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Simone Harari Baulieu : « Face à la dispersion extrêmement préoccupante des communautés diverses, le besoin de la télévision comme mass-media global est plus important que jamais »
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Toujours debout

La télévision, malgré la montée des GAFAM, malgré l'importance décisive des réseaux sociaux, malgré la numérisation importante des contenus vidéos, n'a pas dit son dernier mot.

Simone Harari Baulieu

Simone Harari Baulieu

Simone Harari Baulieu est diplômée de Sciences Po Paris et ancienne élève de l’E.N.A (promotion Guernica). En 1984, elle crée Télé Images, un groupe de production et de distribution audiovisuelle. En 2005, elle créé une nouvelle société de production, Effervescence. Elle a présidé l’USPA (Union syndicale de la production audiovisuelle) entre 2003 et 2007.Parallèlement à ses activités de productrice, Simone Harari participe en 2008 à la Commission pour une Nouvelle Télévision Publique. Officier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre national du mérite, elle est également l’auteur de plusieurs ouvrages, dont La télé déchaînée (Flammarion) en 2009 et La Chaîne et le Réseau (Editions de l’Observatoire) en 2018.

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Atlantico : La télévision, malgré la montée des GAFAM, malgré l'importance décisive des réseaux sociaux, malgré la numérisation importante des contenus vidéos, n'a pas dit son dernier mot, expliquez-vous dans votre dernier livre, "La chaîne et le réseau : Pourquoi Internet ne va pas tuer la télévision" publié aux éditions de l'Observatoire. Les obstacles ne vous semblent-ils pas pour autant de grandes tailles aujourd'hui ?

Simone Harari-Baulieu : En fait, cela dépend de ce qu'on appelle la télévision. Pour moi, la télévision, c'est fondamentalement les programmes qu'elle permet de générer par son modèle économique et par sa vocation d'impact et d'audiencer. Et ces programmes-là n'ont jamais eu autant d'occasion d'être vus. Car maintenant on peut les voir quand cela nous arrange, en différé… Avant on pouvait "manquer" un programme. Maintenant cela n'existe pas. De ce point de vue, la télévision s'est en fait démultipliée. Ses contenus sont accessibles tout le temps et partout. C'est plutôt une victoire inespérée : personne n'avait jamais pensé que la télévision soit "déchaînée", qu'on pourrait la voir en dehors de la chaine sans passer par son « enregistreur » ou sans se rendre au vidéo-club. Bien évidemment, cela vous donne une vision extrêmement positive de l'évolution de la télévision. Maintenant, il est vrai que le linéaire n'est plus qu'une partie de la façon d'atteindre un public. Mais cela pose plus un problème pour les chaines de télévision pour lesquelles c'était le cœur de leur modèle économique, que cela n'en pose aux producteurs, quiveut que son programme soit vu et qui du coup a une chance incroyable : .il n’y a jamais eu autant de canaux pour cela. En revanche, le modèle économique des chaines de télévision commerciale est affecté : à elles de réussir leur transformation.

Et dans cette évolution, avons-nous encore besoin d'un service public audiovisuel aussi important ?

La vocation du service public a effectivement changé. Avant, il existait pour pallier la rareté des chaînes. Aujourd’hui, il reste indispensable, mais pour une autre raison : pour proposer des programmes de mass-média à la télévision. Dans la dispersion extrêmement préoccupante des communautés diverses qu'elles soient religieuses, "genrées" ou autres, le besoin d'un mass-media global est plus importante que jamais. Il doit être capable de s’adresser à tous, même si c’est à des moments et sur des chaînes ou des supports différents, et doit faire le lien entre des communautés, que ce soit à l'échelle du pays ou de l'Europe.

L'équilibre éditorial des chaines publiques n'est-il pas déconnecté de la réalité démocratique du pays, par exemple en ce qu'il est souvent dénoncé comme peu représentatif ?

Il faut prendre en de la hauteur pour considérer cette question de la représentativité. Compte tenu de la diversité des besoins et des attentes, on ne peut pas tout le temps s’adresser à tout le monde. Même s’il y a des exceptions pour rassembler autour d’une même émission un large public : un événement sportif, un débat politique, un divertissement culturel…Selon moi, l'important c'est que chacun trouve une fois par mois, par semaine, par jour, à un moment donné, un programme qui dise : cela correspond à mon attente. Pas formulé de cette façon bien entendu, puisqu'à la télévision, a fortiori publique, on attend toujours une offre, jamais une réponse à une demande qu’on a formulée. Le fait que les chaînes hertziennes se fassent concurrence à elles-mêmes en s'adressant un peu aux mêmes publics pose un problème. Il faut changer de logiciel ! J’ai été tout à fait surprise d'apprendre que la RTBF est organisée non plus autour de responsables de chaînes, ni même autour de types de programmes, mais bien autour des publics. Car qui compte, ce n’est pas la chaîne, ni le format, mais le contenu du programme et donc le public auquel il s’adresse. Il y aura ainsi un responsable des fictions pour le public traditionnel, par exemple un public plus âgé, peu disruptif, plus à même de regarder la télévision "à l'ancienne". Et ce même en différé : je raconte dans mon livre mon étonnement devant le nombre de replay (1 million !) de Capitaine Marleau,alors qu'il s'agit d'un public clairement très âgé. Et à côté de ce public classique, il y a des publics différents auxquels on dédie des moments. Je trouve cette démarche d'une audace incroyable.  

Le gros dossier de cette fin d'année est la réforme de l'audiovisuel, que va devoir mener le nouveau ministre de la Culture, Franck Riester. Sur la question de la télévision publique, vous plaidez pour la permanence d'un service publique, notamment en augmentant la redevance ?

Sur la redevance, c'est très clair. Elle est plus que jamais la ressource idoine pour le service public. D'une part il faut la mensualiser, c'est extrêmement important, et il faut qu'elle soit votée par le Parlement avec un prix mensuel. Les gens pourront la payer comme ils souhaitent, mais il faut au moins qu'elle soit identifiée comme coûtant un peu plus de 10 euros par mois. Ce prix n'est pas excessivement insupportable, en comparaison des abonnements disponibles et quand on regarde ce que propose le service public sur tous ses supports télé, radio e tInternet.Ensuite, il faut bien évidemment que les gens qui reçoivent les images paient ce service. Il y a quelques années, il y avait eu la tentation de croiser le fichier des gens qui affirmaient ne pas avoir la télévision et ceux qui étaient abonnés à Canal +. Cela n'avait pu pas se faire, et on avait entendu partout "ce n'est pas la télé, c'est Canal +" ! Aujourd'hui, regarder la télévision, ce n'est pas simplement avoir une télévision branchée, c'est aussi avoir une tablette, un téléphone, un ordinateur. Que celui qui n'a aucun écran et qui donc ne regarde jamais de contenus de télévision lève le doigt ! Clairement il faut prévoir la redevance pour chaque foyer, pour chaque logement. Quand Françoise Nyssen a annoncé l'universalisation de la redevance et qu'elle a été trois jours après démentie par Gérald Darmanin, j'ai été très choquée. J’espère que Franck Riester, qui est un grand connaisseur de ces sujets audiovisuels, garantira la pérennité des ressources du service public. C’est indispensable pour soutenir la création française mais aussi pour garantir la qualité des programmes proposés et ne pas se retrouver dans quelques années avec une télévision publique au rabais condamnée à la fermeture.

Parmi les solutions que vous proposez dans votre livre, vous plaidez pour une approche plus "glocale", c'est-à-dire calibrée pour le marché national comme international. Quelles sont les forces sur lesquelles la production audiovisuelle française doit s'appuyer pour adopter cette vision plus conquérante ?

Nos spécificités : une approche moins industrielle et plus artisanale dans le bon sens du terme, plus authentique, qui permet de mettre en avant notre culture, nos références, notre mode de vie, nos paysages, nos repères et même notre vision du monde.

Maintenant, si l’on veut comprendre la difficulté que rencontrent nos programmes à l’export, je crois qu'il y a plusieurs points. Tout d'abord, la langue est un obstacle réel. Et même s'il est vrai qu'il y a des petits pays qui font des choses formidables, une des difficultés quand vous ne proposez pas des programmes dans la langue des acheteurs est déjà de vendre. Ils ont tellement l'habitude d'avoir l'anglais à l'oreille que cela ne les intéresse pas d'avoir une autre langue. D'ailleurs, parfois, des pays qui ont l'habitude du sous-titrage préfèrent sous-titrer une version en anglais parce qu'ils ont l'habitude d'avoir dans l'oreille la langue anglaise.

Ensuite, il y a des spécificités nationales chez les diffuseurs. Les chaînes ont des besoins qui peuvent être typiques et donc difficilement exportables. Par exemple la mode française a longtemps été le 90', en substitut au long métrage. Or ce format ne se vend pas ailleurs qu'en France. Mais comme la chaine est en même temps le premier diffuseur et le premier financeur, elle peut exiger malgré tout ce genre de formats. Il y a donc ici une question de modèle économique.

Il est vrai que je vante le génie d'autres pays, que ce soit les Flamands, les Israéliens ou les Danois. Il est vrai qu'ils arrivent, en racontant des histoires très enracinées chez eux, à faire des choses qui s'exportent très bien ! J'ajoute cependant que leurs auteurs ont souvent fait leurs classes aux Etats-Unis, dans des écoles américaines ou des séries américaines. La question de la formation est extrêmement importante. Et même si c'est en train de changer, il y a en France une forme de tradition de télévision qui perdure et qui est notamment liée à la distinction entre cinéma et télévision telle qu'elle est pensée dans notre pays. Le mépris dans lequel les gens de cinéma ont tenu tout ce qui avait un rapport avec la télévision jusqu'à aujourd'hui a beaucoup joué.

Enfin dernier point : les chaines de télévisions, privées comme publiques, ont souvent considéré que les programmes américains leur suffisaient. On a été nombreux à proposer par exemple des séries "surnaturelles" quand il y a eu une mode sur ce thème. Mais ce n'est pas ce que les chaines attendaient d'une série française. Résultat : ce qu'on n'a pas été entrainé à faire, on est aujourd'hui moins bon pour le faire.

Le modèle de la BBC, souvent cité en modèle par Emmanuel Macron, vous semble-t-il imitable ?

J’ai très souvent entendu les politiques, quels qu’ils soient, citer la BBC en modèle. J’attire simplement leur attention sur le fait que la BBC n'a rien à voir avec le service public français. La BBC en Grande-Bretagne, c'est une institution, et une institution chérie. Peut-être que le fait que la BBC ait eu un très beau rôle pendant la Guerre joue sur cet attachement…une estime qu'il n'y a pas eu (et pour cause !) pour la radio publique française. Ensuite, incontestablement, ils sont très bons. Mais encore une fois, ils ont la chance d'avoir une langue qui est partout parlée, même si leurs programmes sont doublés quand on les exporte aux Etats-Unis.

Par ailleurs,notre télévision publique n'a pas toujours été caractérisée par une véritable indépendance par rapport au pouvoir (c'est même un euphémisme)… et ça aussi c'est une pesanteur. Enfin, il faut prendre en considération l’histoire de nos radios et de nos chaînes de télévision, leurs identités, l’attachement de leurs publics. On a souvent la tentation de vouloir tout balayer et d’imiter le voisin puisque c’est bien connu, l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Attention car on prend alors le problème à l’envers. Posons-nous les bonnes questions et dans le bon ordre : a-t-on encore besoin d’un service public de l’audiovisuel ? Si oui, comme je le pense, pour quelles missions ? Et ensuite avec quels moyens et quelle organisation ? J’espère de tout coeur que c’est bien ainsi que sera abordée la future réforme.

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