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Pire que Tanguy : quand les millennials rentrent chez leurs parents… et que ça ne se passe qu’à moitié bien
©Allo ciné

Retour à la case départ

L'effet boomerang est le phénomène qui fait que des jeunes adultes retournent vivre chez leurs parents, ayant échoué à vivre indépendamment d'eux.

Elodie Gentina

Elodie Gentina

Docteur en Sciences de Gestion et Professeur en marketing à l’IESEG School of Management, Elodie Gentina est l’auteur de nombreuses publications en France et à l’international sur la Génération Z. Elle est aussi l’auteur de deux ouvrages sur la Génération Z, parus chez Dunod. Elle accompagne aujourd’hui des entreprises pour les aider à mieux comprendre la génération Z, en vue d’adapter leurs stratégies marketing et de management aux besoins de cette génération. 

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Atlantico : Confrontés à de nombreuses difficultés notamment économiques, de plus en plus de jeunes "Millennials ("Génération Y" ou "Digital Migrants") retournent chez leurs parents après avoir tenté de vivre seul. Retrouve-t-on le même comportement en France ?

Elodie Gentina : C'est un sujet qu'on retrouve en Occident et notamment en France. On l'appelle la génération "boomerang", les enfants retournent vivre chez leurs parents après avoir été indépendants pendant un certain moment.

Les chiffres sont éloquents. Depuis les années 2000, le nombre des 18-29 ans habitant dans le foyer parental ne cesse d'augmenter. Selon l'INSEE, en 2013, près d'un adulte sur deux de cette tranche d'âge habite chez ses parents une partie de l'année. 15% des 18-24 ans qui habitent chez leurs parents résident aussi en partie ailleurs. Cela traduit un besoin d'aide financière de la part de leurs parents.

Il existe ensuite le cas de ceux qui retournent vivre chez leurs parents, c'est donc un retour en arrière. Les raisons sont multiples. L'une des principales raisons est bien sûr le chômage qui peut forcer à cet effet "boomerang" et à une perte en apparence d'autonomie.

Ma thèse de doctorat traitait notamment du concept d'autonomie et je pense qu'il faut s'interroger sur la différence entre indépendance et autonomie. On remarque dans notre société – et c'est propre aux sociétés occidentales notamment aux Etats-Unis mais également en Europe – qu'aujourd'hui, l'obtention du diplôme, l'entrée dans la vie professionnelle et le mariage ne marquent plus de façon automatique ou irréversible l'entrée dans la vie adulte. Aujourd'hui les parcours se font selon un effet yoyo, un système essai/erreur.

Le passage de l'adolescence à l'âge adulte s'étale beaucoup plus dans le temps et admets davantage les erreurs. Il n'y a plus de rites de passage comme c'était le cas auparavant. On parle dorénavant de "rite de passage contemporain" qui se définit comme une sorte d'apprentissage progressif et on parle plutôt de processus d'autonomisation. En sociologie, on préfère parler d'autonomie que d'indépendance. Auparavant à l'échelle macro-sociale, être un personnage indépendant signifiait avoir 18 ans, avoir un métier, se marier. On partait de la maison et on ne revenait pas.

Les jeunes peuvent disposer d'une autonomie sans être indépendant. Ils peuvent avoir le contexte social et psychologique pour accéder à l'autonomie sans pour autant avoir les ressources nécessaires à l'indépendance. Ça se traduit donc comme un processus plus que l'accès à un statut et la famille sert de filet de sécurité dans cette période de transition vers l'âge adulte.

Comment expliquer ce phénomène ? Est-il uniquement lié aux difficultés économiques ou à la société occidentale ?

Evidemment le syndrome de la génération "boomerang" est avant tout lié au contexte économique et au taux de chômage. En France notamment, cette génération est la plus touchée par la crise de 2008 et donc par le chômage. Pour les 18-25 ans, le taux de chômage est passé de 10% en 1980 à 24%. Ces jeunes qu'on appelle "NEET" (Not in Education, Employment, or Training) vont cumuler des petits boulots, des emplois précaires, des CDD, des stages et vont avoir une relation au travail différente. L'entreprise ne peut plus leur promettre la même chose qu'à leurs parents et le CDI est pour eux est devenu un Graal inaccessible. Et lorsqu'on est en quête de ressources financières, on est tenté de retourner chez ses parents.

Cette génération "switch" a également besoin de "switcher" entre différentes missions, ont envie de créer leur entreprise et ont une relation à l'argent qui est différente qui fait qu'ils vivront moins mal le fait de retourner chez leurs parents pour économiser, créer leur société et ne plus dépendre d'un patron.

Vouloir créer son entreprise symbolise aussi une recherche de l'autonomie…

C'est  assez peu le cas pour la génération Z qui est moins dans la recherche de la création mais c'est le cas pour la génération Y. Ces jeunes n'arrivent plus à trouver des réponses et un équilibre de vie dans l'entreprise même. Ils recherchent une relation gagnant/gagnant et ont une relation à l'autorité qui est différente. Ce qu'ils cherchent dans l'entreprise c'est un modèle de management beaucoup plus horizontal.

En école de commerce, on remarque par exemple qu'1/3 des étudiants veulent un petit boulot pour avoir une expérience dans la vie mais leur but est de créer leur entreprise et pour ça il faut se financer. Et sans salaire, retourner chez les parents permet d'avoir un certain confort. C'est pourquoi l'on parle plutôt d'acquisition d'autonomie que d'indépendance.

Le caractère économique est donc évident dans cet effet "boomerang".

Quelles peuvent être les conséquences de cette situation et de ce contexte pour les jeunes et leur famille ?

Ca a un impact sur la confiance en soi. De manière plus général, et notamment en France, la génération Y est très sujette au stress, via notamment les smartphone, et le gère moins bien que les autres. Une étude de 2017, dont je parle dans mon prochain livre, explique que la France est l'un des pays les plus pessimistes au niveau de la jeunesse. En Europe, 68% des jeunes de 15-25 ans se disent "contents", pour la France ce chiffre tombe à 57%. Le taux de suicide est la deuxième cause de mortalité pour les 15-44 ans. Les jeunes en France sont deux fois plus stressés pour leur futur que dans les autres pays.

Il y a donc un mal-être existentiel dans le travail, et on peut peut-être le relier aux parents et à l'éducation. Les relations ont changé et sont beaucoup plus égalitaires. Nous sommes face à une fin de l'autorité et un triomphe de l'individualisme exacerbé. Cela peut apporter une vision erronée de la motivation au travail ou de la capacité à se projeter dans l'avenir. Le côté surprotecteur des parents sur la génération Y peut aussi expliquer le souhait de retourner dans le cocon familial.

Si l'on retrouve plus ce schéma dans la société occidentale que dans la société asiatique par exemple, c'est lié à plusieurs différences culturelles. En occident, nous sommes dans des pays plutôt axés sur l'individualisme qui construisent leur identité par rapport à eux-mêmes alors qu'en Asie on retrouvera plus de collectivisme.

Par exemple au Japon ou en Chine, il existe un respect profond de la famille et du maintien de sa place dans l'environnement familial. Les parents sont les parents et les enfants restent les enfants. L'apprentissage se fait de manière continue mais avec moins de retour en arrière. Il y a un respect de la hiérarchie et quand l'enfant part, c'est définitif. En France aujourd'hui, les relations parents/enfants sont beaucoup plus égalitaires. Nous ne sommes plus sur une relation autoritaire mais de partage et parfois on peut assister à un renversement de situation.

Un grand qui revient à la maison posera moins de problème, choquera moins.

Le fait de revenir au sein de la famille peut avoir des conséquences, cela évoque notamment une forme de panne d'ascenseur social pour les jeunes.  

Au sens plus large, cela peut avoir une conséquence démographique. Il peut y avoir un décrochage de la fécondité, ce retour à la maison marquant l'arrêt de la vie sur certaine chose au niveau émotionnelle. On comprend bien qu'il est plus difficile de construire sa propre famille ou d'entretenir des relations amoureuses lorsque l'on vit chez ses parents. On se projette plus difficilement dans le futur. 

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