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L’innovation technologique chinoise ? Pourquoi il s’agit surtout d’un fantasme d’Occidentaux
©STR / AFP

Marché ultra concurrentiel

De nombreux économistes et observateurs occidentaux décrivent la Chine comme un concurrent féroce pour la suprématie technologique mondiale. Est-ce vraiment le cas ?

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte est docteur en information scientifique et technique. Maître de conférences à l'Université Catholique de Lille et expert  en cybercriminalité, il intervient en tant qu'expert au Collège Européen de la Police (CEPOL) et dans de nombreux colloques en France et à l'International.

Titulaire d'un DEA en Veille et Intelligence Compétitive, il enseigne la veille stratégique dans plusieurs Masters depuis 2003 et est spécialiste de l'Intelligence économique.

Certifié par l'Edhec et l'Inhesj  en management des risques criminels et terroristes des entreprises en 2010, il a écrit de nombreux articles et ouvrages dans ces domaines.

Il est enfin l'auteur du blog Cybercriminalite.blog créé en 2005, Lieutenant colonel de la réserve citoyenne de la Gendarmerie Nationale et réserviste citoyen de l'Education Nationale.

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Atlantico : Nombres d'économistes et d'observateurs occidentaux décrivent la Chine comme un concurrent féroce pour la suprématie technologique mondiale. Est-ce vraiment le cas ? Peut-on vraiment comparer la Chine avec les Etats-Unis ou l'Europe dans ce domaine ? 

Jean-Paul Pinte :La Chine a longtemps été décrite comme l’usine du monde mais elle est en train d’en devenir depuis un non moment le laboratoire en ce qui concerne les technologies. Pour exemple, ces dernières années la croissance de l'économie de l'Internet en Chine a été largement motivée par l'esprit d'entreprises privées comme Alibaba et Tencent. Les Chinois sont des apprenants rapides et au cours des 30 dernières années, les fabricants chinois ont su saisir les occasions d'émuler, d'adapter et de diffuser de nouvelles technologies.
Dominique Jolly, professeur à la Webster University Geneva évoque ici que le pays dépose plus de brevets que les Etats-Unis depuis 2011 et ses réseaux de recherche se développent à grands pas. La Chine détient ensuite en 2013 le record du monde en matière de dépôts de brevets, avec 2,3 millions de brevets. 
Huawei dans les équipements de télécommunication, Baidu dans l’Internet, Haier dans l’équipement ménager, Trinasolar dans le photovoltaïque sont les entreprises les plus remarquées à ce jour et des entreprises internationales comme Novartis, SAP, Nestlé, Philips, General Motors ou encore Bosch ont construit des centres de R&D importants sur le territoire chinois.
Ces efforts conjugués font que la Chine consacre aujourd’hui à la R&D une part de son PIB proche de ce qui se fait en Europe, mais toutefois encore loin des Américains. Et pourtant Microsoft y a implanté un centre de recherche de 300 personnes (à côté de 3000 ingénieurs en développement) au cœur du parc scientifique pékinois de Zhongguancun pour accéder aux meilleurs talents chinois.
Dans un article de Cong Cao intitulé « L'industrie chinoise face au défi technologique » on peut lire qu’en 2001 la Chine était devenue le numéro un mondial du téléphone portable en nombre d'abonnés avec 145 millions d'utilisateurs, et son réseau de 179 millions de lignes de téléphone fixe est le deuxième au monde, derrière celui des Etats-Unis. En 2010, si ce n'est plus tôt, la Chine devrait dépasser les Etats-Unis en tant que plus grand marché mondial d'ordinateurs, après avoir rattrapé le Japon en 2002. Internet, à peine connu en Chine avant le milieu des années 1990, y compte aujourd'hui environ 80 millions d'utilisateurs. Les produits " made in China " ne sont plus uniquement des jouets, des vêtements et des chaussures de sport, mais aussi des produits de consommation électroniques et des gadgets high-tech. Enfin, la Chine était en 1998-1999, le dixième exportateur mondial de haute technologie !
La volonté chinoise de développer ses capacités d’innovation technologique remonte en fait à 1992 nous rappelle cet article. C’était alors une façon d’amorcer une voie nouvelle alors que le pays était isolé sur la scène diplomatique du fait de la brutale répression du mouvement étudiant à Tiananmen en 1989, et alors que les régimes communistes européens –dont l’URSS– s’étaient écroulés.
Le même article nous révèle aussi que le Premier ministre Wen Jiabao créera en 2003 un groupe de travail chargé de mettre en place un plan à moyen et long terme de développement scientifique et technologique allant de 2006 à 2020. Sept industries émergentes stratégiques ont été identifiées toujours selon cet article. Elles vont des économies d’énergie aux nouveaux matériaux en passant par les voitures électriques et l’industrie biologique. Aujourd’hui les entreprises innovantes chinoises bénéficient de l’expérience de Chinois qui ont séjourné dans des laboratoires étrangers et des programmes comme celui de « mille talents » permet à ces ressortissants chinois un retour au pays accompagné de conditions financières avantageuses. Des chercheurs non-chinois peuvent parfois aussi en profiter. Pendant ce temps en Europe dans les pays de l’OCDE, les dépenses publiques et privées de R&D ont diminué du fait de la crise économique, passant de 90% à 70% du total mondial en l’espace de dix ans.

Dans un article de Project Syndicate, l'auteur explique que "s'il est vrai que les technologies numériques transforment l'économie chinoise, cela reflète davantage la mise en œuvre de modèles d'affaires reposant sur Internet mobile que le développement de technologies de pointe.". Est-ce le cas selon vous ?

Certes la chine est entrée dans une nouvelle ère d’innovation et n’a pas attendu l’Internet mobile pour se positionner sur les technologies comme nous avons pu le voir précédemment. Le train à grande vitesse, le paiement électronique, le partage de vélos et le commerce en ligne chinois comptent parmi les grandes plus récentes innovations.
Son image d’imitateur qui aurait du mal à innover. la Harvard Business Review a publié en mars 2014 un petit essai intitulé «Why China Can’t Innovate», qui pointe un grand nombre d’obstacles : politiques et institutions, modèle industriel, management, éducation. De nombreux experts expliquent ici leur point de vue sur cette position de la Chine par rapport à l’innovation. Il existe toujours un écart entre la Chine et le monde, mais la Chine accélère. On peut y lire que La situation change, et avec elle l’esprit du peuple chinois. WeChat en est un excellent exemple : il s’est inspiré de certains produits américains, mais en faisant beaucoup mieux. La même chose arrive avec Xiaomi, dont les méthodes sont très innovantes.
La Chine va construire des laboratoires de qualité, développer des talents de haut niveau, participer à davantage de projets internationaux et améliorer les politiques relatives aux projets scientifiques de base pour devenir une puissance technologique mondiale d'ici 2050, ont annoncé le 11 février des responsables. Ces nouveaux efforts figurent dans un document publié par le Conseil des affaires de l'État -le gouvernement chinois- sur la manière d'améliorer de manière globale les capacités de recherche scientifique fondamentale du pays nous signale ce site.
Ce document vise « à répondre au manque de recherche scientifique fondamentale de pointe et originale de la Chine, à remédier à la pénurie de talents scientifiques de haut niveau et à affronter efficacement des défis sociaux et économiques de plus en plus complexes », a déclaré Huang Wei, vice-ministre des Sciences et technologies.
D'ici 2050, la Chine a pour ambition de devenir l'un des principaux centres de recherche et d'innovation scientifiques du monde, avec un énorme volume de recherches originales et novatrices menées par des scientifiques de classe mondiale, a-t-il annoncé.
Ye Yujiang, directeur de la recherche fondamentale au ministère des Sciences et technologies, a déclaré que la Chine est entrée dans une phase solide de développement scientifique au cours des cinq dernières années en investissant de plus en plus dans des articles scientifiques de haute qualité.
Parallèlement, l'investissement total dans la recherche fondamentale est passé de 49,9 milliards de yuans (7,92 milliards de dollars) en 2012 à 82,3 milliards de yuans en 2016, a-t-il ajouté. Le nombre total de citations d'articles scientifiques -un indicateur clé de la capacité de recherche d'un pays- est également passé de la quatrième place mondiale en 2016 à la deuxième en 2017, plaçant la Chine juste derrière les États-Unis.
En novembre 2017, Tencent a ainsi détrôner Facebook en termes de valeur de marché  pour devenir la cinquième plus grande entreprise du monde en termes de valeur de marché.
En présentant ses vœux au peuple chinois, sacrifiant le 31 décembre au soir à la mode du calendrier grégorien, le Président Xi Jinping a rappelé les avancées technologiques majeures chinoises de 2017 comme le satellite quantique ; le radio télescope géant du Guizhou, le TGV Pékin-Shanghai l’essai en vol du 2e prototype du biréacteur C.919 qui doit beaucoup aux technologies étrangères, résultat de coopérations-transferts, imposées par la Chine en échange de l’accès à son marché. De même le sous-marin Jiaolong, le télescope Œil Céleste ou la sonde Wukong, présentant tous des innovations majeures, sont apparus l'un après l'autre, renforçant notablement l’influence internationale de la Chine dans le domaine de la recherche fondamentale.
Le site ZDNET nous rappelle 7 entreprises chinoises qui façonnent aujourd’hui l'avenir de la technologie comme Baidu le Google, Alibaba le géant du e-commerce, Tencent le Facebook, JD.com l’Amazon chinois, Didi l’Uber, Huawei le Cisco et Xiaomi le grand du téléphone.
Mais il ne faut pas oublier non plus des domaines comme l’Intelligence Artificielle où Cheetah Mobile, héritier d'une application Android, et acteur désormais de l'Intelligence Artificielle et de la robotique (Cheetah Robotics) et Leeco, qui veut prendre de vitesse Tesla dans la course à la voiture électrique pour les masses. Baidu vient ainsi de dévoiler la puce AI Kunlun pour l’informatique de pointe et le cloud computing. La puce Kunlun est optimisée pour les tâches d’intelligence artificielle, notamment la reconnaissance vocale, le traitement du langage naturel, la reconnaissance d’images et la conduite autonome.
L’IA est ainsi devenu le nouvel enjeu de la compétition Chine – USA. Le « Plan de développement de la nouvelle génération d’Intelligence Artificielle publié par le Conseil des Affaires d’État en juillet 2017, montre la volonté de la Chine de se placer en tête de la connaissance globale dans les secteurs clés des sciences cognitives, de la neurobiologie et de la « neurologie computationnelle », de la logique mathématique et des logiciels complexes, constituant l’ensemble de disciplines concourant aux progrès global dans le domaine de l’intelligence artificielle. (Source)
Et pour cause, la Chine a annoncé il y a quelque temps un plan trisannuel pour doper le développement de l’IA chinoise entre 2018 et 2020. Une véritable course à une économie dopée à l’IA.
2018 AI & Blockchain Innovation Summit
L’IA est en phase de devenir en Chine le principal secteur d’activité du futur et elle est, n’oublions pas pionnière dans les technologies de reconnaissance faciale sans oublier que la moitié des ingénieurs en IA de la Silicon Valley sont Chinois, comme l’expliquait en mai 2018 un industriel chinois au Financial Times. Des colloques comme 2018 AI &Blockchain Innovation Summit à Shanghaï sont également la preuve des avancées de la Chine dans ce domaine.

Jusqu'à quand pensez-vous que le Chine aura ce retard technologique au vu des productions fulgurantes de ces dernières années ?

Comme je l'ai précisé dans ma réponse ci-dessus on ne peut plus vraiment parler de retard et  Clément Renaud  de préciser dans cet article qu'il nous  " Dépasser le cliché de l’occidental créatif, par opposition au Chinois qui serait juste celui qui produit et reproduit dans une usine ". 
En Chine, et en Asie en général, il y a, précise t-il  une accélération, une certaine rapidité à tester les innovations à des échelles énormes, ce qui permet de faire évoluer les produits très vite. C'est le cas du domaine du Big Data où avec une telle population le champ d'investigation de la recherche s'avère fructueux car les chinois s'approprieront bien plus vite que nous des technologies sur lesquelles la France par exemple a tardé.
L'innovation technologique en Chine a entraîné l'innovation sociale et par là même une mise en réseau avec les autres continents. Ce qui passera forcément par une accélération du développement de l'innovation pour ce pays qui n'a pas fini de nous surprendre...

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