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Prometteur : un nouveau test sanguin permet de détecter ET d’identifier certains cancers
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Avancée médicale

Une équipe de chercheurs dirigée par le docteur Daniel De Carvalho, de l'University Health Network au Canada, a mis au point un test sanguin permettant de détecter de nombreux cancers, avant l'arrivée des premiers symptômes.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Au Canada, une équipe de chercheurs a mis au point un test sanguin qui permet de détecter de nombreux cancers. Cette étude a été publiée dans le journal "Nature". Comment ce test fonctionne-t-il et est-il fiable ?

Stéphane Gayet : On ne peut pas faire l’économie de quelques notions biochimiques au sujet et autour du fameux ADN, car il va être question de gènes et d’épigènes, de génétique et d’épigénétique.

Cela commence avec le nucléotide. On remarque que le préfixe « nuclé » est souvent présent dans le vocabulaire de l’ADN. Il signifie « qui concerne le noyau » : on sait que les gènes d’une cellule sont dans son noyau. Le terme nucléotide désigne un groupe de substances formées de trois molécules : un pentose (sucre - ou glucide - simple qui comporte cinq atomes de carbone : ribose ou désoxyribose), une base azotée pouvant être de type purique (adénine, guanine) ou bien pyrimidique (cytosine, thymine, uracile) et un acide phosphorique. Deux nucléotides diffèrent entre eux par leur pentose et leur base.

L’ADN ou acide désoxyribonucléique est une grosse molécule (macromolécule : masse moléculaire élevée) constituée de deux longues chaînes (molécule « double brin ») qui sont des polymères de nucléotides. Les deux chaînes de nucléotides constitutives de l’ADN sont complémentaires l’une de l’autre, liées entre elles et parallèles (comme les deux montants d’une échelle) et leur ensemble est vrillé. Dans la molécule d’ADN, le pentose est toujours le désoxyribose. Les bases sont l’adénine (A), la guanine (G), la cytosine (C) et la thymine (T). Dès lors, deux molécules d’ADN diffèrent entre elles par les bases A, G, C, T : leurs nombres respectifs et surtout leur ordre dans la chaîne. C’est le fondement du code génétique qui ressemble à un code informatique (ACC-TCG-GGA-ATG…).

L’ARN ou acide ribonucléique ressemble beaucoup à l’ADN. Mais il est en général constitué d’une seule chaîne (molécule « simple brin ») de nucléotides. Le pentose est toujours le ribose. Les bases pyrimidiques sont la cytosine (C) et l’uracile (U). On voit que la thymine caractérise l’ADN, l’uracile l’ARN.

Les codons, les gènes et le génome

L’unité du code génétique est appelée codon ; un codon est un triplet de nucléotides désignés par leur base. Des exemples de codon : AAG, AGC, ATT, AAT, AGT, TCG, etc. Un gène est une unité fonctionnelle élémentaire de l’ADN, qui est constituée de plusieurs codons : il détient des instructions héréditaires qui peuvent être dormantes ou à l’inverse exprimées. Un gène qui s’exprime le fait par l’intermédiaire de la synthèse de protéines (protéines de structure, protéines enzymes…). Car les protéines sont les molécules essentielles de la biochimie (chimie du vivant). Un gène peut se modifier : mutation génique.

L’ADN est un constituant pratiquement universel de la matière vivante ; il fait partie des chromosomes où il se trouve sous la forme de nucléoprotéines (il est associé à des protéines basiques : les histones) qui constituent la chromatine.

Le génome est l’ensemble des gènes et donc des nucléotides (désignés par leur base) d’un individu. Le génome de l’homme serait constitué d’environ 3,2 milliards de nucléotides (de bases). La carte d’identité génétique ou génome d’une personne est donc déterminée par l’ordre des bases dans la chaîne d’ADN. A bien noter : les gènes ne représentent qu’une très petite partie de l’ADN (le reste a une fonction dont on connaît encore mal le rôle).

L’unicité et la stabilité du génome chez un individu donné

Chez un individu donné, toutes les cellules (quelques dizaines de bilions chez l’homme) ont le même génome : l’ADN en est le support et c’est une molécule stable qui est à la fois protégée et réparée en cas de besoin. A bien noter : il n’y a pas que de l’ADN génomique ; il existe également d’autres types d’ADN, comme celui qui est présent dans les mitochondries. L’ADN génomique du corps humain a une longueur d’environ deux mètres : il est pelotonné d’une façon extrêmement serrée et cet enroulement est permis grâce aux histones qui le protègent et le condensent.

Les gènes et les épigènes, le génome et l’épigénome, la génétique et l’épigénétique

Une fois que l’on avait découvert le code génétique, puis mis au point les outils moléculaires permettant de séquencer le génome d’un individu, on croyait que l’on avait accès à tout ce qui déterminait cet individu. On pensait que la génétique déterminait tout et expliquait tout. Mais c’était sans tenir compte de l’épigénétique. Un épigène est une modification d’un chromosome qui ne dénature aucun gène mais influe sur lui. Il modifie un chromosome d’une façon réversible, mais tout en étant parfois curieusement transmissible à la descendance. Un épigène accompagne un ou plusieurs gènes et modifie leur expression. Comment se forment les épigènes ? Ils résultent de l’action de différents facteurs sur les chromosomes (environnement, substances chimiques, phénomènes physiques, nourriture, âge). L’épigénome désigne donc un ensemble de modifications acquises des chromosomes qui ne portent pas sur la nature des gènes, qui sont réversibles et qui peuvent être transmises héréditairement. On est donc bien obligé d’admettre que la vie mais aussi l’hérédité sont régies tant par la génétique que par l’épigénétique. L’épigénétique expliquerait que la vie d’une personne puisse avoir des répercussions sur le patrimoine héréditaire qu’elle transmettra à sa descendance. Aujourd’hui, on admet que l’épigénétique serait presque aussi importante que la génétique. C’est une désillusion de plus pour les transhumanistes qui imaginaient tout maîtriser chez l’homme à partir de son génome.

Les altérations géniques et épigéniques des cellules cancéreuses

Une cellule cancéreuse est une cellule profondément anormale qui est devenue agressive et insoumise. Elle résulte de la transformation cancéreuse ou maligne d’une cellule normale qui porte sur un ou plusieurs chromosomes. Elle met des mois et plutôt des années à s’effectuer, car l’ADN est stable, protégé et réparé lorsqu’il est altéré. On connaît de mieux en mieux les altérations géniques de nombreux cancers. Mais pour un cancer donné, les altérations géniques sont en général limitées (il suffit qu’un gène critique soit altéré). Une cellule cancéreuse se divise énormément, puis finit par mourir. En mourant, elle libère le contenu de son noyau qui peut passer dans le sang, quel que soit l’organe d’origine du cancer. On peut détecter de l’ADN tumoral grâce au repérage des gènes modifiés caractéristiques de tel ou tel cancer. Mais c’est très laborieux, car l’ADN tumoral est noyé parmi des milliards d’ADN normaux et il y est de surcroît en très petite quantité au début du cancer (phase la plus intéressante).

On a longtemps considéré qu’une cellule cancéreuse était fondamentalement caractérisée par la modification d’un ou de plusieurs gènes. On sait maintenant qu’elle comporte aussi des épigènes qui précèdent, déterminent et accompagnent les gènes tumoraux modifiés. Ces altérations épigéniques (ou épigénétiques) des chromosomes des cellules cancéreuses sont en réalité nombreuses et précoces, d’où l’intérêt de leur détection. Ainsi, étant donné les grandes difficultés à détecter des gènes cancéreux dans le sang circulant et le très faible rendement de cette méthode, cette équipe de chercheurs canadiens dirigée par le docteur Daniel De Carvalho s’est intéressée cette fois aux anomalies épigéniques des cellules cancéreuses. Ce travail est titanesque, car à la différence des altérations géniques, les anomalies épigéniques sont nombreuses et la plupart sont non spécifiques des cellules cancéreuses. Il a donc fallu étudier un nombre immense de témoins indemnes de cancer et un grand nombre de cellules cancéreuses obtenues chez des malades. Ce travail a pu être réalisé grâce aux formidables logiciels de traitement statistique de bases de données gigantesques et aux systèmes informatiques experts éducables. Les chercheurs ont fini par trouver des modifications épigéniques caractéristiques de certains cancers. Leur détection dans le sang circulant est désormais possible grâce aux sondes ultra sensibles (amplification de signal) de biologie moléculaire. Leur sensibilité est déjà intéressante (détection de cancers débutants) et fera sûrement des progrès. Le travail a porté sur les cancers du pancréas, du sein, du poumon (cancer bronchique), du rein, de la vessie et sur la leucémie myéloïde aiguë. Tous ces cancers sont de redoutables tueurs et souvent diagnostiqués à un stade trop avancé. On ne peut pas encore parler véritablement de test, mais plutôt de méthode innovante de détection précoce. Ce travail scientifique de haut niveau a été publié dans la revue « Nature » qui est une revue scientifique généraliste de référence dont le siège est au Royaume-Uni.

Comment fait-on pour détecter un cancer ? En quoi la mise au point de ce test est-elle importante pour la médecine ?

L’article (au format de « Letter » ou lettre) est impressionnant de détails concernant le travail de recherche qui a été mené et l’exploitation de ses résultats. Il est l’œuvre de 38 auteurs sous la houlette du docteur Daniel De Carvalho. Ce chercheur plutôt jeune est l’un des spécialistes mondiaux de l’épigénétique des cancers. Il y a évidemment d’autres équipes dans le monde qui travaillent sur ce sujet, dont des équipes françaises, mais il semble avoir une longueur d’avance sur les autres. Cette publication de grande qualité confirme sa position de leader. D’autres équipes vont probablement réagir bientôt. Car la recherche scientifique est devenue aujourd’hui très concurrentielle. On peut concevoir la frustration des autres équipes qui sont sur le point d’aboutir à des résultats du même type.

Mais si cette avancée – et non pas cette découverte – est d’un immense intérêt et représente une véritable prouesse sur le plan technologique et épidémiologique, il faut quand même en relativiser les retombées. Ce travail a été conduit sur un nombre assez réduit de cancers parmi les plus graves ; il reste beaucoup d’autres cancers à étudier. Surtout, le coût de la technique est élevé et dans le contexte actuel d’économie de la santé sous tension dans tous les pays, c’est un casse-tête.

Néanmoins, le principe de la détection non invasive (sans examen douloureux ni agressif, mais par un prélèvement de sang) de cancers potentiellement graves à un stade très précoce – alors que l’on ne ressent absolument rien – est bien sûr plein d’intérêt en raison de son innocuité et donc de son caractère bénin et répétable (sans tenir compte de son coût). Il restera cependant toujours des faux positifs (diagnostics erronés de cancers qui n’existent pas : manque de spécificité) et des faux négatifs (rassurements erronés alors qu’il existe un cancer débutant : insuffisance de sensibilité). Mais cela va s’améliorer certainement, cependant avec un coût probablement toujours plus élevé.

Ce test peut détecter les cancers avant l'arrivée des premiers symptômes. En quoi cela pourrait-il aider les personnes atteintes ?

Le risque de cancer augmente avec l’âge. Il devient significatif à partir de 50 ans. Ce risque est également plus élevé dans certaines familles (composante héréditaire de certains cancers : sein, côlon…), lors de l’exercice de certaines professions et pour certains modes de vie (tabac, alcool, autres produits chimiques, virus…). La mise à disposition d’une telle méthode de détection précoce et non invasive peut permettre de suivre régulièrement les personnes à risque de cancer. Ensuite, si tel ou tel cancer est détecté dans le sang par la mise en évidence de ses épigènes caractéristiques, la personne concernée sera incitée à consulter un spécialiste pour que soient effectués des examens en général invasifs, afin de confirmer et localiser le cancer, de façon à le prendre en charge et dans la mesure du possible l’éradiquer dans l’œuf. L’idée est donc de guérir les cancers tout débutants avant même qu’ils n’aient eu le moindre retentissement sur l’organisme.

Il existe cependant un risque de surdiagnostic, dans la mesure où nous avons très probablement toutes et tous ou presque à partir de 50 ans des petits pré-cancers qui débutent puis qui avortent. Donc, si la sensibilité de la méthode est trop poussée, on risque de faire des diagnostics de cancer à des personnes qui auraient pu se passer d’une prise en charge thérapeutique agressive. On peut donc craindre d’inquiéter des personnes de façon inappropriée.

Par ailleurs, cette méthode innovante, sensible et non invasive a un autre intérêt et qui est peut-être supérieur au premier : il est possible de détecter grâce à elle une récidive de cancer après un traitement efficace et cela avant que les examens dits classiques (ceux d’imagerie habituelle : échographie, angiographie, scanner, IRM) ne révèlent encore la moindre anomalie. Mais là aussi avec le risque d’une forte sensibilité diagnostique : la possibilité de faux positifs qui inquiètent à tort.

Toujours est-il qu’il est permis d’imaginer un futur plus ou moins proche où chacune et chacun ira chaque année se faire prélever du sang pour rechercher les traces épigénétiques des cancers les plus redoutables à un stade très précoce. Mais avec l’inquiétude concernant les résultats…

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