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Al-Joulani conforte son autorité sur la province d’Idlib pendant que les Américains s’installent dans la durée à l’est de l’Euphrate
©Omar haj kadour / AFP

Territoire

Mohammad al-Joulani, l’émir de la coalition Hayat Tahrir al-Cham (HTC) qui tient environ 60% de la province d’Idlib a prévenu le 15 août les autres formations rebelles présentes dans la zone qu’il était hors de question de négocier avec le régime syrien.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Mohammad al-Joulani apparaît aujourd’hui comme le principal opposant au régime syrien et il tente de discréditer les autres mouvements - surtout ceux soutenus par la Turquie - avec lesquels il est en conflit larvé. Il a explicitement déclaré : « Les armes de la révolution et du jihad constituent une ligne rouge [...], elles ne peuvent faire l'objet de marchandages et ne feront jamais l'objet de négociations […]Le fait d'envisager de capituler face à l'ennemi et de rendre ces armes est en soi un acte de trahison […] Le régime et ses alliés ont essayé de suivre la même méthode de ‘réconciliation’ qui a entraîné la chute des régions du Sud [...] mais dans le Nord nous avons arrêté les principaux impliqués et mis en échec leur plan ».

En effet, dans à peu près tous les groupes rebelles, des arrestations ont eu lieu dans les rangs de ceux considérés comme trop « modérés » qui représentaient « un risque » de capitulation. En réalité, cela permet à chaque commandant de renforcer son autorité en écartant tous ceux qui peuvent la remettre en cause. Accessoirement, des responsables sont aussi régulièrement assassinés sans que l'on connaisse les commanditaires de ces meurtres: services secrets turc, syrien, Daech, rivalités internes, etc.? Pour le moment, le mystère demeure.
Les avertissements lancés par Joulani sont destinés au Front national de libération - FNL, al-Jabhat al-Wataniya al-Tahrir -, une coalition soutenue par Ankara qui réunit des éléments de l’Armée syrienne libre (ASL) et le Front de Libération de la Syrie (FLS ou Jabhat Tahrir Souriya) qui a sous sa coupe le Ahrar al-Cham et le Noor al-Din al-Zenki. Les autres mouvements rebelles dans la région sont : le Jamaat Ansar al-Furqan fi Bilad ash-Cham, la branche officielle d’Al-Qaida en Syrie et une coalition créée autour du Hurras al Denn qui se revendique aussi de la nébuleuse. Des cellules clandestines de Daech sont aussi présentes.
De son côté, alors que Damas annonçait cet été le déclenchement d’une offensive imminente sur cette province, le gouvernement syrien a été stoppé net dans ses intentions par l’accord conclu le 17 septembre à Sotchi entre la Turquie et la Russie avec l’assentiment de Téhéran. Cet accord concerne l’établissement d’une zone démilitarisée de 15 à 20 kilomètres de profondeur. Elle doit séparer à partir du 15 octobre les rebelles - tous mouvements confondus - des forces gouvernementales. Tous les armements lourds se situant dans cette zone doivent être repliés pour le 10 octobre. Son intégrité doit être contrôlée en permanence par des postes militaires russes et turcs. Des patrouilles communes devront être menées.
Le mystère réside dans la manière dont les rebelles installés sur des positions défensives (zones principalement tenues par les mouvements soutenus par Ankara) couvertes par la zone démilitarisée vont accepter de se retirer et où ils vont se positionner, d'autant que le nord de la province est plutôt le domaine du HTC. Le risque d'affrontements n'est pas négligeable.

Et pendant ce temps là, les Américains s’installent dans la durée

Si le problème semble (très) momentanément réglé dans la province d’Idlib car on se dirige vers une solution à la « chypriote » sauf que ce n’est pas l’ONU qui est placée en force d’interposition, le régime syrien doit aussi faire son deuil de son territoire situé à l’est de l’Euphrate puisque Washington va y maintenir des troupes « en soutien » des Forces démocratiques syriennes (FDS) tant que l’Iran n’aura pas retiré ses hommes et les milices chiites qu’il est supposé contrôler (Hezbollah libanais, milices irakiennes, afghanes et pakistanaises). En effet, John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche a déclaré le 24 septembre : « Nous ne partirons pas tant que les forces iraniennes resteront en dehors des frontières iraniennes, et cela inclut les alliés de l'Iran et les milices armées ». C’est la première fois que Washington lie un retrait de ses forces militaires, non plus à la victoire contre Daech, mais à la présence de forces dépendantes de l’Iran en Syrie. En clair, la « lutte contre le terrorisme » en Syrie n’est plus qu’un prétexte car il s’agit désormais pour les États-Unis de contrer l’influence jugée pour le moins « envahissante » de l’Iran au Proche-Orient.
Comme Washington ne cache pas non plus son désir profond de voir le régime des mollahs renversé, cette attitude contribue à la poursuite de cet objectif qui devrait être atteint grâce à une « révolution intérieure ». Il est vrai que cela fait des dizaines d’années que les services secrets américains savent, si ce n’est provoquer, pour le moins accompagner ce type de mouvement insurrectionnel. Il semble que les analystes américains ne mesurent pas le sentiment nationaliste perse qui dépasse de loin le seul régime des mollahs.
Après sept ans de guerre civile avec son cortège d’horreurs et ses 350 000 morts, la situation reste donc  conflictuelle en Syrie et la présence permanente de forces étrangères aux intérêts souvent divergents (la guerre contre le terrorisme a bon dos) laisse craindre des incidents qui pourraient avoir des conséquences démesurées. Déjà, il semble que l’État hébreu ne va plus avoir « ciel ouvert » au dessus de la Syrie comme c’était le cas jusqu’à l’affaire de l’avion de reconnaissance russe IL-20 abattu par erreur par la défense anti-aérienne syrienne le 17 septembre lors d’un raid de l’aviation israélienne dans la région de Lattaquié. À cette fin, Moscou serait en train de livrer à Damas des systèmes anti-aériens S-300. Il est peu probable que le président Vladimir Poutine apprécierait qu’ils ne soient détruits avant même d’avoir été installés… Ensuite, quant à les utiliser avec efficacité, c’est une autre histoire. Les pilotes israéliens "savent faire".
Dans les rangs des rebelles, c’est une lutte d’influence qui se joue Daech étant toujours présent(Particulièrement dans la région de Deir ez-Zor de par et d’autre de l’Euphrate, au sud-est de Damas et bien sûr, plus discrètement, dans la province d’Idlib.) malgré les nombreuses « offensives finales » qui devaient amener à sa disparition sans compter les nombreuses déclarations de victoire des uns et des autres.
Joulani veut se faire admettre comme un interlocuteur incontournable dans les négociations qui ne manqueront pas d’arriver dans l’avenir. C’est pour cette raison qu’il a rompu avec sa maison mère, Al-Qaida « canal historique » qui est infréquentable. Cependant, sa sincérité est sérieusement battue en brèche par les grandes puissances. Il y a bien des groupes qui continuent à se revendiquer du docteur al-Zawahiri mais c’est à se demander s’ils ne sont pas là uniquement pour apporter une légitimité apparente au HTC.
Globalement, tous les autres mouvements sont plus ou moins dépendants de la Turquie (vraisemblablement aidée financièrement dans cette tâche par le Qatar). Il a fort à parier que lorsque la situation sera stabilisée dans la province d’Idlib, un nouveau « gouvernement en exil » syrien n’apparaisse pour relancer des négociations.
Pour le bien des populations, il faudrait que la guerre s'arrête mais pas sûr que cela soit l'intérêt des puissances extérieures ni des profiteurs de guerre locaux.

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