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Concurrence impossible : pourquoi les destins d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe sont indissociablement liés (quoi qu’en pensent les protagonistes…)
©PHILIPPE WOJAZER / AFP / POOL

Je te tiens, tu me tiens par la barbichette

De la chute de popularité à l'épisode du remaniement, les commentateurs politiques ont pu mettre en avant la position de plus en plus favorable d'un Edouard Philippe, considéré plus favorablement par les Français.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Cependant, cette position actuelle "d'émancipation" pour le premier ministre n'est-elle pas un leurre ? Le destin des deux têtes de l'exécutif n'est-il pas profondément lié ?

Christophe Boutin : La pratique et l’esprit de la Constitution de 1958, sinon sa lettre, qui rappelle elle que le Premier ministre « dirige » (art. 21) l’action d’un Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » (art. 20), font du Président de la République le seul chef de l’exécutif – hors périodes cohabitation bien sûr. Pour s’en assurer, et se débarrasser si besoin est d’un chef de gouvernement que rien n’oblige constitutionnellement à démissionner, point n’est d’ailleurs besoin de ces lettres de démission en blanc que signaient les premiers titulaires de la fonction. Disposant seul du droit de dissolution de l’Assemblée nationale, le Président pourrait en effet placer ses membres devant un choix pénible : soit voter la censure et faire chuter le gouvernement ; soit suivre le Premier ministre mais être conduits à arpenter plus rapidement que prévu les places de marché… Pour autant, le Premier ministre est aussi un « présidentiable » potentiel, ce qu’ont bien compris les Présidents qui ont nommé à cette fonction des concurrents politiques pour mieux les tuer, le meilleur exemple en étant le couple improbable Mitterrand-Rocard.
De ces éléments divers découlent les diverses figures de Premier ministres que nous avons connu, parmi lesquelles nous pouvons citer les disciples figés « perinde ac cadaver » (Debré, Mesmer), les ambitieux attendant leur tour (Villepin, Fillon, Valls), les rivaux potentiels (Chaban-Delmas) et les techniciens (Barre). Mais la situation actuelle est nouvelle, puisque le Premier ministre, Édouard Philippe, ne fait pas partie de la majorité présidentielle sans être pour autant un technicien venu de l’extérieur du monde politique. C’est peut-être cet élément, cette différence, qui fait que l’attelage de nos deux ambitieux – car c’est sans doute l’ambition qui réunit le mieux ces deux hommes - fonctionne somme toute plutôt bien.
Alors bien sûr, les positions respectives peuvent évoluer, et c’est le cas aujourd’hui. Initialement, « Jupiter » trônait dans les nuées des sondages d’opinion quand Philippe, peu connu d’une part, sinon des Havrais, et d’autre part « traître » aux yeux d’une partie de la droite qui ne lui pardonnait pas d’avoir cédé aux sirènes du macronisme, était plus contesté. Mais de nos jours, alors qu’Emmanuel Macron baisse dans les sondages, frappé par les « affaires » mais aussi par le peu de résultats d’une politique qui reste bien « sa » politique, la cote d’Édouard Philippe se positionne plus haut.
L’explication de cette évolution, que l’on ne peut lier à des options politiques différentes, puisque Philippe accepte sans sourciller de mettre en musique les décisions présidentielles, vient sans doute en grande partie d’une question d’image. Philippe donne celle d’une sobriété dans la communication effectivement attendue par les Français, cette sobriété qu’annonçait pour lui-même Emmanuel Macron aux premiers jours de son quinquennat avant de sombrer dans les selfies les plus inattendus. Philippe se garde ensuite bien de stigmatiser qui que ce soit, comme de toucher aux valeurs nationales, quand Macron critique vertement les Gaulois qui se plaignent et mettent en doute son génie, considère que la langue n’est plus liée à la nation, et n’hésite pas à y aller de ses petites phrases de repentance sur la scène internationale. Par comparaison, il est donc logique que Philippe acquière alors sinon une véritable stature d’homme d’État de premier plan, à tout le moins l’image d’un homme politique sérieux et responsable.
Pour autant, une fois cette évolution constatée, le couple peut-il se séparer ? Certainement pas maintenant, et s’il peut y avoir des tensions et des dissensions, ce sera sans aller jusqu’à la rupture. Philippe a peut-être été programmé par Macron comme étant le fusible qui, une fois faites les réformes dites « de droite » - en fait libérales-mondialistes –, sauterait pour préserver la seconde partie du quinquennat et permettre sa réélection, mais l’arrivée des élections européennes, avec la nécessité pour Macron de faire un front européiste le plus large possible face aux populistes, fait que l’alliance doit être maintenue. Quant à Philippe, il n’a pas encore tissé assez de liens depuis Matignon pour envisager de s’émanciper de la tutelle du maître des horloges.
Le débat sur l’éventuelle opposition entre les deux hommes relève donc largement de fantasmes de journalistes ou de l’opposition, les uns voulant du suspense et du sang pour vendre, les autres diviser pour régner… Il devraient plutôt constater que, loin de s’engager sur cette voie de la rupture, Édouard Philippe joue au contraire depuis le début, et plus que jamais peut-être, le jeu de la solidarité avec le Président, bien mieux même que certains alliés de toujours du jeune chef de l’État, et monte par exemple au créneau pour le défendre dans la tourmente des affaires.

Les discussions relatives au remaniement ont pu mettre à jour une défiance des cadres de LREM à l'égard d'Edouard Philippe alors que ce dernier n'a pas pris l'initiative de créer un pôle politique du centre droit pour le soutenir. En quoi sa position politique pourrait-elle être considérée - en l'absence de majorité - comme trop fragile pour constituer une vraie menace, à l'inverse d'un Edouard Balladur qui avait pu compter sur l'UDF ?

Les choses sont différentes puisque Balladur ne menaçait pas son Président, François Mitterrand qui achevait son second mandat, mais son « ami de vingt ans », un Jacques Chirac qui, échaudé par la première cohabitation, avait choisi de ne pas s’y soumettre une seconde fois. Mais ce qui est vrai, et vous avez raison, c’est que vous ne pouvez vous lancer dans un conflit politique sans avoir le soutien de quelques uns de vos pairs : même Jupiter a été content de trouver Collomb et Bayrou pour monter sur l’Olympe.
Quant aux réticences de certains cadres de  LaREM autour du remaniement en cours, elles relèvent au moins autant des stratégies politiques que des querelles de personne. On peut en effet effectivement se poser la question de savoir si le premier temps du quinquennat n’a pas donné beaucoup à certains, « à la droite » disent des leaders de la gauche, mais en fait à des lobbies financiers qui ne sont ni de droite ni de gauche, et s’il ne faudrait pas corriger le tir dès maintenant et revenant plus à gauche – comprendre en faisant sinon plus de social, au moins plus de sociétal, ce qui coûte moins cher et plait plus aux lobbies. Dans ce cadre, le choix des nouveaux membres du gouvernement, au moins en terme d’image, a effectivement un impact, et les propositions d’Édouard Philippe ont semblé trop liées à ses anciennes appartenances politiques pour les Marcheurs.
Mais pour qu’Édouard Philippe, surfant sur les sondages, puise représenter une vraie menace pour Emmanuel Macron, il faudrait bien plus que ces petites luttes internes, car s’il propose, Jupiter dispose. Il faudrait pour cela qu’il devienne le leader naturel du centre droit, des LaREM dissidents à certains LR, bref qu’il recrée l’UDF, mais deux éléments au moins freinent aujourd’hui cette évolution. Le premier est qu’il devrait faire face à trop de concurrents, de François Bayrou à, pourquoi pas, Valérie Pécresse si cette dernière choisissait une rupture et un éclatement de LR, sans compter quelques seconds couteaux que les médias se plaisent à maintenir en vie artificielle. Le second est que cela suppose une séparation nette d’avec un Emmanuel Macron qui n’acceptera pas de gaité de cœur de le voir monter ainsi en puissance et être éventuellement conduit à négocier ave son ancien adjoint.
Est-ce à dire que cela n’arrivera jamais ? Le centre est actuellement peuplé de personnalités d’envergures moyennes qui pourraient trouver un intérêt à se coaliser derrière un Philippe ayant acquis une stature nationale et devenu indépendant, et qui, parvenu seul au pouvoir ou devenu l’allié indispensable d’une LaREM affaiblie, leur procurerait des points de chute ministériels. L’hypothèse n’est donc pas à exclure totalement.

Du côté d'Emmanuel Macron, comment gérer le cas Edouard Philippe ?

Comme il le fait actuellement. En ne s’offusquant pas du croisement des courbes dans les sondages, ce qui n’apporterait rien. En lui faisant assumer de pseudos réformes qui cachent en fait le dépeçage de l’État au profit des intérêts privés (Française des Jeux, barrages, Aéroports de Paris…), et ce au détriment des contribuables. En le laissant assumer la réforme du prélèvement de l’impôt sur le revenu et ses inévitables couacs. L’ancien associé-gérant de Rothschild a en effet besoin de faire croire sur ces points à des choix émanant de ses ministres « de droite », et donc du premier d’entre eux. En laissant aussi ce dernier faire certaines erreurs en termes de popularité : pour beaucoup de Français, Édouard Philippe reste celui qui a imposé le 80km/h sur les routes, une mesure qui, au vu du nombre de radars vandalisés, peine encore à s’imposer.
Pour l’avenir, Emmanuel Macron devra penser à faire monter en puissance un rival empêchant une éventuelle OPA de Philippe sur le centre-droit. Certes, il peut compter sur les guerres pichrocholines qui ne cessent d’agiter les petits-chefs du Marais, qui se rêvent tous leader d’un « parti-charnière » comme aux belles heures de la Quatrième. Certes, François Bayrou, même s’il ne souhaite pas redevenir ministre, appréciera toujours d’empêcher d’autres de l’être. Mais, même s’il faisait évoluer la seconde partie de son mandat vers sa gauche, Emmanuel Macron devrait y penser toujours… mais n’en parler jamais !

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