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Maurice Audin ou les dangers de la stratégie de communication d’Emmanuel Macron
©Thomas SAMSON / AFP

"Pardon"

Ce 13 septembre, Emmanuel Macron a choisi de "reconnaître officiellement l'assassinat de Maurice Audin, militant communiste disparu pendant la guerre d'Algérie", dans un climat politique marqué par un "plan pauvreté" dont l'ambition peut poser question, et par la forte baisse du président dans les sondages, tombé à 25% d'avis favorables (Ipsos Le Point).

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Dans quelle mesure peut-on voir ici la mise en place d'une stratégie de contre feu assurant à Emmanuel Macron l'opposition et les critiques d'une partie de la population dont les plus visibles seront les plus radicales ? Dans quelle mesure peut-on y voir une stratégie "Buisson à l'envers", notamment en référence à l'idée - non suivie - proposée par Patrick Buisson à Nicolas Sarkozy de remettre en question les accords d'Evian ? En quoi et comment le "fond" de ces sujets peuvent-ils guider la forme du débat médiatique ?

Christophe Boutin : En 2018 plus que jamais peut-être, une crise politique a toujours un aspect largement médiatique : la crise n’existe en effet qu’à partir du moment où les médias en rendent compte, et dure tant qu’ils continuent d’en parler. Sauf à présenter de fausses informations – les fameuses fake news –, mais courant ainsi le risque d’être dénoncés et de perdre leur légitimité, les médias, a priori, n’inventent pas l’événement générateur de la crise. Mais en lui donnant telle ou telle place, en se faisant caisse de résonance ou éteignoir, ils peuvent bel et bien créer la crise.
Sortir d’une crise consiste donc largement à sortir d’un champ médiatique dont la composition résulte de trois éléments principaux : la volonté des journalistes d’aller au bout d’investigations pour remplir comme ils l’entendent leur mission d’infirmation ; la lassitude ou l’intérêt d’un public dont les médias ont besoin pour justifier leur existence ; le choix des intérêts privés contrôlant les médias, soit directement, soit indirectement, notamment par le biais d’une publicité qui leur est indispensable.
Quant à sortir du champ médiatique, les méthodes à employer par celui qui est au centre de la crise ressemblent un peu à celles d’une bête de chasse. Quand il est trop tard pour se faire discret en sa « reposée », et que la meute est sur la « voie », on peut tenter une diversion et « donner le change », c’est à dire lancer un autre animal pour que la meute suive la voie de ce dernier. Reste que si la chasse est bien menée ceux qui l’ont lancée « rompront les chiens » pour ramener la meute sur la première voie. Pour revenir à la politique, cela suppose en fait que vous trouviez une victime naïve et/ou consentante, dont la chute ferait beaucoup de bruit pour satisfaire le public, et dont vos ennemis se contenteraient. Cela ne semble pas être le cas pour l’instant, mais on peut se demander si certains n’ont pas été hissés fort haut pour pouvoir tomber un jour avec plus de bruit.
Serrés de trop près, certains gibiers préfèreront se mettre « au ferme » ou « charger », non seulement pour « tenir tête », mais aussi pour « découdre » et « renvoyer » les plus timides des assaillants. En politique aussi la meilleure défense peut être l’attaque, et les récentes interventions de Benalla contre les « petits marquis » du Sénat relèvent peut-être de cette tactique... mais peut-être viennent-elles simplement du peu de connaissance qu’aurait l’intéressé du fonctionnement officiel de notre démocratie.
Dans le monde humain, il reste encore la possibilité de changer son image et de renverser la tendance de l’opinion en apparaissant sous un jour plus flatteur. Pour cela, la première solution consiste à s’investir sur un thème positif. Pour certains, la présentation du « plan pauvreté » en cette rentrée 2018 relèverait de cette tactique, et viserait autant à effacer la mauvaise image due à l’affaire Benalla qu’à renouer avec une gauche qui critique le « Président des riches ».  Pour autant, il convient de rappeler que la réflexion sur ce projet n’a pas attendu l’affaire, ni les récentes critiques, et que nous sommes plus dans le déroulé du plan d’action gouvernemental et dans cette volonté de mener de front plusieurs dossiers importants qui est un peu la marque de fabrique du Chef de l’État.
Mais la seconde manière d’amender son image est d’être attaqué par les pires de ses ennemis. En l’occurrence, si Emmanuel Macron faisait l’objet d’une virulente campagne de dénigrement de la part de l’extrême-droite, cela lui donnerait sans doute un peu d’air : les journalistes seraient moins enclins à le critiquer et la gauche lui retrouverait du charme. L’affaire Audin a-t-elle cette utilité ? La question peut être posée. Ce qui est certain c’est qu’avec deux listes actuellement au coude-à-coude dans un récent sondage (21%), LaREM et le RN sont engagés dans une lutte violente pour les élections européennes… et qu’Emmanuel Macron entend bien dramatiser les choses au maximum, croyant, à tort ou à raison, que les excès de ses rivaux, toujours facilement médiatisés, contribueront à leur chute.

Dans quelle mesure peut-on voir ici une modification de la communication du président, incarnée par la reprise en main de celle-ci par Sylvain Fort, ancien proche de Nicolas Sarkozy et de Laurent Wauquiez, et "monsieur discours et mémoire" de l'Elysée ? Emmanuel Macron ne prend-il pas un risque "d'effondrement" à produire une communication engagée, comme avait pu le faire Patrick Buisson, sans que celle-ci ne se traduise dans les faits ?

La gestion de l’affaire Benalla a vocation à rester dans les annales de la communication de crise, de ses difficultés et de ses échecs. D’abord, parce que de nombreuses questions restent posées, comme de savoir pourquoi et comment elle a pu apparaître d’un coup, et de manière aussi violente, dans des médias jusqu’alors globalement favorables à Emmanuel Macron, c’est-à-dire ni dans Valeurs Actuelles ou même Le Figaro, mais dans Le Monde puis Libération. Ensuite, parce que les seconds couteaux qui sont montés au créneau au début ont été tout simplement catastrophiques, autant dans leurs pitoyables dénégations (« Je n’ai jamais rencontré Benalla ») que dans leurs ridicules tentatives d’explication (« Il portait les valises des Bleus »).
Une fois faites ces erreurs de débutant – ou de communicant à qui on interdisait certaines réponses – l’Élysée tente de remettre de l’ordre. Sylvain Fort avait su être en phase avec les attentes de nombre de citoyens après les quinquennats de Sarkozy et Hollande : restauration de la verticalité du pouvoir, avec les idées de distance et de parole rare ; discours d’une rare qualité, où le « en même temps » présidentiel, permanent, faisait la part belle aux référents identitaires et à la culture classique. Mais on mesure le travail à faire pour replacer Jupiter dans cette dimension lorsque l’on se souvient de la « teuf » élyséenne, ou que le président a cru bon d’expliciter urbi et orbi ses relations avec Benalla.
En fait, les deux présidents que vous citez, Sarkozy et Macron, ont tous les deux, sinon trahi le discours que leurs plumes ou conseillers leur faisaient tenir, au moins créé un décalage trop important avec celui-ci, tant sur le fond, avec des réformes allant dans le sens inverse, que sur la forme, ce qui est au moins aussi grave à l’ère de l’omniprésence médiatique.

Comment mesurer la prise de pouvoir de "spin doctors" et le risque que cette situation représente, notamment en référence à l'anecdote de la vie politique britannique qui avait vu une porte parole du ministère des transports, une heure après les attentats du 11/09/2001 rédiger un email à ses supérieurs en indiquant "Sujet: relations avec les médias. C'est un très bon jour pour ressortir tout ce qu'on veut faire passer en douce." ?

Dans un monde où les médias sont omniprésents, où une image peut basculer à cause d’un tweet ou d’un mot, les « spin doctors » jouent nécessairement un rôle important. Hollywood lui-même en rend compte, multipliant les films sur ces conseillers, dont le magnifique Des hommes d’influence, avec De Niro et Dustin Hoffman. Mais n’oublions pas que le livre Propaganda, d’Édouard Bernay, date de 1928, que Gustave Le Bon décrivait la Psychologie des foules en 1895, et que l’on pourrait remonter jusqu’aux manuels de rhétorique de l’Antiquité pour comprendre comment se façonne une opinion.
Le cynisme que vous évoquez de l’équipe de Blair n’est en rien surprenant, on le retrouve à chaque page du Prince de Machiavel – quoiqu’en ait prétendu Rousseau ! Ce qui est nouveau c’est que ces hommes – et femmes - de l’ombre s’exposent au soleil ou y sont exposés. Dans son fameux discours de Chicago du 4 novembre 2008 Obama dédiait ainsi sa victoire, entre autres, à son « directeur de campagne, David Plouffe… le héros méconnu de cette campagne » et à son « chef stratégiste, David Axelrod, qui a été mon partenaire à chaque étape de ce chemin ». Mais cette mise en avant est-elle une preuve de leur plus grand pouvoir ? C’est loin d’être évident.

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