de rayonnement international renouvelé de la France. Nous pouvons juste affirmer que ce rayonnement suppose un volontarisme plus marqué que ce que nous constatons aujourd’hui. 

L’enjeu de ces lignes est ailleurs: en rappelant que le destin de la France n’est ni celui du Luxembourg, ni celui du Lichtenstein. Il est celui d’un pays qui fut une grande puissance et qui dispose d’un fort capital d’influence dans le monde. Si nous admettons l’hypothèse que nous devons faire fructifier cet héritage au lieu de le dilapider, alors l’idée d’une rupture totale avec nos anciennes colonies n’a pas de sens. 

Au contraire, la francophonie doit constituer un puissant levier pour renouveler notre rayonnement international. 

Redéfinir une citoyenneté française


Dans cet ensemble, il est difficile d’imaginer que la mobilisation de notre ancien réseau colonial se fasse sans une mise au point sur ce qu’est la citoyenneté française et l’attachement à la République. Culpabilisée par son passé colonial, la France peine aujourd’hui à expliquer à ses immigrés ce qu’elle attend d’eux, et surtout ce qu’elle accepte et ce qu’elle refuse. Ce flou conduit à des confusions collectives, dont la traduction s’exprime par exemple par la remise en cause, au sein de la communauté musulmane installée en France, d’un grand nombre de nos principes de tolérance. 

On retrouve ici le lien intrinsèque entre le rayonnement international de la France et le nécessaire débat sur l’immigration qu’Emmanuel Macron a annoncé avant de le retirer. La réconciliation profonde entre les Français et leurs anciennes colonies ne peut passer que par un moment de renarcissisation des Français. 

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