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Si vous pensez que tout le monde souhaite être heureux, vous vous trompez : ce qu’une majorité de gens recherche en priorité est…
©Craig Barritt / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Bonheur

C‘est en tout cas ce que ressort des travaux de Daniel Kahneman prix Nobel d'économie.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Kahneman a mesuré le bonheur quotidien et a conclu que passer du temps avec des amis étaient très efficace pour être heureux. Mais certaines personnes, concentrées sur des objectifs de long terme, ne priorisent pas forcément le fait de se socialiser. Cela le conduit à conclure que le bonheur n'intéressait pas tout le monde mais que les gens étaient plutôt intéressés par la satisfaction et à être satisfaits de leur existence. En quoi est-ce différent ? 

Jean-Paul Mialet : Le bonheur c'est l'émotion d'un moment. Dans bonheur, il y a être heureux, il y a une sorte de bien-être instantané. La satisfaction c'est si on en revient à l'origine du terme, en avoir fait assez. Avoir fait un chemin dont on est satisfait. Un accomplissement. Cet accomplissement peut nécessiter de ne pas chercher l'émotion d'un moment. On m'a souvent posé la question de savoir pourquoi je faisais ce métier. C'est un métier où l'on est en permanence dans le malheur des autres. Comment peut-on être heureux en faisant un métier de psychiatre qui consiste à partager le malheur des autres ? On y trouve son bonheur dans la satisfaction d'un accomplissement. On ne recherche pas le bonheur, on recherche surtout la satisfaction d'avoir donné un appui à quelqu'un en difficulté et qu'on va peut-être aider à sortir de sa détresse grâce à son travail. Donc là-dedans il est question d'un sens, plus que d'un bonheur. C'est se livrer à une activité qui a du sens, qui donne une satisfaction. Le bonheur est secondaire. Je partage totalement la vision de Kahneman. La satisfaction vient d'un chemin que l'on a accompli et qui vous donne un sentiment d'en avoir fait assez, d'être en accord avec soi-même. Quand on écrit, on se retranche du monde, on est complètement dans son travail. On se livre à des interrogations intérieures. Tout ceux qui écrivent vous diront qu'on est souvent inconfortables tant qu'on a pas trouvé l'expression qui convient à ce que l'on a envie de dire. Le bonheur s'il arrive arrive au moment où l'on a enfin trouvé la formulation adéquate. Mais c'est de courte durée. Le moment de bonheur quand on écrit est fugace. La principale gratification de l'écriture c'est la satisfaction d'avoir fini son oeuvre. D'avoir participé à un oeuvre collective qui paraît utile, pour les autres, pour soi-même. 

Selon le chercheur, la satisfaction se base aussi sur la comparaison. Par exemple, des comparaisons d'argent...

Il y a malheureusement chez l'être humain une tendance fâcheuse à la comparaison qui peut beaucoup polluer son existence. Alphonse Allais disait : "Il ne suffit pas d'être heureux il faut savoir que les autres sont malheureux". On porte en nous une composante constructive pour notre identité qui consiste à s ‘appuyer sur la référence aux autres. Cette composante peut devenir malsaine quand elle fait de la concurrence aux autres un objectif prioritaire. Toutes les sagesses indiquent que justement le bonheur consiste à oublier la comparaison et à raisonner par rapport à soi-même. De la même façon la satisfaction profonde ne peut venir que d'un travail ou d'un chemin qui a été accompli pour soi et non pas pour épater les autres, par comparaison avec les autres. L'individu ne peut se sentir vraiment heureux que s'il n'est plus aliéné, que s'il est vraiment libre, sincère par rapport à lui-même. La première des libertés est celle de se dégager de la référence aux autres. Ils comptent, certes, car ils restent ce qui donne du sens dans l'existence dans un partage avec autrui, mais ils ne comptent pas en tant que référence. 

Les recherches du psychologues pointent aussi le fait qu'avoir vécu des moments de bonheur ne rend pas forcément heureux sur le long terme. La clé pour une satisfaction de long terme serait la mémoire, qui entretiendrait un récit plaisant sur notre vie. La mémoire reste, quand les émotions disparaissent. Kahneman prend un exemple: quelqu'un qui pourrait partir en vacances mais sans pouvoir prendre de photos pour s'en rappeler plus tard aurait moins de chances de partir en vacances, au final. Serions-nous en fait plus intéressé par le récit de notre bonheur plutôt que par ressentir le bonheur lui-même ?

Le récit est une composante importante de notre identité : ce que le philosophe Ricoeur appelle l’identité narrative. Nous sommes des êtres qui nous racontons une histoire sur nous-mêmes et qui aimons aussi éventuellement la faire partager aux autres. Nous aimons entendre parler les autres de leur histoire. La satisfaction étant un chemin que l'on poursuit, ce chemin nous l'évoquons à l'intérieur de nous-mêmes et le partageons avec d'autres. Ce récit est constitutif de nous-mêmes de nous et il doit être respecté même s’il fait parfois l’objet de quelques accommodements avec les faits – tant que l’insincérité n’en est pas le principe fondateur. Le bonheur est plutôt une espèce de sentiment de bien-être qui est le fruit d'un instant et que l'on découvre plus comme une émotion à l'occasion d'une expérience. C'est plus une sensation qu'un récit. 

Si l'on étudie nos réflexes sur les réseaux sociaux, Instagram, Facebook, ou autres, où l'on poste des photos de nos vacances, ne peut-on pas dire que nous sommes davantage intéressés par l'apparence d'une existence enviable que par le fait de ressentir vraiment la joie ? 

Quand on parle de la satisfaction, il y a la satisfaction saine, qui consiste à accomplir quelque chose soi-même qui a du sens, un sens profond. Et puis il y a la satisfaction de ceux qui ne trouvent de satisfaction que dans la vanité. C'est à dire dans l'apparence. Bien sûr que le voyage apporte une forme de satisfaction, par la découverte, l'expérience, les souvenirs. Il peut y avoir des moments de bonheur. L'ensemble représente une satisfaction. Il y a dans tous ceux qui voyagent ceux pour qui la satisfaction est avant tout une satisfaction personnelle - ils ont découvert des choses nouvelles, des expériences nouvelles. Ils sont heureux de les partager. Et puis il y a ceux pour qui ce qui est important est de le dire aux autres. Ils ne fournissent que des détails destinés à donner envie aux autres et à leur montrer ce qu'ils ont manqué. Cette forme-là de satisfaction, tournée vers le fait d'en faire plus ou de faire mieux que les autres ne fait que ramener à soi-même et n’apporte pas la satisfaction essentielle de l’échange. On peut espérer que, pour la plupart d’entre nous, la satisfaction ne consiste pas qu'à se faire valoir par rapport aux autres. Mais Instagram et les réseaux sociaux représentent un risque réel de satisfaction dévoyée dans des leurres narcissiques qui ne visent qu’à enjoliver son image personnelle.

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