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République Tchèque et Slovaquie : Emmanuel Macron tente de séduire chez les alliés de Viktor Orban
©LUDOVIC MARIN / AFP

Maillons faibles

Cette semaine, le Premier ministre Viktor Orban a comparé lors d'un discours l'UE à l'URSS, et le gouvernement polonais de a été sommé de retirer une loi sur sa cour suprême.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : En allant visiter la République Tchèque et la Slovaquie, Emmanuel Macron tente-t-il de trouver des soutiens chez les membres les moins controversés de Visegrad, alors qu'il prépare une campagne européenne très clairement dirigée contre Viktor Orban et son projet d'Europe des nations ?

Cyrille Bret : Comparer l’Union Européenne à l’URSS est slogan politique facile, mobilisateur et fallacieux. En dressant ce parallèle, le Premier ministre hongrois, vainqueur très net des dernières élections législative en avril dernier entend mobiliser bien au-delà de ses frontières. Il a gagné la bataille de l’opinion dans son propre pays. Ce slogan s’adresse plus largement à tous les Etats qui ont eu à souffrir de la domination soviétique de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale à la chute du Mur de Berlin en 1989 et à la fin de l’URSS en 1991. A toutes les anciennes démocraties populaires comme la Pologne ou la Roumanie, il adresse un message souverainiste : de même que l’URSS a suspendu la souveraineté des peuples d’Europe centrale en réprimant les mouvements de Berlin en 1953, Budapest en 1956 ou encore Prague en 1968, de même l’Union européenne est en elle-même attentatoire aux souverainetés nationales en imposant une répartition des migrants, des normes d’Etat de droit et des protections des minorités. Le message est efficace car il peut servir de point de ralliement à tous les partis souverainistes en Europe qu’il s’agisse du PiS en Pologne, de la coalition ÖVP-FPÖ en Autriche, de la Ligue en Italie ou encore du mouvement de Marine Le Pen. Mais cette comparaison est de mauvaise foi : l’URSS a placé ces Etats dans une dépendance militaire, politique, économique et idéologique attentatoires non seulement aux souverainetés nationales mais également aux droits fondamentaux. En plaçant des troupes dans tous ces pays par le biais du Pacte de Varsovie, en imposant une division du travail entre les économies nationales via le Comecon ou encore en imposant la domination du parti communiste et de son idéologie totalitaire par l’intermédiaire du communisme d’Etat, l’URSS a instauré dans ces Etats une domination de type colonial au profit d’idéaux totalitaires. L’Union européenne ne peut être comparé sans mauvaise foi et sans scandale à l’URSS : l’adhésion à l’Union européenne est volontaire et réversible, la protection des souverainetés nationales est centrale pour le projet européenne, la sauvegarde des intérêts nationaux et des libertés publiques est dans l’ADN de l’Union. Enfin, l’Union a assuré le développement de ces Etats par de massives subventions structurelles. L’URSS était un joug totalitaire. L’Union est, elle, fondée sur la libération des peuples, des économies et des personnes. Comparer l’UE et l’URSS c’est comparer le système totalitaire et la démocratie parlementaire. Le Goulag et l’Etat de droit..

La visite d’Emmanuel Macron obéit à des objectifs tactiques et à des objectifs stratégiques. Les objectifs tactiques sont évidents : l’Europe est entrée depuis le printemps dernier dans une période de préparation intense des élections européennes de mai 2019 qui conduira à la transformation des forces au Parlement européen et à la formation d’une nouvelle Commission européenne. Le jeu est aujourd’hui très ouvert : le Parti Populaire Européen (PPE) n’a pas soutenu Viktor Orban au moment du vote concernant la situation de l’Etat de droit en Hongrie. Depuis longtemps, Orban était en quelque sorte protégé par l’appartenance, à l’échelon européen, au PPE dont la CDU-CSU fondatrice de l’Union européenne par le biais d’Adenauer. L’appartenance au PPE lui donnait un certificat de respectabilité. Aujourd’hui, les partis conservateurs européens se désolidarisent non seulement du Fidesz hongrois mais également du PiS polonais. Les réformes de la justice et de la Cour constitutionnelle en Pologne ont, à tort ou à raison, suscité la méfiance des vieux partis européistes. Le but tactique du président Macron est de faire éclater le PPE comme il a fait éclater le Parti socialiste et Les Républicains en France. Son but est de rallier au parti libéral européen ALDE les parlementaires européens qui n’ont pas soutenu le gouvernement hongrois. En somme faire un groupe européen comparable à LREM autour d’une forte ambition européenne et d’un attachement à la démocratie libérale.

De plus, le président français a des visées stratégiques. L’Europe est aujourd’hui à un tournant de son histoire. La frontière politique ne passe plus ni entre le Sud et le Nord ou entre l’Est et l’Ouest du continent. La ligne de clivage politique principale passe, à l’intérieur de chacun des Etats entre les souverainistes et les européistes. C’est le véritable enjeu des prochaines élections et, plus largement, du destin de l’Europe. Se rendre en Slovaquie et en Tchéquie où gouvernent respectivement des sociaux démocrates et des libéraux populistes pro-business, c’est essayer de défaire le groupe de Visegrad comme force constituée. Le but de cette visite est de souligner les différences entre les Etats du groupe de Visegrad et de rallier à lui toutes les forces politiques pro-européennes en Europe centrale et orientale.

Le groupe de Visegrad est-il uni aujourd'hui ? Comment se positionne-t-il à quelques mois des élections européennes ? Souhaite-t-il peser sur celles-ci ?

Le groupe de Visegrad a remporté plusieurs victoires politiques et symboliques durant les trois années qui viennent de s’écouler. Le groupe de Visegrad a indubitablement réussi à placer le rejet des migrations, la méfiance envers l’islam et la défiance envers la démocratie libérale au centre du débat public européen. Désormais, dans chaque pays, tout homme politique, tout électeur et tout intellectuel est sommé de prendre position pour ou contre la défense de l’identité chrétienne de l’Europe, l’accueil des migrants ou encore la construction européenne. Le groupe de Visegrad a recomposé complètement le débat politique européen. Dans des termes qui placent la construction européenne elle-même sur la sellette.

Toutefois, le groupe de Visegrad n’aborde pas les élections européenne de mai 2019 de façon unie. Loin de là. D’abord parce que les partis au pouvoir dans ces différents Etats du groupe n’ont pas les mêmes priorités. Le parti social démocrate slovaque a pour objectif de garantir une certaine stabilité au pays, de continuer à rendre son économie attrayante pour les investissements européens et d’éviter d’être placée en état d’accusation sur les droits de l’homme par l’UE. Le parti ANO qui dirige la coalition gouvernementale en Tchéquie est encore plus dépendant de l’ouverture économique en raison de l’exiguïté du marché domestique. Et il est loin d’être en position de force car il est minoritaire au Parlement. En Hongrie le Fidesz d’Orban est puissant et dominateur. Il est entré dans une stratégie de rupture avec l’UE pour pouvoir peser à l’échelon continental. Préserver son appartenance au PPE ne peut plus être sa priorité. Se rapprocher de Salvini en Italie, de Kurz en Autriche ou encore du PiS est sa priorité. Quant au parti PiS en Pologne, il est en position de force politique malgré quelques revers aux municipales en cours. Mais il s’appuie sur une économie plus que prospère et sur une position militaire stratégique. Qu’on se souvienne que la Pologne est la grande puissance européenne de l’Europe de l’est contre la menace russe et on comprendra les limites d’un rapprochements avec la Hongrie pro-russe d’Orban.

Durant la campagne électorale européenne, le groupe de Visegrad risque de se distendre et même de se diviser sur la place à prendre en Europe. De la stratégie de rupture souverainiste, pro-russe et revendicative d’Orban à l’accommodement raisonnable et pro-business de la Tchéquie en passant par la puissance polonaise, le groupe de VIsegrad ne peut pas aborder l’échéance de façon unie. Il n’aura sans doute pas le même candidat pour la présidence de la Commission.

Lors des récents débats sur la dette italienne, les membres du groupe de Visegrad se sont cependant montrés solidaires des adversaires de Matteo Salvini et de Giuseppe Conte, alors qu'il y a une convergence apparente entre les deux. Comment l'expliquer ?

L’Italie de Salvini et Di Mais présente un intérêt évident pour Viktor Orban, son gouvernement et son parti, le FIdesz. Comme l’Autriche de Kurz, la Ligue désenclave Orban. Il peut prétendre ne plus seulement incarner une tendance d’Europe centrale. Avec Salvini sa révolte devient continentale. De plus, avec une passerelle Salvini-Orban, c’est un « nouvel » Etat membre issu de l’élargissement de 2004 qui rallie à ses positions un Etat fondateur de l’UE. Pour les autres Etats, notamment la Pologne, le gain est beaucoup moins évident. D’une part, les positions de la Ligue peuvent embarrasser le PiS sur le plan européen car la Ligue affiche son mépris pour la rigueur budgétaire européenne alors que la Pologne est, depuis longtemps attaché à une gestion très orthodoxe des finances publiques. D’autre part, le PiS est ancré, au niveau européen, dans l'Alliance des conservateurs et réformistes européens alors que la Ligue est membre du parti Europe des Nations et des Libertés avec le FPÖ autrichien, le Rassemblement national français et le parti de la liberté néerlandais.

La Pologne est dans une stratégie de tension alors que la Hongrie est dans une stratégie de rupture envers l’UE.

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