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Fatigue chronique : enfin un début d’explication à la maladie dont l'existence même divise la médecine ?
©WANG ZHAO / AFP

Santé

Une étude du King's College de Londres met en évidence le rôle d’une hyperactivité du système immunitaire dans le syndrome de fatigue chronique.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Quelle est l'importance de cette étude ? Le rôle de l'hyperactivité du système immunitaire dans le syndrome de fatigue chronique était-il déjà connu ?

Stéphane Gayet : La notion de « syndrome de fatigue chronique » appelle déjà quelques explications.

Les syndromes en médecine

Phonétiquement connu de nombreuses personnes, ce terme correspond à un concept qu’il faut préciser. Un syndrome est un ensemble de signes cliniques (ce qui peut se voir, s’entendre, se sentir ou se palper) ou de symptômes (ce que la personne atteinte ressent dans son corps : ils sont subjectifs) qui correspond à un état pathologique, mais pas à une maladie bien définie. En pratique, le mot syndrome est utilisé, soit pour décrire un état pathologique qui peut être dû à plusieurs maladies différentes et cela chronologiquement avant d’avoir identifié la maladie en cause (par exemple : un syndrome grippal qui associe une fièvre, une fatigue, une sensation de malaise général, un mal de tête, des douleurs musculaires et une toux sèche), soit pour décrire un état pathologique connu, mais que l’état de la science n’a pas encore compris ni réussi à attribuer à une cause bien précise (par exemple : le syndrome de fatigue chronique).

La fatigue, l’asthénie et le syndrome de fatigue chronique

La fatigue ou plutôt l’asthénie est un symptôme pénible, sans être physiquement douloureux. C’est la sensation d’avoir fait des efforts physiques, alors que ce n’est pas le cas ; elle est associée à un sentiment d’inaptitude à l’effort, de mal-être, d’anxiété et à une faible estime de soi. L’asthénie fait partie du tableau clinique de certaines maladies (hépatite virale, mononucléose infectieuse ou MNI, grippe…), mais dans ce cas elle n’est que passagère. On parle de fatigue chronique quand l’asthénie dure anormalement – plus de six mois – et sans diminuer. Le syndrome de fatigue chronique est un état pathologique bien connu, mais dont on ignore la ou les causes à l’heure actuelle. Il frappe surtout des sujets jeunes et fait souvent suite à une infection, notamment virale. C’est un vrai handicap qui peut évoluer vers un état dépressif réactionnel, aggravant encore le tableau clinique. Peu de médicaments ont un effet significatif sur cet état pathologique.

Quel est l’apport de l’étude en question?

Des scientifiques du King's College de Londres ont étudié 55 patients atteints d'hépatite C chronique. Ces 55 patients ont été soignés par un médicament qui suscite des réactions immunitaires semblables à celles qui se produisent en cas d’infection virale : c’est un interféron alpha. Ces 55 patients ont été particulièrement suivis sur le plan clinique et sur le plan biologique (grâce à des marqueurs immunitaires). Or, sur ces 55 patients, 18 (soit un tiers) se sont distingués : ils ont développé des symptômes du même type que ceux du syndrome de fatigue chronique, tandis que leur système immunitaire se montrait hyperactif (à la suite de sa stimulation par l’interféron alpha). Mais, étant donné que les marqueurs immunitaires étaient surveillés avant, pendant et après le traitement, l’étude a également montré qu’ils avaient déjà avant le traitement une forte activité de leur système immunitaire, comparée aux valeurs de référence. D’où cette idée de suggérer un lien entre une hyperactivité du système immunitaire et le syndrome de fatigue chronique.

Les interférons

Les interférons (IFN) ont été découverts en 1957 : ce sont des glycoprotéines (protéines « sucrées ») que des cellules produisent et libèrent dans le milieu intérieur, lorsqu’elles sont infectées par un virus. Ces IFN sont donc à interpréter comme des messages de détresse, mais aussi de solidarité : « Attention, je suis infectée par un virus, protégez-vous. » Les interférons ne sont pas spécifiques de tel ou tel virus, mais ils sont spécifiques de telle ou telle espèce animale qui les produit (interférons humains, interférons du chimpanzé…). Ce sont des molécules immunitaires non spécifiques (à la différence des anticorps ou immunoglobulines). Les IFN ont une forte activité : ils activent des réactions immunitaires qui aboutissent à rendre les cellules (encore saines) réfractaires à l’infection virale : c’est l’état dit antiviral. Contrairement aux médicaments antiviraux, les interférons qui sont des molécules naturelles n’agissent pas sur les virus, mais sur les cellules susceptibles d’être infectées par eux. Tous les individus n’ont pas la même capacité de production d’interféron et ces différences expliquent en partie les variations de la sensibilité aux virus dans la population.

Il existe trois types ou familles d’interférons.

Les IFN de type I sont produits par presque toutes les cellules de l’organisme lors d’une infection virale. Ce sont des protéines non spécifiques de l’immunité innée appelées des cytokines : médiateurs immunitaires. Ces interférons sont utilisés en thérapeutique antivirale ainsi que pour le diagnostic de certaines infections virales. En plus de leur rôle dans l’établissement d’un état antiviral, les IFN de type I ont des propriétés cytostatiques (ils s’opposent aux divisions cellulaires) et des propriétés immunomodulatrices concernant l’immunité adaptative. Ces dernières propriétés justifient leur utilisation thérapeutique dans certains cancers ainsi que dans les formes graves de maladies dysimmunitaires (polyarthrite, sclérose en plaques…). La grande famille des IFN de type I comporte 14 sous-types chez l’Homme (IFN-α, IFN-β, IFN-κ, IFN-ε, IFN-ω…).

Les IFN de type II sont, contrairement aux précédents, essentiellement des médiateurs de l’immunité adaptative. Cette famille comporte un seul représentant, l’IFN-γ, qui est produit par les lymphocytes T activés et les cellules NK (natural killers : grands lymphocytes tueurs). L’IFN-γ stimule ainsi la réponse lymphocytaire T cytotoxique, ainsi que la production d’anticorps IgG.

Les IFN de type III (ou IFN-λ) ont une expression restreinte aux cellules épithéliales (tissus de revêtement) et jouent donc un rôle spécifique de protection des épithéliums et des muqueuses.

L’hépatite virale de type C

Parmi les trois hépatites A, B et C, c’est la plus redoutable. Le virus VHC est transmis par le sang, à l’occasion de toxicomanie intraveineuse et lors d’actes médicaux invasifs en milieu hospitalier.

Après une incubation de plusieurs semaines survient l’hépatite aiguë qui est le plus souvent cliniquement inapparente et qui guérit spontanément dans 30 % des cas. Mais elle passe à un stade d’infection chronique dans 70 % des cas avec dans ce cas un risque élevé de cirrhose et faible de cancer du foie (hépatocarcinome).

Le traitement de référence de l’hépatite C chronique est l’interféron de type I alpha en association avec de la ribavirine (molécule antivirale, un analogue structural des nucléosides pyrimidiques de l’ARN : le virus VHC est un virus à ARN ; un nucléoside est un nucléotide qui n’est pas encore phosphorylé : pour les nucléotides, voir : https://www.atlantico.fr/node/3558918).

Quelle est l'importance de cette étude ? Le rôle de l'hyperactivité du système immunitaire dans le syndrome de fatigue chronique était-il déjà connu ?

Cette étude n’est qu’une approche sans puissance statistique. Mais elle est pleine d’intérêt, car elle ouvre une porte : celle des relations entre l’état fonctionnel de notre système immunitaire et notre état général de santé (indépendamment de toute infection évolutive). Notre perception habituelle du système immunitaire est qu’il est là pour nous protéger des infections virales et bactériennes. Au fur et à mesure des recherches permises par la biologie moléculaire, on se rend compte qu’il fait beaucoup plus que cela. Il semble véritablement jouer un rôle dans notre état général, mais peut-être est-ce par le biais de l’empêchement ou au contraire du non-empêchement de certaines infections lentes ayant un retentissement sur notre état général ? La question se pose pour certaines infections lentes virales (en particulier à herpès virus) ou bactériennes (en particulier à bactéries du genre borrelia). Toujours est-il que les chercheurs du King's College de Londres semblent avoir mis le doigt sur quelque chose d’important qui devrait nous apporter des clés de compréhension de certains états pathologiques.

On présumait un lien entre un trouble de l’immunité et le syndrome de fatigue chronique, mais pas à notre connaissance sous la forme d’une hyperactivité immunitaire.

C’est l’occasion de rappeler les autres maladies liées à un dysfonctionnement de l’immunité : infections aiguës foudroyantes (hépatite A fulminante), allergies, maladies auto-immunes (comme la sclérose en plaques), déficits de l’immunité…

Le dysfonctionnement du système immunitaire joue-t-il un rôle dans d'autres troubles physiques ou psychiques (la dépression par exemple) ?

Il existe en effet des liens entre l’immunité et la dépression mentale (ou nerveuse).

D’une part, le stress et l’activation de l’axe hypothalamo-hypohyso-surrénalien qui en résulte (l’hypothalamus et l’hypophyse sont deux petites glandes hormonales situées à la base du cerveau; les glandes surrénales sont des glandes hormonales situées au pôle supérieur de chacun des deux reins) lors d’une dépression mentale (ou nerveuse) ont des conséquences sur l’immunité.

D’autre part, la dépression peut être la conséquence d’un trouble immunitaire.

De fait, une équipe belge dirigée par le Pr Nicolas Zdanowicz a suivi 549 patients atteints d’un épisode dépressif majeur. Ce travail a confirmé qu’il existait bien des liens entre immunité et dépression. Il a été présenté lors du 15e Congrès de l’encéphale à Paris du 18 au 20 janvier 2017.

Comment restaure-t-on un fonctionnement normal du système immunitaire ? Des pistes prometteuses sont-elles à l'étude ?

On sait surtout à l’heure actuelle atténuer les réactions du système immunitaire quand elles sont néfastes, à l’aide de médicaments immunosuppresseurs. C’est ce que l’on fait : après une transplantation pour réduire le risque de rejet du greffon par l’hôte ou celui d’agression de l’hôte par le greffon ; en cas de maladie dite auto-immune (comme la sclérose en plaques, mais aussi bien d’autres maladies chroniques de mécanisme voisin : polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante…) ; dans certaines formes sévères d’allergie.

Dans le cas contraire, c’est-à-dire quand il existe un déficit des réactions immunitaires, on dispose de substances immunostimulantes, mais dont l’efficacité reste faible et somme toute trop peu convaincante. Nous avons vu que certains interférons avaient une action immunostimulante vis-à-vis de la défense antivirale.

Mais s’agissant de la restauration d’un fonctionnement physiologique (« normal ») du système immunitaire, la pharmacopée ne nous est pas d’un grand secours. Aujourd’hui, c’est plutôt du côté de la nutrithérapie, de la phytothérapie et de tous les produits et méthodes non médicales de restauration de l’équilibre physiologique qu’il faut se tourner. Manger sainement, éviter le plus possible les intoxications chimiques (solides, liquides et gazeuses) et d’une façon générale vivre sainement (activité physique, promenades en forêt…) sont encore les meilleurs moyens de préserver et d’améliorer son immunité.

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