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Pourquoi l’âge que vous ressentez dans votre tête a plus d’impact sur votre état physique que celui noté à l’état-civil
©MYCHELE DANIAU / AFP

Younger

Plus que notre date de naissance ce serait notre âge ressenti qui aurait un impact sur notre santé, notre personnalité et notre mental.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Depuis plusieurs années, les scientifiques s'intéressent à "l'âge ressenti". D'après eux, celui-ci serait plus important que notre âge réel. Comment expliquer cette théorie ?

Jean-Paul Mialet : Ainsi, le ressenti l’emporterait sur la réalité objective ? Une découverte qui, en fait, ne devrait surprendre personne. Il y a un moment que l’on sait combien le cerveau humain construit chez chacun sa propre réalité à partir du réel, en y incorporant un grand nombre de paramètres. Interviennent entre autres l’histoire personnelle (expériences passées, évènements de vie, bain affectif) et la culture d’appartenance. 
Dès les années 60, on a montré par un grand nombre de recherches combien la perception subissait des influences subjectives.  Par exemple, on sait qu’il existe une tendance à surestimer la dimension d’un billet quand il appartient à sa monnaie : le billet de 10 francs apparait à un français plus grand que sa taille, erreur que ne commet pas un américain qui, pour sa part voit le billet de 10 dollars plus grand qu’il n’est… 
Ce phénomène du décalage entre l’éprouvé et le réel s’observe partout. Il est particulièrement criant dans les jugements que portent les individus sur leur apparence. Combien de femmes se trouvent laides en dépit de tout ce que leur dit le miroir ou leur entourage? Mais le jugement que chacun porte sur ses compétences dans des domaines plus abstraits que les critères physiques tels que l’intelligence ou de nombreuses autres aptitudes peut également s’avérer très éloigné de ce qu’en perçoit un observateur objectif. Plus largement, le regard interne sur lequel se fonde l’évaluation de soi-même peut être biaisé dans un sens positif ou négatif. Et certaines thérapies visent à redresser les déformations excessives de ce regard.
Pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’âge ? Pour la plupart, l’âge est une donnée chronologique quantitative finalement assez abstraite, dont la conscience ne revient pleinement qu’au moment de l’anniversaire. Pour les enfants, l’âge est une ambition, un futur : on veut devenir des « grands ». Pour les adultes, l’âge est un nombre d’années d’existence qu’on inclut dans des projets avant de devenir – pour certains et pas tous – une préoccupation.

Quelqu'un qui se sentirait plus jeune -par exemple quelqu'un de 50 qui aurait un âge ressenti de 45- vieillirait mieux et en meilleure santé. Comment l'expliquer ? Est-ce uniquement dû au fait que quelqu'un se sentant plus jeune est plus actif ou d'autres facteurs entrent-ils en jeux ?

Se sentir jeune protège. Le jeunisme ambiant fait de l’âge un souci, pour ne pas dire une angoisse. Alors que d’autres cultures ont une grande tolérance pour l’âge et attribuent des qualités – expérience, sagesse – aux personnes âgées en les respectant et en leur reconnaissant un rôle social, notre monde de performance fait de l’âge un handicap. Dans certains milieux professionnels, l’informatique ou la publicité par exemple, on est très vite un « vieux ». Le risque de l’âge est donc d’être mis à l’écart, de perdre sa place dans la communauté.

Avec un tel enjeu, on conçoit que ceux qui se sentent jeunes vieillissent mieux. Et ils entrent alors dans un cercle vertueux, car ceux qui se sentent jeunes se comportent comme des jeunes et entretiennent mieux leur santé à travers de multiples activités, physiques et sociales. Qui sait même – on peut tout envisager - si l’âge ressenti n’influence pas aussi certaines secrétions hormonales ? A l’inverse, ceux qui se sentent âgés s’ouvrent moins à une vie dont ils anticipent déjà les renoncements majeurs. Ils n’attendent pas d’être âgés pour vieillir – doublant ainsi l’âge au poteau ! 

A l'inverse quelqu'un se sentait plus vieux serait plus à risque de tomber malade, de sombrer dans la folie... Comment un simple ressenti peut-il provoquer une maladie ou pire -d'après une récente étude par une équipe de scientifiques canadiens- être à l'origine d'un décès ?

Comme je viens de le dire, l’âge est une question cruciale dans notre monde Occidental. Que donnerait une étude comparable en Asie ? Ces questions de contexte mis à part, il est certain que se sentir jeune s’accompagne d’une relation différente à l’existence et à soi-même. Le vieillissement va de pair avec un détachement : ce détachement prépare la disparition finale. S’il peut conduire à l’indifférence, il peut aussi être l’heureuse distance qui donne de la sagesse. Il ne s’observe d’ailleurs pas avec la même intensité chez toutes les personnes âgées : certaines semblent garder l’émerveillement de la jeunesse jusqu’à un âge avancé, jusqu’à leur dernier jour même. Ces évolutions exceptionnelles sont plutôt le fait de personnes dont la passion de vivre n’est pas entamée par le temps ni l’affaiblissement de la maladie, et je veux bien croire que  le souffle qui anime certains les protège même à un âge avancé.

A l’inverse, ceux qui se sentent « vieux » - quelque soit leur âge objectif – s’enferment dans le poids de l’âge ; ils ne sont plus portés par la vie ; ils se retirent et deviennent plus vulnérables, à la fois sur le plan physique car ils se négligent et sur le plan mental parce qu’ils décrochent et s’isolent. Toutefois, si le poids des facteurs psychologiques n’est pas négligeable, reconnaissons que la physiologie compte également. Or il y a des inégalités face aux vieillissement : certains voient leur organisme se modifier plus que d’autres ; ils doivent faire face à des douleurs, une fatigue, une lenteur de réaction qui ne les aident pas à minimiser leur âge. Et puis, il y a les altérations de la santé inévitable avec l’âge, et contre lesquelles le sentiment d’être jeune n’immunise pas.

Enfin, notre âge tel qu'on le perçoit peut-il aussi avoir une influence sur la qualité de notre vie ? 

Je crois avoir répondu en partie à cette question dans les questions précédentes : se sentir jeune protège contre les affres de l’âge, et dans une société comme la nôtre qui valorise la jeunesse, permet de se sentir bien intégré. Dès lors, une plus grande assurance ne peut qu’être profitable pour la réussite professionnelle. De même, la vie apparaît plus prometteuse, elle est vécue dans un élan partagé avec cette communauté avec laquelle on se sent en phase.

Mais je voudrais profiter de cette question pour nuancer le propos en envisageant aussi les méfaits d’un ressenti de jeunesse qui s’apparente parfois à de l’aveuglement. Combien de jeunes femmes paniquent quand sonnent les 40 ans et qu’elles n’ont pas d’enfant ? Aujourd’hui, rien ne nous rappelle notre âge, disent-elles. Plus caricaturalement, je me souviens d’une patiente de 70 ans s’effondrant dans une dépression sévère après un séjour à Marbella : elle n’avait jamais senti qu’elle vieillissait ! Hélas, le maillot de bain lui rappelait douloureusement son âge. L’âge n’est donc pas qu’un ressenti : il est également une réalité à laquelle on doit s’adapter sans se laisser accabler.

Or à l’époque du jeunisme triomphant, il semble bien que cette réalité ne peut plus être acceptée ; elle doit être niée. Il y a ainsi une angoisse de l’âge qui alimente la multiplication des actes de chirurgie esthétique pour les femmes, comme la quête de performances hors normes chez les hommes (à l’exemple de ces quadragénaires qui courent nuit et jour pendant plusieurs jours, mettant leur organisme en péril.)

La solution n’est donc peut être pas de se sentir jeune, mais d’accepter son âge sans qu’il vous atteigne, sans rien regretter d’un passé suffisamment rempli et en restant confiant pour le futur. Chaque âge, dit-on, a ses plaisirs. Qui sait si la sagesse ne protégerait pas davantage que le sentiment d’être jeune ?

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