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Vieillissement démographique, l’étrange aveu d’Edouard Philippe
©GEORGES GOBET / AFP

Grand âge

Lors de son intervention au congrès annuel de l'UNCCAS (union nationale des centres communaux & intercommunaux de l'action sociale, Edouard Philippe a déclaré, à propos de la dépendance et du vieillissement : "C'est probablement dans ce domaine que nous (notre société) sommes le moins bon et le plus en retard parce qu'elle n'a pas totalement pris (en compte) la nature des enjeux". La société française connaît l'importance de la question du vieillissement et de la dépendance, ce sont les politiques qui semblent l'ignorer.

Serge Guérin

Serge Guérin

Serge Guérin est professeur au Groupe INSEEC, où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé. Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon 2011), La solidarité ça existe... et en plus ça rapporte ! (Michalon, 2013) et Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors (Michalon, 2015). Il vient de publier La guerre des générations aura-t-elle lieu? (Calmann-Levy, 2017).

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Atlantico : Comment expliquer le constat dressé par le premier ministre d'une France "'moins bonne", "la plus en retard" sur cette question ? Quelles sont les causes de cette situation ? 

Serge Guérin : Premièrement, on peut se féliciter qu'un homme politique de la stature d'Edouard Philippe exprime une forme de mea-culpa. La deuxième chose est de dire qu'il y a une erreur de fond sur ce qu'il dit parce que la société fabrique de la société d'une certaine manière, et les gens ont bien compris -ils n'ont pas eu besoin d'attendre les politiques pour comprendre - depuis très longtemps qu'il y avait un sujet autour de la perte d'autonomie et de la fragilité. Mais les politiques ont été incapables de les entendre et de traduire cette inquiétude au travers d'une vision et de propositions.
Concernant la réponse qui est apportée, il faut noter que lors de la campagne électorale d'Emmanuel Macron, cela n'était pas du tout pris en compte dans son agenda. Ils ne pensaient absolument pas que la question du vieillissement était un sujet. Pour eux, cela était sans doute une question liée à l'ancien monde. De plus, et pour les politiques en général, ces questions ne permettent pas de faire carrière, il est difficile d'en faire de belles images sur ces thèmes, ce qui contribue à une forme de désintérêt politique. Les images d'une école maternelle sont toujours plus joyeuses que celles d'une maison de retraite, parce que les gens qui y sont plus fragiles, plus abîmés. Pourtant, la réalité de la société française est la somme de toutes ces fragilités. Que cela soit les gens âges, les gens en perte d'autonomie pour des raisons de handicap, les gens touchés par des maladies chroniques, ou encore des gens qui se sentent totalement dépassés par le système. Ce qui fait certainement plus de 50% de la population française qui est touchée d'une manière ou d'une autre par la fragilité. Et si l'on rajoute ceux qui travaillent dans le secteur et ceux qui sont des aidants, familialement, on obtient sans doute 60 à 65% de la population, soit les deux tiers de la société française qui sont directement concernés. C'est donc bien un élément qui caractérise la société française et la vie tout simplement. Le vrai sujet est finalement que nous ne traitons pas la fragilité comme une force  pour construire le pays, y compris sur le plan économique. La fragilité, ce sont des emplois, de l'innovation possible, un savoir faire à développer par rapport aux autres pays, il s'agit bien d'une opportunité qui est finalement très peu traitée par les élites.

Comment juger les orientations prises par le gouvernement en la matière, celles-ci sont-elles à la hauteur du constat ?

Ils ont dû se résoudre à traiter la question. Une concertation et un site ont été mis en place. Nous ne savons pas encore si tout cela relève du spectacle de la communication ou de la réalité, et si les conclusions ont déjà été données. Mais nous sommes au début de quelque chose. La ministre a évoqué - à plusieurs reprises et à raison -  la question de la prévention. Ce qui est déjà un élément extrêmement important parce qu'il s'agit bien d'un élément de réponse. Mais pour le reste, cela est encore trop flou dans le contenu. De la question du 5e risque à celle d'une seconde,  troisième ou quatrième journée travaillée gratuitement, celle du recours au privé…tous ces points restent encore en suspens. Je me demande si nous ne devrions pas élargir l'assurance maladie aux questions de perte d'autonomie, ce qui éviterait la question des âges. D'ici peu, la question de la CRDS pour rembourser la sécurité sociale va arriver à son extinction, cette cotisation pourrait être réorientée vers l'accompagnement de la perte d'autonomie, mais nous ne savons pas encore si cela est dans l'agenda du gouvernement. Ce que j'espère, c'est que cette démarche se fera avec les gens concernés. Je parle des 8,5 millions de personnes qui accompagnent une personne touchée, et des professionnels. Il y a des emplois à créer dans ce domaine, cela est un enjeu absolument majeur. Beaucoup de gens qui travaillent dans ce secteur sont fragilisés, il faut donc prendre en compte la question de comment mieux les accompagner, mieux les valoriser, et mieux les sensibiliser à toutes les thématiques autour de la perte d'autonomie.

Si une prise de conscience semble prendre forme, quels sont les domaines où celle-ci fait encore défaut ?

Il me semble qu'elle fait encore défaut sur cette conscience très forte que le fragilité n'est pas quelque chose à cacher dans un pays. C'est quelque chose qui participe complètement de la société et qui d'une certaine manière lui donne même du sens. Gramsci disait "Seule la vérité est révolutionnaire", je dirais "seule la conscience de la fragilité est révolutionnaire". On peut réinventer un projet de société intégrant tout le monde à partir de cette conscience de la fragilité parce qu'encore une fois, cela concerne tout le monde. Il y a ici un vrai enjeu de cohésion sociale mais également un enjeu de développement économique. Mais je crois que cela est un angle mort des politiques, pas que de ce gouvernement, de prendre conscience de cela et de proposer une vision pour en faire une force. Dans l'entreprise, dans le ville etc..

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