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Journées parlementaires LR : pourquoi la droite se prend les pieds dans le problème de l’immigration
©Valery HACHE / AFP

Idéologie

Lors d'une réunion du bureau politique mardi 18 septembre, Laurent Wauquiez et Valérie Pécresse se sont affrontés sur la position des Républicains vis-à-vis du Premier ministre hongrois Viktor Orban et plus largement sur l'épineuse question de l'immigration. D'un côté comme de l'autre, la droite semble avoir des difficultés à penser ce problème.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : D'un côté comme de l'autre, la droite semble avoir des difficultés à penser le problème de l'immigration. Comment expliquez-vous cela ? 

Edouard Husson : Trente cinq ans que cela dure! Après la défaite de Giscard, la droite de gouvernement, qui est devenue de plus en plus un parti des gens aisés, a déserté la réflexion sur la question de l’immigration. Certes, Nicolas Sarkozy avait annoncé une nouvelle attitude mais l’action de régulation de l’immigration a été en-dessous annonces. Il faut se rappeler, par contraste, l’attitude du Général de Gaulle devenu la divinité tutélaire de la République: pour lui, l’immigration des années 1960 devait rester purement professionnelle et la main d’oeuvre invitée en France devait retourner dans son pays dès que l’industrie française se serait modernisée, robotisée. Si la droite d’aujourd’hui relisait les discours du Général de Gaulle sur l’impérieuse nécessité de maîtriser l’immigrationr, elle le mettrait dans la même case que Salvini et Orban. La capitulation, intellectuelle puis politique,de la « droite d’en haut » correspond à plusieurs couches de démission: d’abord, le refus d’indiquer aux grandes entreprises que la modernisation impliquait la robotisation et la concentration sur les emplois à haute valeur ajoutée, plutôt que le recours à une main d’oeuvre bon marché importée, solution de facilité; ensuite, l’acceptation du discours idéologique de la gauche néo-libérale, où l’éthique de la conviction l’emporte sur toute autre considération. Il faudrait raconter, parallèlement à l’histoire de la droite, comment la gauche a abandonné le noble idéal d’assimilation et de civisme des pères fondateurs de la République et du socialisme français. 

Dans une note pour la Fondapol parue le 22 juin 2018, Jean-Philippe Vincent explique que "l’accueil des étrangers donne de plus en plus lieu à des prises de position éthiques allant dans le sens, pour les pays développés et notamment européens, d’un devoir d’accueil inconditionnel." Dans quelle mesure la droite peut-elle se retrouver dans ce constat ? La seule attitude morale, suffit-elle vraiment à penser le problème de l'immigration ? 

La note de Jean-Philippe Vincent est lucide. Il n’y a pas d’éthique sans traduction politique possible. Max Weber avait foncièrement tort d’opposer éthique de la conviction et éthique de la responsabilité. L’éthique de la conviction est abstraite et....irresponsable. On est assez sidéré, par exemple, de l’effondrement de la pensée théologique chez le pape François par rapport à ses prédécesseurs sur le trône de Saint Pierre. Ni les évangiles ni la tradition de l’Eglise catholique ne plaident pour un «accueil inconditionnel ». La charité est exigeante et réaliste. Dans la pensée de l’Eglise, l’accueil de l’étranger n’est pas un impératif catégorique: il est une injonction morale à confronter à la situation réelle dans laquelle on vit. Si je suis père de famille, la pensée de l’Eglise m’interdit de mettre en danger, même au nom de l’accueil des étrangers, ce que je dois à mes enfants. Si je suis professeur de lycée en charge d’un certain nombre d’enfants de réfugiés, j’ai le droit, et même le devoir, de m’opposer à mon proviseur qui voudrait accueillir toujours plus de migrants dans la mesure où cet afflux m’empêcherait de mener à bien le travail d’éducation des enfants étrangers dont je m’occupe déjà... La « droite d’en haut » se complait à écouter quelques évêques coupés des réalités sociales de leurs diocèses; une partie du clergé a abandonné - sous l’influence de François et par absence de formation intellectuelle appropriée - tout discours réaliste sur l’immigration. On aboutit, globalement, à une situation où la position en fait immorale - l’accueil illimité, impossible à réaliser - est présentée comme la seule à être éthique; et la position morale, celle d’un accueil proportionné aux moyens de la société, est ridiculisée. 

Valérie Pécresse ne cache pas s'inquiéter d'un mouvement au sein des LR en faveur d'une fusion entre la droite et l'extrême droite. N'est-ce pas là aussi, une impasse dans le sens ou ce type d'allégation puisse insinuer que le débat sur l’immigration est la propriété des extrémistes ?

François Mitterrand aura fait beaucoup de mal au pays. Renégat de la droite, il a excellé à insuffler une mauvaise conscience à son ancienne famille politique. L’attitude consistant à encourager Jean-Marie Le Pen, d’un côté, et à clouer au pilori, d’autre part, toute personne qui mettrait en cause la logique d’accueil illimité, n’est pas une attitude digne d’un président de la République. Ce fut pourtant le schéma fondamental de François Mitterrand au cours de ses deux septennats. Et je remarque que la droite n’a jamais complètement fait le bilan de la manière dont elle s’était laissé manoeuvrer. Au lieu de se demander comment réconcilier le monde dirigeant et la France périphérique dans un nouveau conservatisme politique, la droite de gouvernement cultive les germes de zizanie que François Mitterrand a semés au début des années 1980. Personnellement j’attendrais que Les Républicains m’expliquent comment, une fois arrivés au gouvernement, ils vont imposer une réforme des accords de Schengen; j’aimerais les entendre surenchérir sur la politique éducative de Jean-Michel Blanquer. Je cultive l’illusion que ma famille politique est capable de rassembler tous les électeurs de droite autour du respect de l’état de droit, du renforcement des missions régaliennes, d’un retour, jusqu’à nouvel ordre, au contrôle national des frontières, d’une transmission fière de l’héritage française à tous les garçons et filles de France, quelle que soit leur origine....

Comment la droite peut-elle apporter une réponse politique efficace sur ce sujet ? Sur quoi peuvent-ils s'appuyer ?

Il faudrait que les dirigeants de droite cessent de croire que la gauche a toujours culturellement raison. Il est urgent de casser avec la bonne conscience libérale de beaucoup de responsables européens. Il faudrait que la droite soit elle-même, qu’elle soit de droite, tout simplement, c’est-à-dire respectueuse des réalités, à l’écoute de la France périphérique. Il faudrait que la droite se rappelle sa vocation: préserver l’héritage  de cinquante générations de Français, d’origines très différentes mais progressivement rassemblés par un projet politique ambitieux, généreux, universaliste, assimilateur. Nous autres Français sommes fondamentalement les enfants de Rome: nous savons prendre les individus de partout pour en faire des citoyens, des hommes libres. Il faudrait que la droite croie dans la France, tout simplement, et travaille, humblement, pour les cinquante générations à venir de Français.  

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