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Les schizophrènes, les paumés et les bloqués : radioscopie de ceux à qui l’affaiblissement d’Emmanuel Macron donne des ailes
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Politique

François Bayrou, Laurent Wauquiez, Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure... Qui appartient à quelle catégorie ?

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : La crise des gilets jaunes a montré les limites de l'opposition, laquelle ne semble pas capable de profiter de la situation. Nous avons sorti trois catégories : les "schizophrènes", les "paumés" et les "bloqués". Les politiques "schizophrènes" d’abord, qui ont oublié ce qu'ils avaient été et vont à l'encontre de leur propre parcours. Par exemple Nicolas Sarkozy qui conseille Emmanuel Macron avant son discours. François Bayrou qui critique mais soutient dans le même temps Emmanuel Macron. Dans une moindre mesure, Xavier Bertrand.

Jean-Philippe Moinet : Je ne pense pas qu’une opposition, plus ou moins nuancée portée par ces personnalités de premier plan, relève forcément de la « schizophrénie ». C’est comme affirmer que l’opposition systématique relèverait d’une maladie, de psychorigidité obsessionnelle méritant un traitement ! Nicolas Sarkozy avait sans doute ses raisons pour aller à l’Elysée pour donner ses conseils, d’expérience, sur l’usage de la fonction présidentielle. Peut-être aussi qu’Emmanuel Macron apprécie, comme disait Giscard, de nouer des relations décrispées avec cette personnalité toujours populaire au sein de la famille LR. Une manière de minorer le rôle de Laurent Wauquiez.
Concernant François Bayrou, c’est autre chose : le Président du Modem est clairement situé dans un pacte majoritaire, il l’a redit,  mais l’allié de LREM veut « en même temps » montrer qu’il n’est pas vassal. Il dit ce qu’il pense, en coulisse aussi (et surtout) au chef de l’Etat, que le Président du Modem a soutenu avant le premier tour en 2017. Et Emmanuel Macron apprécie, il demande même, aux alliés qu’il consulte régulièrement de lui livrer sans ambages leurs points de vue, même critiques. Si Bayrou tient à marquer son territoire et faire entendre sa différence, ce n’est pas de la schizophrénie, c’est de la rouerie politique. Il cultive son utilité. Quant à Xavier Bertrand, il a choisi de faire entendre librement ses différences, affirmée régulièrement vis-à-vis du couple exécutif, sans tomber dans le systématisme ou les dérives idéologiques qu’il reproche à Laurent Wauquiez. Des trois que vous citez, le Président des Hauts-de-France est sans doute le plus cohérent, ou plutôt le plus identifiable, en terme stratégique: il a quitté LR et pris date, à la fois contre la droite ultra « identitaire », qu’il refuse catégoriquement même d’approcher, et contre Emmanuel Macron et Edouard Philippe, dont il critique frontalement certains choix, ou non choix.



Deuxième catégorie : les politiques "paumés", qui n'arrivent même plus à proposer une ligne intelligible et semblent incapables de répondre au reparamétrage de la vie politique française : la direction de LR ; la direction du PS/Génération.s

Paumés, c’est un mot peut-être fort, je dirais plutôt « coincés »: entre d’une part le bloc Emmanuel Macron-Edouard Philippe qui a provoqué une recomposition, en tout cas un dépassement organisé du clivage traditionnel gauche-droite, et d’autre part, les deux partis protestataires périphériques, le RN de Marine Le Pen et FI de Jean-Luc Mélenchon. Entre le bloc central et ces deux mouvements nationaux-populistes, il est clair que LR et le PS/Génération.s manquent d’oxygène ! Les radicalités, en termes d’opposition, prennent le dessus en terme de visibilité (médiatique) même si la crédibilité, naturellement, s’en ressent. Comment LR de Laurent Wauquiez et le PS d’Olivier Faure ou le mouvement de Benoît Hamon peuvent-ils exister sans paraitre suivre plus « gueulards » qu’eux ? La gauche de gouvernement est particulièrement en difficulté : elle aurait pu profiter de l’orientation politique d’Emmanuel Macron, perçue plus droitière que gauchiste, notamment sur le plan économique. Le mouvement des gilets jaunes a pris le créneau de la protestation sociale, sans que les partis «établis » de gauche en tire bénéfice, bien au contraire. Car les gilets jaunes sont aussi la démonstration vivante de l’effondrement de certains « corps intermédiaires » que sont les partis et les syndicats. Ceux-ci se sont d’ailleurs, à juste titre, menacés par l’irruption de ce mouvement inorganisé des gilets jaunes, qui a tendance à participer d’un dégagisme qui peut les menacer, si une construction politique se produisait. 



Troisième catégorie côté opposition, les politiques "bloqués", qui semblent entendre la grogne mais ne proposent pas de voie viable pour sortir de la crise, ils sont bloqués par leur positionnement idéologique extrême : Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen d’une part, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et l’extrême gauche d’autre part.

Il est vrai qu’entraînés par des postures outrancières et radicales, Nicolas Dupont-Aignan (qui a manifestement cherché à déborder Marine Le Pen par des surenchères populistes), et la Présidente de RN rejoignent Jean-Luc Mélenchon qui a parlé de louable « insurrection citoyenne » des gilets jaunes. L’extrême gauche a pour sa part toujours apprécié, comme l’extrême droite la plus radicale, des situations de troubles et de violences qui est selon eux le meilleur moyen de mener leur combat et de faire progresser leurs thèses. Révolution sociale d’un côté, révolution nationale de l’autre : des alliances objectives sont à la manœuvre, par le biais de groupuscules activistes, qui ne représentent pas la large majorité des gilets jaunes mais constituent une petite minorité très active qui cherche les troubles. Mais ces marges sont limitées par une autre logique : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon se croyant toujours présidentiable en 2022, ils font primer l’attitude de respect républicain des institutions et ne franchissent pas la ligne rouge de ce qui pourrait paraître cautionner les violences, de type anarchistes ou révolutionnaires. Ils ont raison, y compris en terme de calcul : les Français aiment les mouvements protestataires mais n’aiment pas du tout le désordre, ni comme disait de Gaulle, la chienlit ! C’est pourquoi, pour Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, les gilets jaunes doivent sans doute être canalisés.



En dehors de ces trois catégories d’opposants, sur qui Emmanuel Macron pourrait-il vraiment compter pour relancer son quinquennat ?


Les oppositions ne sont pas composées que de « schizos », de « paumés »-coincés ou de « bloqués »… Pour relancer son quinquennat, Emmanuel Macron doit d’abord compter sur lui-même, sa capacité d’adaptation à la situation de sa propre personnalité et de sa politique, puis éventuellement de son équipe actuelle, celle de ses conseillers à l’Elysée et celle qui constitue le Gouvernement d’Edouard Philippe. Au-delà des questions de personnes, qui peuvent avoir leur importance, c’est l’élargissement du champ de vision et le renouvellement du champ d’imagination qui est plutôt à l’ordre du jour de la Macronie dans cette crise. Le fait que, sous cette contrainte gilets jaunes, le chef de l’Etat se tourne enfin vers les acteurs territoriaux, est sans doute une bonne chose. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les élus locaux, notamment des petites villes périphériques et rurales, disent la même chose car ils sont tous les jours les pieds joints sur terre, celle de la réalité. Cette liaison tardive, si elle devient effective et durable, est de nature, sinon à relancer son quinquennat en tous points, mais à mettre Jupiter en phase avec les acteurs locaux qui se sont senties, à tort ou à raison, abandonnées, voire méprisés.
L’autre voie d’avenir, pour la Macronie en difficulté, est le mouvement : à la fois redonner de la consistance et un rôle au mouvement LREM (et tous ceux qui voudront s’y associer), mouvement trop longtemps inerte, sans fonction véritable depuis l’élection présidentielle. Ce fut une lourde erreur. Le cycle, ouvert, des grands débats nationaux, peut donner un rôle et surtout une utilité réelle à tous ceux et celles qui croient en les vertus et les apports de la démocratie participative et délibérative. Loin des contraintes du pouvoir exécutif, et indépendamment du rôle du Parlement, il manque un troisième pilier à la majorité présidentielle : celui qui est en prise directe avec le terrain, social et politique, du pays.
Des acteurs de la société civile sont encore nombreux à être disponibles, non pour être embrigadés (ce qui les feraient fuir) mais pour contribuer sincèrement, par des propositions nouvelles et des idées originales issues de leur expérience, à permettre au pays de se redresser dans divers domaines : socio-économiques, culturels et civiques. Le temps des réformes et des initiatives doit être poursuivi et non interrompu : l’immobilisme serait une défaite pour Emmanuel Macron et son gouvernement et un problème pour le pays. Le défi du pouvoir est donc de trouver rapidement des ressources, à la fois humaines et financières, pour mener les chantiers ambitieux qu’exige la situation. Cette crise, comme les autres, est aussi le reflet d’une évolution, accélérée. Le passage de transition est plus que délicat. Mais il annonce des mouvements futurs, qui peuvent étonner.  



Sinon, qui pourrait profiter la situation pour répondre aux nouvelles exigences qu'impliquent notamment la crise des gilets jaunes, et se proposer en alternative au macronisme ?


-La force d’Emmanuel Macron, si le pire de la crise des gilets jaunes est passé et malgré les accusations que ce mouvement a porté vers sa personne, est qu’il n’y a aucune alternative crédible politiquement face à lui : toutes les oppositions restent éclatées, non coagulables. Et grâce à la Vème République héritée du général de Gaulle, le Président a la maîtrise du calendrier des élections nationales, qui sont lointaines. Car sauf énorme surprise, on ne voit pas approcher l’hypothèse d’une dissolution nationale, malgré les déclarations de Jean-Luc Mélenchon qui a pris pour habitude de prendre ses désirs pour la réalité (et parfois les Français pour des idiots). Les élections intermédiaires, européennes en particulier en Mai prochain, vont peut être devenir très rudes pour la majorité présidentielle. Mais à part une montée des intentions de vote enregistrées par les sondeurs en faveur du mouvement lepéniste, on ne voit pas d’autres formations tirer les marrons du feu des ronds-points gilets jaunes. C’est d’ailleurs à terme un problème, car la vie politique française ne peut non plus durer éternellement autour d’un tel face-à-face Macron-Le Pen. Cette confrontation tend à appauvrir notre vie politique et le niveau du débat public. La démocratie française mériterait moins de confrontation caricaturale et plus d’apaisement.

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