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L'étrange passion du roi de Prusse pour les "géants"
©Samuel Theodor Gericke — history book file: James Steakley; artwork: Samuel Theodor Gericke

Bonnes Feuilles

Si tout le monde a entendu parler de la marotte de Louis XVI pour la serrurerie, qui sait que Louis XIII a été un compositeur de musique et un graphiste hors de pair, que Pierre le Grand aimait à « collectionner » les êtres difformes et les monstres (il les recherchait dans toute l’Europe), que l’impératrice Joséphine avait une connaissance érudite de la botanique et de la zoologie de ses Antilles natales ? Ce sont ces "Royales passions" que Marie Petitot nous décrit (Editions Tallandier).

Marie Petitot

Marie Petitot

Marie Petitot travaille dans la communication culturelle. Férue d’histoire, elle anime le blog Plume d’histoire qui rassemble une large communauté. Elle est également chroniqueuse dans les revues Napoléon IerNapoléon III et Château de Versailles. Âgée de 25 ans, elle publie ici son premier ouvrage.

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Surnommé le « roi sergent», l’excentrique et colérique souverain de Prusse Frédéric-Guillaume Ier surprend par l’amour inconditionnel qu’il voue aux géants. Il les recrute pour son escorte personnelle et se garde bien de les envoyer au front, redoutant d’abîmer les pièces de sa précieuse collection, la plus belle d’Europe. Ses Goliath, surnommés les « grenadiers de Potsdam », sont près de deux mille, organisés en bataillons selon leur taille : toutes les recrues de l’Unité rouge dépassent deux mètres dix. Le monarque fait rechercher des « spécimens » dans le monde entier et dépense des fortunes pour assouvir sa folie de collectionneur. Ce pingre notoire ouvre sa bourse lorsqu’il s’agit d’acquérir les spécimens les plus spectaculaires. Les têtes couronnées d’Europe qui cherchent à entrer dans les bonnes grâces de Frédéric-Guillaume lui envoient des géants en guise de cadeaux diplomatiques. Le plus généreux est bien entendu Pierre le Grand qui partage avec le roi de Prusse ce goût pour les curiosités humaines. Il lui expédie plus de cinquante colosses chaque année !

Frédéric-Guillaume rafle ainsi la quasi-totalité des géants du continent. Le tsar conserve tout de même un beau spécimen de deux mètres vingt repéré dans une foire à Calais au printemps 1717 : Nicolas Bourgeois. La mère accepte de laisser partir son fils moyennant une substantielle somme d’argent. Il ne la reverra jamais et ne remettra jamais les pieds sur le territoire français. L’engagement de ce colosse particulièrement corpulent au service de Pierre le Grand n’est pas sans condition. Dans le contrat signé par la mère, il est stipulé qu’après sa mort, le souverain sera libre de disposer de sa dépouille, qu’il souhaite voir rejoindre ses collections de curiosités. Marché conclu.

Bourgeois bénéficie d’une gratification confortable de 300 roubles (presque autant que le bibliothécaire du tsar qui touche 400 roubles) et devient très vite indispensable à son maître. En tant que serviteur particulier du souverain, il se tient derrière lui à table, le suit partout, faisant office de garde du corps. En 1720, Pierre autorise son géant à épouser sa maîtresse enceinte, une Finlandaise de même stature. Il espère que le couple aura de nombreux enfants d’une taille extraordinaire qui pourraient rejoindre les rangs de l’armée. Mais cette expérience de procréation sera un échec, car le garçon et les deux filles engendrés par le couple ne combleront pas les espérances du tsar.

Celui-ci continue néanmoins à leur verser une généreuse pension et tient à faire figurer son géant préféré dans toutes ses cérémonies bouffonnes : on l’aperçoit ainsi costumé en bébé… tenu en laisse par des nains ! Bourgeois sert son souverain durant sept ans jusqu’à sa mort en 1724, probablement emporté par une attaque cérébrale. Comme prévu, il est aussitôt empaillé : il trône dans le cabinet des curiosités au moins jusque dans les années 1800, puis un incendie endommage sa peau et seul son squelette reste visible. Le cœur, l’estomac, le foie et les reins flottent dans des bocaux emplis d’alcool.

Extrait de Royales Passions, de Marie Petitot, Tallandier, 2018.

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