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Les manifestations reprennent en Iran contre le pouvoir et alimentées par la gestion désastreuse de l’économie du pays
©ATTA KENARE / AFP

Colère du peuple iranien

Cette semaine plusieurs manifestations ont éclaté en Iran. Certains accusent les plus conservateurs du régime d'en être à la source, d'autres les occidentaux. Qu'en est-il ?

Azadeh  Kian-Thiébaut

Azadeh Kian-Thiébaut

Azadeh Kian-Thiébaut est sociologue à l’Université Paris Diderot et spécialiste de l’Iran. A ce titre, elle est l’auteur de plusieurs livres, dont son plus récent : L'Iran: un mouvement sans révolution? La vague verte face au pouvoir mercanto-militariste.

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Atlantico : Cette semaine plusieurs manifestations ont éclaté au travers du pays. Si le mouvement contestataire de décembre dernier ne s'était jamais vraiment arrêté, reprend-il actuellement en intensité ?

Azadeh Kian-Thiébaut : Pour l'instant, l'intensité des manifestations n'est pas la même qu'en décembre ou janvier dernier, même si les mouvements protestataires se répandent. Par exemple, jeudi il y avait des manifestations dans le centre de Téhéran.
On peut s'attendre à ce qu'elles prennent en ampleur compte-tenu de l'actuelle crise économique iranienne, de l'inflation, du prix des produits de premières nécessités et des denrées alimentaires qui ne cessent d'augmenter (actuellement ils auraient d'ores et déjà augmenté de 60%).
A Téhéran et à Ispahan (troisième ville du pays), le régime a commencé à réprimer ces mouvements protestataires : il y a eu plusieurs arrestations et les forces de l'ordre ont usé de bombes lacrymogènes.
La police est omniprésente lors de ces mouvements contestataires car le régime craint l'expansion de ce mécontentement. Pour le moment, les classes moyennes ne rejoignent pas les contestations mais le temps presse pour le pouvoir iranien.

Certains accusent les plus conservateurs des régimes d'en être à la source, d'autres les occidentaux. Qu'en est-il ?

Il ne pas faut oublier que les deux sources principales de ces mouvements sont la crise financière d'une part, et l'effondrement du Rial (monnaie iranienne) de l'autre. La gestion de l'économie nationale par le pouvoir a été très mauvaise. Le pouvoir demande à la population de se tirer la ceinture mais tous jours les iraniens apprennent que des milliards de dollars sont détournés par les dirigeants et leurs proches. La source de ces manifestations est donc simple : un quotidien de plus en plus difficile pour les couches populaires qui ne parvient plus à joindre les deux bouts.    
Cela étant dit, il est vrai que les conservateurs et les occidentaux jouent un rôle dans ces mouvements. Il existe de profondes tensions entre les ultras et les modérés. A titre d'exemple, le principal rival de Rohani (Ebrahim Raisi) tente de l'affaiblir dans sa ville de Masdhad (deuxième ville du pays). De ce fait, il n'est pas exclu que les conservateurs alimentent les manifestations et le mécontentement ambiant.
Les occidentaux et surtout les Etats-Unis en se retirant de l'accord sur le nucléaire et en infligeant de nouvelles sanctions aux pays ont également eu un impact sur la monté de cette colère. Hassan Rohani avait beaucoup misé sur l'ouverture du pays et sur la suppression des sanctions internationales qui devaient relancer l'économie locale, or rien de tout cela ne s'est produit. Provoquant une forte déception chez ses soutiens et renforçant ainsi le poids des conservateurs qui tentent désormais de le faire chuter.
Cependant pointer du doigt la seule responsabilité américaine serait une grosse erreur. Encore une fois, la mauvaise gestion de l'économie par le pouvoir en est une cause bien plus profonde.

Les manifestants viendraient de milieux divers et variés. Quelles sont leurs revendications ? S'agit-il de réels opposants au régime ou est-ce principalement l'expression d'un "ras-le-bol" face à la situation économique du pays ?

Les revendications sont majoritairement d’ordre économique. A Ispahan, par exemple, le mouvement protestataire a commencé dans un quartier de revendeurs de pièces détachées : en raison de l’inflation, leurs pièces coutent de plus en plus chère et par conséquent, le pouvoir d’achat des iraniens étant actuellement limité, ils n’en vendent plus.
Ensuite, d’autres groupes se sont joint à leur mouvement. Ceux-ci ont également des revendications économiques mais il n’existe aucune cohésion entre ces différents groupes. Les contestations ne sont pas organisées, il n’y a pas de mouvement uni mais plutôt une multitude de mouvements protestataires. C’est parce que ces manifestations sont sporadiques et spontanées qu’ils ne grossissent pas tant que ça : certes ils sont importants, mais jusqu’à maintenant seules quelques milliers de personnes ont protesté dans les rues.
Ainsi, d’autres groupes se sont dressées avec des revendications plus sociales, d’autres sont plus clairement anti-régime et enfin, certains, réclament le retour du père de Shah d’Iran (l’homme qui a ouvert et industrialisé le pays).
Les femmes prennent également part à ces manifestations, mais leurs revendications demeurent économiques et sociales. Pour l’instant, elles ne « profitent » pas de ces rassemblements pour demander davantage de droits. Si le « mercredi blanc » (femmes qui portent un foulard blanc pour protester contre le voile obligatoire) ou encore le mouvement des femmes sortant têtes nues, avaient été médiatisés, ils sont à part et n’ont pas de liens avec les contestations actuelles.

Mercredi, le parlement iranien a convoqué une session spéciale pour interroger le président sur l'effondrement du Rial et la crise économique. Quelle peut-être l'issue de ce rendez-vous ? Le poste d'Hassan Rohani est-il menacé ?  

Rohani en tant que président iranien est menacé puisque selon la constitution actuelle il est responsable devant le Parlement. Or, ce même Parlement –majoritairement modéré, comme Rohani, depuis les élections de 2016- s'exprime très souvent contre la façon dont le gouvernement gère l'économie, et contre la corruption présente à tous les étages.
Aujourd'hui, le Parlement demande de véritables changements. Des changements plus profonds que ceux menés par le Président (lequel s'est contenté de remplacer l'ancien directeur de la Banque Centrale), comme par exemple un remaniement gouvernemental complet.
Pour l'instant, et également lors de la session spéciale à venir il ne devrait pas être question de motion de censure mais celle-ci pourrait venir plus tard, si Rohani reste de marbre. D'autant plus, que l'Iran dispose de réels experts économiques qui seraient à même de proposer des solutions efficaces pour mettre un terme à la crise financière mais ceux-là ne sont pas appelés au gouvernement…

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