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Génome : ne vous inquiétez pas si on vole vos données génétiques, elles ne valent rien… En tout cas pour l’instant
©wikipédia

Banque de données génétiques

Un article du site Medium s'interroge sur la possibilité d'un vol de génome. Mais qu'elles sont les informations qui ont liées à notre génome ? Quel risque court-on à se les faire dérober ?

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : Un article du site Medium s'interroge sur la possibilité d'un vol de génome. Concrètement, quelles informations sont aujourd'hui liées au génome d'un individu ? Qu'encourt-on à se faire dérober les informations contenues dans son génome ? 

Laurent Alexandre : D’abord, le génome d'un individu permet de déterminer ses origines géographiques, ce qui peut poser des problèmes d'ordre politique à un individu. Par exemple, chez les suprémacistes blancs. Chez l'un des leaders des suprémacistes des États-Unis,  le test a révélé qu'une partie de son génome était d'origine afro-américaine. 

Autre information révélée par le génome d'un individu : les informations d'ordre familial. L'un de mes amis, notoirement connu, s'est fait séquencer auprès d'une société américaine spécialisée. Il a découvert que l'un de ses grands-parents n'était en réalité pas son aïeul. 

Le séquençage permet aussi d'établir, chez une personne, un certain nombre de prédispositions ou de caractéristiques médicales, psychologiques et cognitives. Par exemple, certaines variants génétiques favorisent certains comportements sexuels, même s'ils ne les déterminent pas à 100%. On sait ainsi que certains variants génétiques favorisent le fait d'être gay plutôt d'hétérosexuel. Or, il s'agit d'une information qui, en politique, notamment, peut avoir des conséquences graves. Ces informations peuvent servir à faire chanter quelqu'un, ou pousser à faire une enquête ciblée ultérieure visant à découvrir des informations sensibles. 

En ce qui concerne les caractéristiques cognitives, on peut déterminer, de manière de plus en plus précise, les caractéristiques intellectuelles et psychologiques d'un individu. 

C'est aussi valable pour l'état de santé d'une personne. Le séquençage du génome permet par exemple d'établir la maladie que quelqu'un cacherait, ou dont il serait lui-même inconscient. On sait ainsi que Sergueï Brin - qui s'est fait séquencer par l'entreprise de séquençage dont Google est actionnaire, 23andMe -, a trois chances sur quatre de développer la maladie de Parkinson. Et s'il a publiquement révélé cette information, cela peut être problématique pour d'autres personnalités publiques, politiques par exemple. Et de la même manière, une personne dont on saurait qu'elle présente une prédisposition à une maladie mortelle, pourrait être fragilisée. Cela peut même favoriser l'empoisonnement, par un tiers malveillant : le séquençage peut permettre de voir quelles sont les fragilités hépatiques, médicales... Tout cela pour choisir le bon poison à destination d'un individu précis. Il est aussi possible de déterminer les maladies dont souffre une personne, et donc ses faiblesses.

En résumé, le séquençage du génome offre de multiples utilisations, notamment malveillantes, aux personnes qui pourraient se les procurer. Cela permet même d'avoir une idée du portrait psychologique de l'individu séquencé. On sait que certains variants génétiques favorisent certaines caractéristiques psychologiques. Et cela peut faciliter la manipulation de cette personne.

Les avancées scientifiques semblent conduire tout droit vers une association du génome humain à tous types d'informations. Quelles seront-elles ? Quels seraient les risques, d'un point de vue sécuritaire ? La société polarisée mise en exergue, notamment, par le film "Bienvenue à Gattaca", où les individus les moins fiables sur le plan génétique seraient exclus, est-elle à craindre 

Distinguons deux choses : d'abord, il n'est pas autorisé, pour une entreprise privée, de séquencer un individu sans son autorisation. Un assureur ou une banque ne pourraient ainsi pas séquencer un individu pour établir sa solvabilité. Mais quelqu'un peut, de son propre chef, accepter l'utilisation de son ADN par une plateforme de streaming musical ou vidéo, pour qu'elle lui propose des musiques, des films, des séries, entraînant un plus grand plaisir. Il serait aussi possible de personnaliser les régimes - ce qui se fait déjà maladroitement -, pourquoi ne le ferait-on pas ? Ces régimes permettraient donc de réduire le risque de maladies de manière précise. La personnalisation n'est donc pas forcément négative. Dans le futur, donc, et c'est ma conviction, on se servira de l'ADN pour améliorer l'éducation en la personnalisant en fonction du génome de chaque enfant. Et cela permettrait sans doute de réduire les inégalités.

La perspective d'une société polarisée est quelque chose de certain : aujourd'hui, les transhumanistes sont en désaccord avec ceux qui s'opposent à ce mouvement bioprogressiste. On se dirige donc vers une société dans laquelle les enfants de certains seront augmentés, génétiquement sélectionnés. Et de l'autre côté, certains enfants seront "naturels". Au nom de quoi empêcherait-on certains parents d'optimiser leurs enfants ? Pourquoi des personnes d'une condition modeste devraient-ils nécessairement engendrer des enfants de la même condition ? Demain, on peut parfaitement imaginer que la génétique soit un outil d'ascension sociale. 

Quels types de dispositifs de sécurité sont déjà prévus pour anticiper ce futur pas si lointain où nos informations personnelles seront liées à notre génome ?

D'ores et déjà, la législation est très restrictive en France. C'est d'ailleurs ce qui bloque le développement de la génomique : on n'a pas le droit, par exemple, de faire de tests génomiques s'ils ne sont pas prescrits par un docteur. C'est aussi pour cela que les États-Unis et la Chine se développent beaucoup plus vite dans les analyses génomiques. Bien entendu, les entreprises n'ont pas le droit de prélever ces données à l'insu d'une personne. 

Tout cela, bien sûr, n'empêche pas le vol, le hacking des datas dans les bases de données génomiques. Il y a aussi des détournements auxquels on n'avait pas pensé. Par exemple, beaucoup d'enfants, séquencés sur 23andMe, retrouvent leurs parents ou les donneurs de sperme à l'origine de leur conception. Certains retrouvent aussi leurs frères et sœurs biologiques. 

Autre problématique soulevée : la génomique au service des autorités. Un tueur en série (ndlr : le "Tueur du Golden State", Joseph James DeAngelo) a par exemple été retrouvé, aux États-Unis, grâce à l'ADN d'un membre éloigné de sa famille. Le serial killer avait laissé son ADN sur le lieu d'un de ses crimes et un membre de famille s'était fait séquencer par un site internet de généalogie. La police a donc fait le lien entre les deux personnes, et a pu procéder à l'arrestation du meurtrier. 

Pour le reste, d'autres risques liés au séquençage vont apparaître au fur et à mesure que la technique va se développer et se démocratiser. Les problèmes qui vont se poser seront aussi sociétaux et politiques.

Une autre question, essentielle dans ce domaine, sera l'appétence du grand public pour cette technique. Si les oppositions se font aujourd'hui jour, rappelons-nous de l'accueil qu'avait reçu internet en France, à ses débuts, massivement rejeté. S'il y a un avantage important à développer ces technologies d'un point de vue médical, notamment, les gens accepteront assez vite pour moins souffrir, moins vieillir, etc. Si l'intérêt médical est modeste, tout cela se démocratisera moins vite. 

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