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Journée internationale des émojis : de la civilisation de l’écriture à celle de l’image, une révolution silencieuse
©MIGUEL MEDINA / AFP

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Polysémique et imagé, l'émoji est devenu un instrument de communication privilégié dans nos sociétés. 900 millions d'émojis ont été envoyé l'année dernière, et cela devrait encore augmenter dans les années à venir.

Erwan le Nagard

Erwan le Nagard

Erwan le Nagard est spécialiste des réseaux sociaux. Il est l'auteur du livre "Twitter" publié aux éditions Pearson et, Social Media Marketer. Il intervient au CELSA pour initier les étudiants aux médias numériques et à leur utilisation.

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Atlantico : C'était hier la journée mondiale des emojis. Comment expliquez-vous que ces petites icônes aient peu à peu conquis les utilisateurs de smartphones, au point que l'on peut aujourd'hui communiquer presque exclusivement à partir de dessins, sans prendre la peine d'insérer le moindre texte dans ses messages ?

Erwan Le Nagard : Les emojis sont des pictographes qui représentent des choses très variées, tels que des visages, la météo, des véhicules ou des activités. Dans leur version standardisée, on recense 2.823 émojis. Par définition, un émoji est polysémique car il doit pouvoir être utilisé dans des contextes différents (archétype, métaphore ou symbole) et en séquence, permettant d'en dériver une signification différente de leur sens unitaire. . Ce sont autant de moyen de parfaire sa communication sur les plateformes numériques, et de créer le truchement d'une communication interpersonnelle désintermédiée. Au travers de l'écrit, nous perdons toute une série d'informations importantes à la communication, telle que les silences, le contexte d'élocution, les mimiques, tout ce qui est de l'ordre du non-verbal. Il n'est pas nécessaire d'utiliser un mot pour s'exprimer, et les émojis permettent de se réapproprier certaines de ces fonctions : la réaction épidermique, la modification de ton, le "gimmick", la narration... Ainsi, l'an passé, plus de 900 millions d'émojis ont été envoyé sans texte, sur Facebook. Il n'est pas étonnant que l'évolution des usages de l'émoji soit intimement lié au développement des échanges numériques, et cela fait près de 20 ans qu'ils sont nativement intégrés dans nos téléphones portables. Cet usage n'aura de cesse d'évoluer, car de nouveaux émojis sont soumis chaque années par les internautes et sélectionnés par le Consortium Unicode. Ainsi, en 2019, vous pourrez utiliser 157 nouveaux émojis.

Qu'il s'agisse des emojis, des gifs ou encore des simples "smileys" constitués de signes de ponctuation, communique-t-on aujourd'hui davantage par l'image que par les mots ? On sait que l’image est beaucoup plus dans l’émotionnel, l’immédiateté, potentiellement la manipulation aussi… Faut-il y voir une révolution des moyens de communication, où l'émotionnel l'emporterait sur le rationnel ?

Les écrits se transforment avec nos écrans, et leurs usages. Des plateformes se sont construites autour de ces nouvelles formes d'écritures. Facebook en formattant les contenus crée un truchement de sociabilité, Snapchat tire partie des caméras embarquées dans nos mobiles pour construire de nouveaux modes d'énonciation, etc. En mars 2015, Instagram déclarait que plus de la moitié des textes publiés sur sa plateforme contenaient un emoji. On assiste à l'essor d'un "web affectif" comme le théorise Camille Alloing et Julien Pierre, où des acteurs comme Facebook cherchent à juguler nos émotions pour en tirer de la valeur. L'évolution des interfaces est très intéressante, en 2015, Facebook a ainsi modifié son bouton "like" pour permettre aux usagers de qualifier leurs affects par des "Réactions". De même, Facebook a fait évoluer sa boite de commentaires, pour permettre aux usagers d'insérer des gifs depuis une bibliothèque d'images, ou des stickers qui représentent des situations plus élaborées. Cela participe à l'enrichissement des bases de données de la firme de Mark Zuckerberg, afin d'optimiser leur modèle économique basé sur la vente d'espaces publicitaires. 

Quels problèmes cela peut-il poser ?

L'emoji et ses usages constituent un champs de recherche très dynamique en sciences humaines. Les meilleurs chercheurs dans ce domaine se sont réunis le 14 juillet, à New York, lors de l'EmojiCon, pour comprendre comment les émojis modifient la manière dont nous communiquons en ligne. Au coeur des problématiques de recherche, les conférences se sont focalisées sur l'interprétation et la signification des émojis. On recense une augmentation des cas litigieux dans les tribunaux, impliquant l'usage d'émojis dans des échanges électroniques, comme ce fut le cas pour ce propriétaire qui croyait avoir loué son appartement. Mais, aussi du point de vue de la linguistique, puisqu'un émoji peut être perçu différemment selon le contexte. Que signifie un émoji qui rie aux larmes ? Est-ce que l'usager derrière son écran rie à en pleurer, ou est-ce un marqueur d'ironie ?  

Y a-t-il une sociologie des emojis ? Les jeunes sont-ils les seuls à s'en servir ? Et quels jeunes en particulier ?

L'émoji est transgénérationnel, il n'est pas question d'âge, mais plutôt de matûrité d'usage des plateformes. Pour illustrer ce propos, Facebook indiquait récemment que plus de 77% des 56-64 ans inscrits à Messenger, utilisent des emojis. Les usages des émojis ne sont pas homogènes d'une pays à l'autre, et leur signification peut varier. A l'occasion du World Emoji Day, Facebook a dévoilé les émojis les plus utilisés par ses utilisateurs. Il est intéressant de constater qu'au niveau mondial, l'émoji "gâteau d'anniversaire", est le quatrième plus utilisé, et que la journée où Facebook a enregistré le plus d'émojis envoyés fut le jour de l'an, révélant l'importance des célébrations dans l'activité de ses usagers. En France, en Italie et en Espagne, l'émoji le plus significatif est celui représentant une bise... 

L'emoji n'est-il pas également le reflet idéologique d'une époque ? Il y a quelques mois, on apprenait que les œufs avaient disparu de l'emoji "salade", pour que celui-ci soit davantage compatible avec le mode de vie des vegans...

Vous aurez remarqué qu'un même emoji n'est pas représenté de la même manière qu'on le consulte sur son iPhone, un smartphone Android, Facebook ou un site web. Par exemple, l'emoji "pistolet" sera tantôt représenté comme une arme à feu, tantôt comme un pistolet à eau. Chaque plateforme fait évoluer la représentation des émojis selon ses propres critères et les retours de leurs utilisateurs, afin de parfaire la communication entre eux. Google a, par exemple, atténué l'expression faciale de l'emoji "chèvre" pour le rendre plus sympathique et s'est conformé, au cours des années, dans l'utilisation de visages ronds jusqu'à abandonner ses célèbres "Blobs" en forme de gouttes d'eau. Bref, derrière la simplicité apparente d'un émoji se cachent des processus complexes de conception, d'appropriation et de détournement par les usagers. 

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