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Pourquoi Rouhani ne parviendra pas à casser les sanctions américaines contre l’Iran quels que soient ses espoirs
©ATTA KENARE / AFP

Bras de fer

Suite à la mise en place des nouvelles sanctions américaines à l'encontre de Téhéran ce 5 novembre, le Président Hassan Rouhani a pu indiquer "Les Américains voulaient réduire à néant les ventes de pétrole iranien (…). Mais nous continuerons de vendre notre pétrole".

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Atlantico : L'Iran a-t-il les moyens de contourner les sanctions américaines ? 

Ardavan Amir-Aslani : Non. Les sanctions qui ont été transposées le 5 novembre à minuit sont les plus dures que les Etats-Unis n’aient jamais adoptées contre ce pays. Rappelons qu’il s’agit là de la re-transposition des sanctions qui existaient préalablement à la signature de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015. Ces dernières qui avaient été levées à cette occasion sont donc de nouveau appliquées. Ces sanctions viseront aussi bien le secteur de la production pétrolière, que celui du secteur bancaire ainsi que les secteurs de la construction navale et du transport maritime. D’un point de vue pratique, l’immense majorité des établissements de crédit et autres institutions financières iraniennes seront coupées du circuit bancaire international Swift, hormis pour les « transactions humanitaires ».
D’ores et déjà, plus de sept cents entités nouvelles, aussi bien des établissements financiers que des individus, ont été ajoutés à la liste des personnes assujetties à des sanctions. La crainte de ces sanctions a déjà réduit les exportations iraniennes de 2/3. Aujourd’hui, l’Iran n’exporte guère plus de 1,4 million de barils/jour par rapport au haut d’avril dernier, soit 3 millions de barils/jour. Cet écart a d’ores et déjà été rempli par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et la Russie. L’Iran a donc perdu ses clients acheteurs à due concurrence.
Les huit pays qui continueront de bénéficier des « waivers » ou des dérogations sur 6 mois seront dans l’obligation, dans le temps, de réduire leurs achats à zéro. Par ailleurs, ces dérogations américaines ne doivent pas être interprétées comme un signe de tendresse à l’égard de l’Iran ou une bouffée d’oxygène voulue par Washington envers l’économie iranienne car le fruit de ces ventes ne sera pas versé à l‘Iran. En effet, la contrepartie de ces ventes sera versée sur des comptes séquestres en monnaie locale de ces pays. L’Iran ne pourra les utiliser que pour effectuer des achats autorisés par les Etats-Unis (alimentation et pharmacie). 

Au delà des entreprises, quelles sont les pays qui pourraient accepter d'absorber la production iranienne ? Quels sont les risques encourus ? 

Les majors se sont retirés du marché iranien. Le français Total, l’espagnol Repsol et l’Italien Eni ont arrêté de s’approvisionner en Iran. Les seuls pays autorisés à acheter du pétrole iranien sont la Chine, l’Inde, l’Italie, la Grèce, le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et la Turquie. Comme rappelé plus haut outre le risque de se voir sanctionné, et ce de manière disproportionnée, pour l’infraction commise, la difficulté majeure pour l’Iran sera de pouvoir rapatrier le fruit des ventes réalisées ; chose qui risque d’être particulièrement difficile du fait de la coupure de l’Iran du système financier international.
Les entreprises qui seraient épinglées risquent des sanctions financières extrêmes et l’interdiction d’avoir accès au marché américain. Les Américains sont d’ores et déjà en train de chercher celle dont ils feront un cas d’école.

Téhéran pourrait-elle passer au travers d'une négociation directe avec les Etats-Unis pour retrouver ses capacités d'exportation pétrolière ? 

Les Etats-Unis sont la seule puissance complète, aussi bien militaire que diplomatique et économique. Ce pays représente 25% de l’économie mondiale. Il a transformé son droit national en un droit international autonome ayant entrainé une véritable extraterritorialité. L’incapacité de l’Europe d’enrayer son pouvoir est une indication de sa puissance et de l’inévitabilité d’une négociation bilatérale à venir.
Il est vrai que les Européens ont discuté dès le retrait américain de l’accord nucléaire le 6 mai dernier des hypothèses permettant de sauver de l’accord et de contourner les sanctions américaines. Mais ces initiatives n’ont pas abouti.
Le dispositif des « lois de blocage », qui permettrait de dispenser les entreprises européennes de tenir compte des sanctions américaines, s’applique mal à des grands groupes du CAC 40 dont l’essentiel des échanges internationaux se fait avec les Etats-Unis. Sans surprise, Mike Pompeo, le Secrétaire d’Etat américain,  a refusé d’accorder des exemptions à ces grands groupes, bien qu’ils en aient fait la demande.
La création d’un fonds souverain européen qui financerait les projets d’investissements en Iran n’a pas abouti, tandis que celle d’un OFAC européen a carrément été mise de côté tant elle semblait inutile. En effet, même si l’Union européenne disposait du même droit de sanction que les Américains, on imagine mal qu’elle l’exerce contre des entreprises américaines, les cas où il y aurait divergences d’intérêt étant trop rares. 
Enfin, le SPV (Special purpose vehicle ou « véhicule spécial »), un système de chambre de compensation devant permettre à l'Iran de continuer à vendre du pétrole et proposé par l’Union européenne, n’a pas encore été créé faute de pays européens volontaires pour l’accueillir sur leur territoire et d’acheteurs européens disposés à acheter du pétrole iranien.
Cependant, le soutien de l’Europe demeure non négligeable car il s’agit là véritablement du seul soutien politique dont l’Iran peut disposer. Inévitablement, les récentes tentatives d’attentats attribués à l’Iran à Paris et au Danemark pourraient servir d’arguments à un réalignement de l’Europe sur la position de Washington. À ce titre, le Danemark a rappelé son ambassadeur en Iran, tandis que la France et la République islamique n’ont plus échangé d’ambassadeurs respectifs depuis de 6 mois. 
De leurs côtés, la Chine et à la Russie, et ce en dépit du fait que la Chine soit l’un des principaux acteurs du pétrole iranien, ne peuvent représenter des soutiens de poids, car la Chine est empêtrée dans une guerre commerciale avec les Etats-Unis et la Russie touchée elle-même par des sanctions économiques dévastatrices. En outre, le marché chinois aux Etats-Unis représente 400 milliards de dollars par an, sans compter 1000 milliards de dollars en bons du Trésor. La Russie pour sa part, espère surtout la levée de ses propres sanctions afin de pouvoir réintégrer le G8.
L’Iran est donc acculé de négocier avec Washington. La question n’est donc pas de savoir si ces négociations auront lieu mais qui du coté iranien va les mener et quand. Rouhani, symbole de l’échec de l’accord nucléaire, ne saurait incarner ce rôle. Peut-être que des élections anticipées suite à sa démission éventuelle pourront designer celui qui en aura la responsabilité d’entamer le dialogue avec la Maison Blanche.

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