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Disparition de Jamal Khashoggi :  le prince héritier saoudien vient-il de se priver de sa future couronne ?
©JIM WATSON / AFP

Communauté internationale

Donald Trump a estimé que l'Arabie saoudite pourrait être derrière la disparition du journaliste Jamal Khashoggi. Si tel était le cas, il a assuré que son pays infligerait un "châtiment sévère" au royaume.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Donald Trump a déclaré que si la culpabilité des Saoudiens dans l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans leur ambassade était prouvée, une sanction très sévère serait prise à l'encontre de son allié saoudien. La situation est-elle en train de déraper pour le Prince héritier Mohammed ben Salman ? Est-il allé trop loin ?

Roland Lombardi : Je pense que la déclaration de Donald Trump n’a été faite que pour la forme et la galerie. Certes, si le célèbre journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, a été réellement enlevé et exécuté par les services saoudiens (ce qui est fort probable, mais l’enquête judiciaire est toujours en cours), c’est une faute grave et surtout très grossière de la part du Prince héritier Mohammed ben Salman. Surtout que Khashoggi était loin d’être le plus virulent des critiques de MBS. Pour autant, je rappelle qu’il y a déjà eu de nombreux précédents. Près d’une dizaine de princes ou de dignitaires saoudiens en exil à l’étranger, et surtout opposés au jeune Salman, ont connu le même sort. Et sans parler des multiples « disparitions » au sein même du royaume…

Alors est-il allé trop loin, y a-t-il eu un dérapage ou un excès de zèle des hommes de Mohammed ben Salman ? Peut-être. Mais au-delà du scandale international soulevé par cette triste affaire, il ne faut pas perdre de vue que c’est également, pour le jeune prince, un nouveau moyen de lancer un message fort et terrifiant à l’adresse de tous ses adversaires internes ou en exil. A mon avis, à notre époque, où une information chasse toujours l’autre à une vitesse folle, ce crime sera malheureusement vite oublié. Les autorités saoudiennes vont bien sûr continuer à nier et faire le dos rond, en attendant que l’émotion retombe avec le temps et que la vérité s’écrase sur le mur de la raison d’Etat…

Enfin, pour en revenir à Donald Trump, je ne pense pas qu’il mette sa menace à exécution. Or, même si les apparences sont trompeuses et que le président américain, dès son arrivée à la Maison Blanche, a reconduit l’alliance entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, il ne porte pas pour autant les Saoud dans son cœur. Rappelez-vous ses déclarations de campagne… Elles étaient sûrement sincères. D’ailleurs, on en parle peu, mais il est le premier président américain à exercer une pression inédite sur le royaume afin que celui-ci combatte enfin avec sincérité (car ce ne fut jamais totalement le cas), le djihadisme, le terrorisme et son financement.

Pour l’heure, Trump se sert de Riyad dans sa politique de mise à genoux des mollahs iraniens et notamment dans ses négociations du « deal du siècle » concernant le conflit israélo-palestinien. Les Saoudiens étant les seuls et derniers soutiens réels de l’Autorité palestinienne et les seuls à avoir encore, grâce à l’argent, une certaine influence sur Mahmoud Abbas. Au passage, et ce n’est pas rien, n’oublions pas que, si j’ose dire, Trump en profite toujours pour les faire cracher au bassinet (cf. les milliards de dollars d’achats d’armes américaines par Riyad). Tout en prenant soin de rappeler au roi Salman, comme il l’aurait fait dernièrement avec son tact légendaire, que les Saoud ne doivent finalement leur survie qu’à la protection américaine !

Au delà des Etats-Unis, les relations saoudiennes sont tendues avec de nombreux pays occidentaux, à commencer par le Canada, mais aussi certains pays européens. Cette inimitié grandissante, fondée principalement sur une critique des manquements aux droits de l'Homme, peut-elle avoir des conséquences pour l'Arabie Saoudite ?

Je crois qu’il ne faut pas trop rêver. Vous savez, que cela nous plaise ou non, en relations internationales, et plus que jamais aujourd’hui, et d’autant plus dans la région, ce sont les rapports de force qui prévalent. Sans oublier bien sûr le commerce. Les Saoudiens se foutent royalement, comme de leur premier Chemagh (le foulard bédouin), des tensions avec le Canada ou certains pays scandinaves qui ont, il est vrai, courageusement protesté contre le royaume et ses atteintes aux droits de l’Homme et sa guerre au Yémen. Sérieusement, que pèse la communauté internationale, à supposer qu’elle existe ? L’Onu ? L’Europe ? Pas grand-chose. Les condamnations internationales (surtout verbales) ont-elles mis fin aux massacres auxquels se livre l’armée saoudienne au Yémen depuis 2015 ? Clairement non. Prenons l’exemple de la France. Lorsque le Président Macron a justement été interrogé sur l’affaire Khashoggi, on a très bien pu sentir sa gêne... Pourquoi ? Car depuis des années la France est paralysée par sa politique commerciale avec les pays du Golfe. Je vous rappelle que des armes et des munitions françaises sont actuellement utilisées au Yémen par les forces saoudiennes… C’est cette même diplomatie économique, si chère à certains responsables français, qui nous oblige dans la région à suivre encore, malheureusement, la ligne de Riyad. Celle-ci est pourtant le plus souvent à l’opposé de nos propres intérêts stratégiques et sécuritaires (Syrie, Liban…), tout en nous faisant perdre tout crédit et respect. Du côté de Paris, il y aura sûrement des protestations officielles, mais il suffira que les Saoudiens froncent les sourcils et menacent de ne plus signer de contrats, qui pour certains attendent déjà depuis des années d’être parafés, pour que le silence se fasse sur les rives de la Seine au sujet de la disparition de Khashoggi…  Nous avons trop peur de perdre les dernières miettes commerciales que veut bien nous laisser le complexe militaro-industriel américain dans la région. C’est triste et pathétique, mais c’est comme ça.

Non, les seuls à avoir vraiment une prise sur le royaume ou qui seraient susceptibles d’être  éventuellement écoutés, sont surtout les Etats-Unis et, dans une moindre mesure, la Russie. Cependant, comme on le sait, ce n’est pas du tout la politique de Moscou que de condamner un pays pour ses manquements aux droits de l’Homme… A tort ou à raison, ces critères ne rentrent pas dans les considérations diplomatiques du Kremlin. D’autant plus que les relations entre Russes et Saoudiens se sont depuis réchauffées. En effet, la Russie et l’Arabie saoudite coopèrent actuellement, plus qu’on ne le pense, sur de nombreux dossiers régionaux. Comme par exemple le cours du pétrole ou encore les négociations en Syrie notamment pour faire déposer les armes à certains groupes rebelles jihadistes, anciennement soutenus par Riyad (comme le Qatar d’ailleurs)...

Le régime de Riyad ressort manifestement affaibli sur le plan international. Cependant, n'est-ce pas en interne que celui-ci semble aujourd'hui le plus exposé ?

Vous avez absolument raison. En 2016, j’écrivais que l’Arabie saoudite n’était qu’un tigre de papier[1]. C’est toujours le cas. Certes, la situation internationale s’est quelque peu améliorée (élection de Trump, rapprochement avec Israël pour endiguer la « menace » iranienne, hausse du cours du pétrole, suite notamment à la normalisation des relations russo-saoudiennes…). Toutefois, le royaume s’enlise toujours au Yémen et les tensions avec l’Iran et le Qatar sont toujours vivaces. Quant à la situation politique interne, elle demeure extrêmement tendue. Les réformes économiques du jeune prince héritier piétinent et ses réformes sociétales rencontrent de nombreuses oppositions notamment dans le clergé. D’ailleurs, bien naïfs ont été les observateurs qui ont cru que cette Perestroïka orientale se ferait sans heurts et surtout, qu’elle s’accompagnerait d’un assouplissement du régime. Assurément, Mohammed ben Salman souhaite encore réformer la société saoudienne. Peut-être dans un premier temps, et comme ce fut certainement le cas, afin de donner des gages aux Occidentaux, aux Russes et surtout à son protecteur américain. La conséquence est qu’il s’est fait de nombreux ennemis. D’autant plus, ayant pour modèle Sissi et l’Emir Zayed d’Abou Dabi, le prince héritier Salman rêve sûrement pour l’Arabie de demain, d’un savant mélange de société plus ou moins ouverte et de libéralisme économique. Or, ne soyons pas dupes, pour cela MBS doit d’abord instaurer sa propre dictature et ainsi mettre à bas l’ancien système politique saoudien basé sur le consensus entre la famille royale, les diverses tribus du royaume et les oulémas. Ainsi, comme je l’ai écrit il y a un an[2], cerné d’ennemis, que l’on retrouve chez les religieux, les princes du royaume et même chez ses propres cousins, le futur roi devra « se montrer impitoyable ». Et depuis, il l’a été… Aujourd’hui, l’Arabie saoudite est un volcan. On aurait déjà attenté par deux fois à la vie du jeune prince… Et les purges se poursuivent. Alors attendez-vous à encore et toujours plus de férocité de la part du « Prince réformateur ». Car, pour sa propre survie, il ne peut faire preuve d’aucune faiblesse. Reste à savoir s’il survivra à son vieux père pour accéder au trône et, surtout, s’il parviendra finalement à préserver son pays d’une « guerre d’Arabie » qui serait catastrophique pour la région.

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