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La dangereuse erreur de stratégie européenne face à Viktor Orban
©STOYAN NENOV / POOL / AFP

Sanctionner oui mais pas comme ça

Le Parlement européen a ouvert une procédure de sanction à l'encontre de la Hongrie en activant l'article 7 ce mercredi.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Ce mercredi 12 septembre, le Parlement européen a demandé au Conseil européen d'ouvrir une procédure de sanction contre la Hongrie, dans le cadre de la procédure de l'article 7, au regard des menaces que font peser le pays dirigé par le gouvernement de Viktor Orban sur les valeurs fondamentales de l'Union. Quelles sont les implications d'un tel vote au niveau politique européen ? Quels sont les bénéfices à en tirer pour l'UE ?

Christophe Bouillaud : Tout d’abord, cela veut dire qu’au sein du Parlement européen, élu certes en 2014, les idées de Viktor Orban sont nettement minoritaires, puisque la majorité requise des 2/3  a été atteinte contre lui. Son comportement à la tête de la Hongrie laisse en effet à supposer une volonté d’outrepasser les règles de l’Etat de droit que se doivent de respecter les dirigeants des Etats membres de l’Union européenne : il est désormais acté que cette crainte est amplement majoritaire au Parlement européen. Ensuite, cette demande d’activation de l’article 7 du Traité de l’Union européenne à la demande d’une majorité qualifiée au sein du Parlement européen va obliger le niveau intergouvernemental de l’Union européenne à traiter du « cas Orban ». Tout dépendra largement ensuite de la réaction de la Hongrie de V. Orban. Cherchera-t-elle une médiation à ce niveau, ou utilisera-t-elle tous les moyens à sa disposition pour perturber le jeu européen ? Nous sommes tout de même en pleine négociation du Brexit avec le Royaume-Uni. Il ne faudrait pas que la Hongrie vienne perturber le processus en cours, déjà bien tortueux par ailleurs. Pour l’instant, il est tout de même peu probable qu’une majorité qualifiée (4/5ème) au Conseil se prononce pour aller plus avant vers une mise en cause de la Hongrie de V. Orban. De plus, si la procédure devait suivre son cours, on en passerait d’abord par une recommandation à la Hongrie, avant de rechercher à la sanctionner. 
Dans l’esprit de ceux qui ont lancé cette demande au sein du Parlement européen, il s’agit de mettre un frein à ce qu’ils perçoivent comme une dérive autocratique et xénophobe du pouvoir hongrois, et ainsi de réaffirmer que l’Union européenne n’a pour Etats membres que des démocraties pleinement fonctionnelles et aux gouvernements inspirés dans leurs actions par le respect de l’Etat de droit et les droits de l’Homme. C’est un peu sur le plan de la vie démocratique l’équivalent de la procédure pour déficit excessif en matière économique. Le bénéfice attendu serait de montrer que l’UE sait maîtriser les dérives autoritaires en son sein même. 

Cependant, quels sont les risques encourus par l'UE à sanctionner un gouvernement élu démocratiquement, dans un climat de défiance des populations européennes ou seuls 48% considère que "sa voix compte" dans l'UE (eurobaromètre 2018) ? 

Même si la majorité pour mettre la Hongrie de V. Orban est nette au sein du Parlement européen, il n’est pas sûr que cela ne permette pas à ce dernier de jouer la victime d’un complot auprès des Hongrois, mais aussi de ses partisans en Europe.
D’une part, il est fort possible qu’Orban soit perçu à l’est du continent comme la victime d’un complot occidental. La thèse du politologue bulgare Victor Krastev sur une fracture est/ouest des sensibilités dans l’Union européenne est déjà explicative, il ne faudrait pas qu’elle le devienne encore plus. 
D’autre part, en s’étant fait connaitre au niveau européen par la vigueur de son combat contre l’immigration, en particulier lors de la crise des réfugiés de 2015, V. Orban occupe une place de choix dans le panthéon des partisans d’une Europe réservé à ces propres natifs, les nativistes, terme que je préfère à celui de populistes. Il ne faut pas en effet confondre la situation d’Orban en 2018 avec celle de J. Haider en 2000-01 quand il entre avec le FPÖ au gouvernement autrichien. Ce dernier est alor perçu a priori comme un « nazi », ne serait-ce que par sa nationalité, mais il ne peut être jugé sur pièces. C’est donc un procès d’intention, qui finira en pantalonnade pour les dirigeants européens, et, d’ailleurs au final, J. Haider décevra ses propres partisans. Au contraire, V. Orban s’enorgueillit de sa politique de refus de toute immigration, et l’on peut d’ores et déjà la juger sur pièces. Il est peut-être un autocrate, voire un kleptocrate, mais il est avant tout un nativiste apparemment très convaincu, en actes si j’ose dire. La récente rencontre Orban-Salvini a amplement illustré ce rôle d’Orban comme leader d’un pays modèle, aux frontières fermées à l’immigration. Peu importe d’ailleurs que cela soit vrai : Orban a tout fait pour que tout le monde en soit convaincu.  Cela veut dire que toutes les personnes qui tiennent que l’Europe doit rester réservée aux natifs de l’Europe peuvent se sentir visés par cette décision du Parlement européen contre Orban. Pour paraphraser un dicton américain de la Guerre froide, « c’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute », peuvent penser beaucoup  de gens qui admirent cet aspect de son action. Par contraste, ses adversaires, tous ceux qui ont voté la résolution à son encontre, peuvent du coup apparaître comme prêt à  livrer le continent pour reprendre un terme en vigueur chez les nativistes au « grand remplacement ». Je ne suis pas certain que cela soit une manière convaincante d’ouvrir la campagne des élections européennes de 2019. En somme, le problème est qu’Orban, au-delà de sa personne, représente une vision politique qu’une démocratie pluraliste ne saurait mettre hors la loi.

Comment anticiper la suite des événements dans le cas où le Conseil européen - qui devra se prononcer à une majorité des 4/5e- suivait le vote du Parlement contre la Hongrie ? 

Dans cette hypothèse, cela supposerait vraiment que le PPE fasse le ménage en son sein. Le vote contre Orban au Parlement européen fait en effet apparaître au grand jour une fracture au sein du PPE – que personne n’avait jusqu’ici souhaité officialiser ainsi. Si l’on en vient à un vote négatif contre Orban au Conseil, cela tendra à diviser encore plus le PPE. Déjà, en regardant le vote d’aujourd’hui et les déclarations de Manfred Weber qui l’ont précédé, l’impression qu’on peut avoir est que le vieux PPE, celui démocrate-chrétien, celui des origines d’avant les élargissements des années 1990-2000, l’a emporté sur les pièces rapportées. Or l’agrégation autour d’un noyau dur démocrate-chrétien de libéraux-conservateurs, plus ou moins nationalistes (comme le PP espagnol, le FI italien et l’UMP française), avait été la grande stratégie du PPE pour dominer le paysage politique européen, avant et après le grand élargissement de 2004. Il fut même un temps, au début des années 1990, où les Conservateurs britanniques avaient été satellisés par le PPE. On observe peut-être l’accélération du phénomène inverse. On peut d’ailleurs se demander si V. Orban n’a pas lui-même enclenché cette accélération en se présentant récemment comme le vrai continuateur de la démocratie-chrétienne. En le mettant en minorité, les élus PPE qui ont voté contre lui rappellent qu’il n’est pas le nouveau propriétaire de l’idée démocrate-chrétienne. En somme, V. Orban était en train de mener une OPA sur le PPE, il était temps pour beaucoup de le mettre en échec. 
Si on en arrive à la fin à un PPE qui aurait liquidé ses éléments droitiers, cela rééquilibrera l’alliance avec les socialistes du PSE et les libéraux de l’ALDE, et cela concentrera l’opposition à cette alliance sur le flanc droit du Parlement à élire en 2019. 

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