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Cette “trahison” de Ford dénoncée par Bruno le Maire qui  souligne l’impasse stratégique du gouvernement
©NICOLAS TUCAT / AFP

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Suite à la décision de Ford d’écarter l’offre de reprise de son usine de Blanquefort, laissant entrevoir l’imminence d’un plan social, le ministre de l’économie a parlé de « trahison ».

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Des chiffres décevants de l’emploi du T3 2018 (15 000 emplois créés seulement) à cette décision de Ford, en quoi la rhétorique de la perspective de « lendemains qui chantent » après les efforts, soutenue par le gouvernement, n’est plus suffisante ?


Michel Ruimy : Il faut se remémorer qu’en 2009, Ford avait cédé son usine de Blanquefort à HZ Holding, une entreprise allemande qui n’était pas parvenue à maintenir une activité suffisante. Sous la pression des syndicats et des pouvoirs publics, la marque avait alors repris son usine en 2011 et s’était engagé, en 2013, à maintenir un millier d’emplois jusqu’à mai 2018 sous condition de versements d’aides publiques. Mais, en février de cette année, Ford a annoncé sa décision de ne plus investir dans son usine de Blanquefort et projetait une fermeture pure et simple d’ici fin 2019. 
En fait, cette dernière décision s’inscrit dans une stratégie beaucoup plus grande, celle de l’introduction de l’intelligence artificielle dans le secteur automobile. En effet, le groupe a présenté, à la même époque, un plan d’investissement d’1 milliard de dollars sur cinq ans dans Argo AI, une société spécialisée en robotique et en intelligence artificielle, afin de développer un système de pilotage virtuel pour le futur véhicule autonome de la marque. 
L’intérêt des grands constructeurs pour l’intelligence artificielle n’est pas récent. Si Uber, Tesla ou encore Google semblent bien placés pour lancer leurs véhicules autonomes à court terme, on peut également citer Toyota qui, il y a deux ans, annonçait un investissement à hauteur d’1 milliard de dollars dans le domaine de l’intelligence artificielle. Ce dernier a précisé, le mois dernier, qu’il investirait près de 35 millions de dollars pour le développement de batteries « intelligentes » permettant de réguler la consommation d’énergie. 
De même, l’emploi salarié, qui a augmenté de 15 000 postes au 3ème trimestre - un chiffre stable par rapport à la période précédente -, reste cependant insuffisant pour faire diminuer sensiblement le chômage. D’autant qu’après l’annonce des mesures de soutien au pouvoir d’achat en 2019, décidées par Emmanuel Macron, la Banque de France a révisé à la baisse sa prévision de croissance pour l’économie française à 1,5% en 2018 et 2019, après avoir déjà réduit celle du 4ème trimestre suite au mouvement des « gilets jaunes ». Ce ralentissement devrait avoir des répercussions sur le nombre de créations d’emplois pour les derniers mois de cette année. Déjà, de nombreuses entreprises ont exprimé leurs difficultés à maintenir leur niveau d’activité et ont entamé des démarches pour mettre au chômage partiel leur personnel. Il semble que l’emploi soit semblable à une grande baignoire que l’on ne remplit plus, et dont le niveau d’eau (l’emploi) ne cesse de décroître...
Ainsi, dans le contexte actuel de morosité, il semble qu’il n’y ait plus de « futur ». Il est vrai qu’aujourd’hui, plus personne, à droite comme à gauche, ne parle d’un avenir meilleur, pour soi ou pour ses enfants. Pendant longtemps, le présent était l’apanage du « tyran » en place et « les lendemains qui chantent », « les avenirs radieux », « les grands soirs » celui du peuple… Mais ce partage des rôles a vécu. Aujourd'hui, le libéralisme financier triomphant confisque, tout à la fois, le jour et les lendemains, nous laissant que nos larmes pour pleurer...

En quoi ces déceptions économiques, après les promesses de renouveau, pourraient être un carburant efficace à la poursuite du mouvement des Gilets jaunes dans les prochaines semaines et les prochains mois ?

Le mouvement des « gilets jaunes » révèle, qu’au-delà des revendications - « doléances », notamment une plus grande justice sociale et une demande d’écoute de la part du pouvoir, la démocratie est en crise. Qu’un président élu il y a 18 mois, qui a une majorité absolue au Parlement, doive modifier sa politique sous les violences et les injures, quoi qu’on pense de cette politique, est un précédent qui est peu rassurant.
Par ailleurs, j’userai d’une allégorie. De manière générale, lorsqu’un marchand n’a pas satisfait son client, celui-ci est, par la suite, plus conciliant si, première condition, le commerçant lui présente ses excuses et lui offre un dédommagement et, deuxième condition, que la situation ne se renouvelle pas. Car présenter ses excuses, c’est aussi l’engagement de faire mieux au risque de perdre la confiance de son client.
Les décisions de court terme prises par Emmanuel Macron en ce début de semaine visent, avec leur part d’injustice, essentiellement à restaurer, une partie du pouvoir d’achat des personnes les plus démunies. Après avoir pris acte d’une colère, d’une indignation, le président de la République a fait des efforts financiers - il « lâche » 10 milliards d’euros pour calmer le jeu - afin de satisfaire le plus grand nombre. Maintenant, il faut que la seconde condition se réalise c’est-à-dire que la situation économique et sociale s’améliore au plus vite sinon la confiance des Français envers le gouvernement risque de s’effilocher. 
Or, les perspectives économiques de la France, de l’Union européenne et de l’économie mondiale pour 2019 ne nous poussent guère à l’optimisme. Dans ces conditions, il est à souhaiter que le lancement de la grande concertation nationale - ou négociations décentralisées - débouchent sur des solutions concrètes et surtout adaptées à chaque région, peut-être même à chaque territoire en difficulté. Ce nouveau contrat social pour la France, ce vaste chantier de rénovation de notre démocratie est un immense pari car il s’agit d’un important tournant de ce quinquennat.

Dans un contexte de rassemblement économique confirmé ce 13 décembre par la Banque centrale européenne qui a abaissé ses prévisions de croissance pour 2018 et 2019, et face à l’absence de résultats économiques, le gouvernement ne va-t-il pas être contraint de revoir sa copie sur son approche économique ?


En termes de politique économique, les cinq principaux « travaux » du président de la République consistent aujourd’hui à réduire les dépenses publiques, à rendre la protection sociale plus efficace, à alléger la charge fiscale, à améliorer le climat des affaires et à inciter les ménages à épargner moins et à diriger leurs économies vers le financement des entreprises.
En début de semaine, Emmanuel Macron a pris le contre-pied de ses choix antérieurs, notamment européens, et est parti à Canossa devant la révolte populaire. Il a décidé d’augmenter le SMIC, de « désocialiser » les heures supplémentaires, de supprimer la hausse des carburants, laquelle devait compenser la suppression de la taxe d’habitation, de supprimer la hausse de la CSG pour les revenus inférieurs à 2 000 euros. 
S’il a joué les pompiers de service en tentant d’apaiser, un temps, les tensions toujours vives dans le pays, il doit se garder d’oublier, le calme précaire revenu, que la tempête risque de gronder encore plus fort s’il n’y a pas une inflexion dans sa volonté de transformer le pays. 
En outre, le montant des mesures annoncées est substantiel (8 à 10 milliards d’euros). Reste à savoir comment elles seront financées et si le gouvernement sera en mesure de desserrer les contraintes budgétaires européennes. La question de « l’Europe qui protège » est posée. 

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