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Mais combien mesure vraiment l’univers ? La cosmologie voit ses certitudes ébranlées
©YE AUNG THU / AFP

C'est vieux

La communauté scientifique semble traverser une "crise" en ce qui concerne le calcul de la taille de l'univers.

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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Atlantico : D'après de récents articles de presse, la communauté scientifique semble traverser une "crise" en ce qui concerne le calcul de la taille de l'univers. Sur quoi reposent ces dissensions ?

Olivier Sanguy : En effet, le terme "crise" est parfois employé dans des articles de journaux, mais je préfère y voir la façon dont la science avance. Il n’y a pas de dogme en science, car elle progresse en se remettant en cause. Il peut y avoir, comme en cosmologie, un modèle dit standard qui fait consensus, mais ça ne veut surtout pas dire que les scientifiques vont chercher coûte que coûte en permanence à défendre ce modèle. Au contraire. Je ne suis pas moi-même scientifique, mais en écoutant les astronomes, astrophysiciens, planétologues ou cosmologistes (pour rester dans le domaine de l’astronomie et encore j’oublie des tas de disciplines), j’ai appris très vite que les modèles théoriques étaient acceptés par les chercheurs avec leurs limites et défauts. Ce qui signifie que ces limites et défauts sont intégrés au modèle et surtout pas ignorées. À ce sujet, il y a un excellent livre qui est récemment sorti : Big-bang - Comprendre l'univers depuis ici et maintenant par le cosmologiste français Jean-Philippe Uzan. En ce qui concerne la dissension sur la taille de l’univers, plus exactement sur la vitesse de son expansion d’ailleurs, elle vient du fait qu’on ne trouve pas les mêmes chiffres selon les méthodes de mesure !

Quelles sont les différentes méthodes utilisées pour calculer la taille de l'univers ?

Pour rester simple, une première méthode consiste à mesurer le décalage dans le rouge de certaines sources dont on connaît les caractéristiques. Par exemple des étoiles de type céphéides ou les supernovae de type Ia. Le décalage dans le rouge de leur lumière dépend de la vitesse à laquelle elles s’éloignent de nous. En mesurant de telles sources situées dans des galaxies, on mesure donc la vitesse à laquelle une galaxie s’éloigne de nous et donc la vitesse de l’expansion de l’univers. Bien évidemment, il faut tenir compte du mouvement propre de cette galaxie (qui peut se rapprocher d’une autre) et de tas d’autres paramètres, y compris les limites de l’instrument utilisé pour la mesure. De fait, on ne se contente pas d’une mesure sur une galaxie et d’un seul instrument. On cumule les mesures et on fait un énorme travail sur les données. La loi de Hubble (d’après l’astronome américain Edwin Hubble mort en 1953 et non d’après le télescope spatial qui porte son nom !) dit que plus une galaxie est loin de nous et plus elle s’éloigne vite, signe d’une expansion de l’univers. Notons que depuis octobre 2018 on doit dire loi de Hubble-Lemaître pour reconnaître le travail parallèle déterminant de l’astrophysicien belge Georges Lemaître. C’est cette découverte qui entraîna peu après le modèle du Big Bang. Avec les mesures issues des céphéides et des supernova de type Ia, on obtient une valeur moyenne de l’expansion de l’univers de 73 kilomètres par seconde par mégaparsec (un parsec est une unité de distance en astronomie et vaut 3,26 années-lumière). Mais en employant une autre méthode de mesure qui fait appel à l’étude du Fond Diffus Cosmologique (lumière émise 380000 ans après le Big Bang et décalée dans les micro-ondes en raison de l’expansion de l’univers), on en déduit 67 kilomètres par seconde par mégaparsec. Bien évidemment, il y a des fourchettes d’erreur. L’ennui, c’est qu’elle ne se recoupent pratiquement pas ou pas du tout selon les résultats et les méthodes.

L'énergie noire, étudiée de plus en plus précisément ces dernières années, s'insère désormais dans ce débat autour de la taille de l'univers. Quel est son rôle ?

L’énergie noire, ou sombre, est une énergie dont on ne connaît pas la nature et qui accélère l’expansion de l’univers. Et pour ne pas confondre, rappelons que la matière noire, ou sombre, est cette matière dont on voit les effets gravitationnels (notamment sur les galaxies) mais qu’on ne parvient pas à observer dans l’ensemble du spectre électromagnétique. Actuellement, on estime que l’énergie noire représente 68,3 % du bilan masse/énergie de l’univers, la matière noire 26,8 % et la matière dite ordinaire (les atomes qui nous composent par exemple) 4,9 %. L’énergie noire joue-t-elle un rôle dans la différence de mesure de l’expansion de l’univers ? Peut-être. Certains avancent que cette énergie, ou la matière noire, aient pu changer depuis le Big Bang. En effet, on remarque que la méthode de mesure avec les céphéides et les supernovae repose sur ces objets qui sont plus «proches» (toutes proportions gardées) en comparaison de celle qui fait appel au Fond Diffus Cosmologique qui remonte au début de l’univers (en astronomie, regarder loin en distance, c’est regarder loin dans le temps). Peut-être que les lois de la physique ne sont pas exactement partout les mêmes dans l’univers, mais ce serait vraiment révolutionnaire. Peut-être que, plus simplement, nous ne comprenons pas suffisamment les mécanismes des céphéides ou des supernovae de type Ia et qu’en retour elles ne sont pas des repères aussi fiables que ça. Il peut aussi y avoir des imprécisions quant à notre interprétation du Fond Diffus. Enfin, d’autres pointent le fait que cette dissension sur les mesures trahit une faille dans le modèle standard et qu’il convient donc, non pas de le réformer, car ce serait probablement exagéré de le dire, mais de le faire évoluer. Je n’y vois rien de choquant. La science avance ainsi par petites touches. Les révolutions sont rares en science et résultent dans la grande majorité d’une accumulation de petites touches. C’est ce qu’explique, bien mieux que moi d’ailleurs, Jean-Philippe Uzan dans le livre que je citais précédemment.

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