Meurtre de Jamal Khashoggi : à qui profite l’affaiblissement de MBS en Arabie Saoudite… et ailleurs ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Meurtre de Jamal Khashoggi : à qui profite l’affaiblissement de MBS en Arabie Saoudite… et ailleurs ?
©JIM WATSON / AFP

Lourdes conséquences

Suite à l'affaire Khashoggi, la position de Mohammed Ben Salman est affaiblie sur la scène internationale.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

Voir la bio »

Atlantico : Que cela soit au sein du Royaume saoudien, ou dans l'ensemble du Moyen Orient, qui sont ceux qui tirent profit de cette situation ? 

Maître Ardavan Amir-Aslani : L'arrivée au pouvoir de Mohammed Ben Salmane a constitué une rupture avec les pratiques de la royauté saoudienne telles qu'elles existaient jusqu'alors. Cette rupture fut totale. Par le passé, les décisions étaient toujours prises de manière consensuelle, collégiale, au sein d'un conseil consultatif, le Majlis, qui regroupait les grands princes de la famille royale. Le roi Ibn Saoud lui-même, le fondateur de la dynastie, passait ainsi beaucoup de temps à recueillir l'avis des grands princes, de son entourage, des dignitaires importants du royaume, avant de prendre une décision. En rompant avec cette tradition et en écartant tous les grands princes de la prise de décision, Mohammed Ben Salmane a fait de l'Arabie Saoudite la dictature d'un seul homme, qui ne prend plus l'avis de personne. 
Il a d'abord écarté les princes issus d'autres branches de la famille royale que la sienne – qui est celle du puissant clan des Soudayri – et notamment avec celle du précédent roi Abdallah, le demi-frère du roi Salmane. Au point d'avoir fait arrêté son fils aîné, Metab Ben Abdallah, chef de la Garde Nationale saoudienne, lors de la fameuse purge « anti-corruption » du 4 novembre 2017, l'obligeant ainsi à verser un milliard de dollars contre sa libération ! 
Il n'a pas été plus clément avec les membres de son propre clan, notamment son cousin, Mohammed Ben Nayef, qui était le Prince héritier en titre au début du règne du roi Salmane. Il a progressivement réussi à l'évincer, lui aussi. De telle sorte qu'aujourd'hui, « MBS » ne dispose d'aucun soutien parmi les grands princes, y compris dans sa propre branche. 
Au sein du royaume, tous ces grands princes, qui avaient été délibérément écartés des décisions importantes, tant sur le plan politique qu'économique, par Mohammed Ben Salmane, ne peuvent que se réjouir de le voir vivre une telle débâcle médiatique et internationale. Les Oulémas wahhabites, du moins les plus radicaux d'entre eux que « MBS » avait également fait arrêter, partagent sans doute ce sentiment. Sur ce point-là aussi, l'alliance créée entre les religieux et le pouvoir par son aïeul Ibn Saoud a été fragilisée. Le prince a donc tous ceux qui comptent, les religieux et les grands princes, contre lui.
Dans la région, le premier pays à profiter de la situation est évidemment l'Iran. Face aux exactions des Saoudiens, la stratégie de diabolisation de l'Iran des Américains passe nettement à l'arrière-plan. Les Iraniens analysent les évènements de la façon suivante : la Turquie va mal, son économie est en difficulté, Erdogan s'enfonce de plus en plus dans une pratique dictatoriale du pouvoir, ne parvient pas à résoudre la question kurde et s'empêtre en Syrie. L'Arabie Saoudite est aux prises avec la baisse des cours du pétrole, et maintenant avec cette crise politique et internationale d'une gravité qui n'avait plus été vue depuis l'implication du pays dans les attentats du 11 septembre. Au sein du monde musulman, ce contexte est surtout bénéfique à l'Iran.
Enfin, l'affaire Khashoggi a changé le regard que le monde porte désormais sur l'engagement saoudien au Yémen. Ce conflit jusqu'à présent se déroulait dans l'indifférence générale, malgré les souffrances qu'il fait subir à une population civile exsangue – plusieurs dizaines de milliers de morts et une crise humanitaire sans précédent. L'opération avait été baptisée « Tempête décisive » par Mohammed Ben Salmane en 2015, lorsqu'il était ministre de la Défense. Mais le seul élément réellement « décisif » qu'elle a engendré, c'est la famine pour tout un peuple. 
Aujourd'hui, à la faveur de cette crise politique, les Etats-Unis se retrouvent dans une position délicate, pour avoir armé et assuré la logistique de leur allié saoudien. Les parlementaires américains sont de plus en plus nombreux à réclamer un arrêt des ventes d'armes à l'Arabie Saoudite. Enfin les pays qui, au sein du Conseil de coopération du Golfe, ne soutiennent pas « MBS », c'est-à-dire Oman, le Qatar et le Koweit – se retrouvent également bénéficiaires de la situation. 

Quelles peuvent en être les conséquences durables du point de vue des équilibres du pouvoir ? 

Les Etats-Unis se retrouvent un peu pris au piège de leur alliance avec les Saoudiens, soucieux qu'ils sont de préserver les « méga-contrats » annoncés en mai 2017 pour 450 milliards de dollars, dont 110 milliards rien qu'en contrats d'armement – et aucun n'a pourtant été signé à ce jour. Ils ne peuvent pas avoir recours à des sanctions contre un allié historique qui est le premier producteur de pétrole au monde, même si la culpabilité de Mohammed Ben Salmane dans l'assassinat de Khashoggi est avérée.  
Il existe cependant cette jurisprudence « Sergueï Magnitsky », du nom de cet avocat d'affaires russe qui représentait le fonds d'investissement Hermitage Capital Management, et avait dénoncé le détournement par des oligarques de 230 millions de dollars de taxes versées par ce fonds à l'Etat. Il a été retrouvé mort dans sa cellule en 2009, après 358 jours d'incarcération. Quelques années après ce scandale, le Congrès américain a adopté le Global Magnitsky Act, signé par Barack Obama en décembre 2016, qui permet de lutter contre l'impunité au niveau international et de mettre en place des interdictions de visa et des sanctions ciblées sur des individus qui se seraient rendus coupables de violations des droits de l'homme ou d'actes de corruption. De nombreux pays veulent se doter d'une loi similaire. Aux Etats-Unis, il est de plus en plus question d'engager une telle procédure à l'encontre de « MBS ». 
A l'intérieur du royaume, désormais le prince ne peut plus agir avec la même impunité puisqu'il a perdu toute crédibilité. A l'inverse du roi Midas, tout ce qu'il touche se transforme en tragédie : l'introduction en Bourse de l'Aramco, la guerre au Yémen, la crise avec le Qatar, l'enlèvement du Premier ministre libanais... Malgré son visage souriant, aucune des initiatives qu'il a lancées n'a abouti. Que ce soit au sein du clergé ou de la famille royale, tous cherchent une solution pour le remplacer.

Quelles peuvent en être les conséquences en termes d'alliances avec les pays occidentaux ? Certains mouvements pourraient-ils avoir lieu ? 

Jusqu'à présent, tout le monde, face à l'Arabie Saoudite, se taisait. Justement dans l'espoir de profiter des largesses de ce pays, notamment en termes d'investissements, et à cause de sa position prédominante dans le secteur pétrolier. Ainsi, personne n'a soutenu le Canada dans la crise diplomatique qui l'a opposé au royaume en août dernier. L'Arabie Saoudite avait rappelé son ambassadeur et ses étudiants et expulsé l'ambassadeur canadien de Riyad, en réponse au tweet du ministère des Affaires étrangères canadien après l'arrestation de militants pour les droits des femmes. Quelques mois plus tôt, il y avait déjà eu une crise similaire avec l'Allemagne, dont un ministre avait critiqué la politique saoudienne au Liban. L'Europe s'était tue. Aujourd'hui, le silence est rompu. L'Arabie Saoudite va être jugée à l'aune de nouveaux critères. Ce sentiment d'impunité qui permettait à Mohammed Ben Salmane d'agir, aussi bien localement qu'internationalement, à sa guise, s'est effondré. Et même l'administration américaine est en difficulté, puisque tant du côté républicain que démocrate, des voix s'élèvent pour demander la fin de la guerre au Yémen et des sanctions contre l'Arabie Saoudite, et enfin une commission d'enquête indépendante sur l'affaire Khashoggi. Le temps des impunités semble vraiment terminé. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !