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Pourquoi l’intérêt des sites de rencontres en ligne est rarement le même que celui de ceux qui cherchent l’amour
©Reuters

Le coeur a ses raisons

Une étude de l'Insead remet en cause le bon fonctionnement des sites de rencontres. Entre marketing et résultats réels, l'écart est très marqué.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Quel est le mécanisme lucratif se dissimulant derrière ces projets de mise en relation d'autrui à autrui enclenché par ces applications de rencontres ? N'y a-t-il pas un conflit important entre les intérêts de l'utilisateur et ceux du concepteur de l'application ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Si l’on suit la récente étude réalisée par l’INSEAD sur les contradictions de la logique marketing des applications de rencontres, on s’aperçoit qu’il  y a bien un conflit important entre les intérêts de l’utilisateur et ceux du concepteur de l’application. Et ce, pour quatre raisons.

La première tient à la compétition. En effet, dans un contexte où la concurrence est de mise entre les applications de rencontres, les concepteurs vont avoir tendance à harmoniser leurs tarifs voire à proposer les tarifs les plus bas possibles. De fait, une stratégie dans laquelle on propose une technologie plus performante mais plus chère peut s’avérer contreproductive, car les clients potentiels vont avoir tendance à se diriger vers les applications les moins onéreuses.

La deuxième tient à l’effet de réseau. En effet, un service qui permet de rencontrer quelqu’un rapidement et avec l’intention d’avoir une relation à long terme réduit le nombre de clients et nuit à la constitution d’un important vivier de célibataires qui est l’un des arguments de vente des applis de rencontres.

La troisième tient aux attentes réelles des clients de ces applis. En effet, quand une personne s’inscrit, rien ne permet au concepteur de savoir ce qu’elle cherche réellement (une relation durable ou éphémère), en dépit de ce qu’elle affirme en remplissant son profil. Il faut donc proposer un service qui rende les deux options possibles : un engagement sur le long terme ou une succession de relations à court terme. Or, si les clients qui recherchent des relations à long terme sont prêts à débourser des sommes relativement élevées, ce n’est pas le cas pour ceux qui sont à la recherche de relations épisodiques.  Là encore, proposer un service permettant une rencontre rapide quitte à s’acquitter de tarifs plus élevés s’avère contreproductif pour les concepteurs de l’application.  

La quatrième tient à la particularité du marché : la même personne est à la fois cliente et un élément du « produit » dans une mise en relation de deux catégories d’utilisateurs (un homme et une femme dans un contexte hétérosexuel). L’intérêt du concepteur n’est pas d’attirer le plus de clients de chaque catégorie, mais le plus de clients que l’autre catégorie va considérer comme désirable, quitte à faire payer des frais plus élevés à une catégorie qu’à une autre. Selon l’étude de l’INSEAD, il s’agit de proposer des tarifs moins onéreux aux femmes en considérant qu’elles sont les plus attractives et que ce sont les hommes qui ont le pouvoir d’achat le plus important. À nouveau, proposer un service qui permet des rencontres rapides et à long terme est contreproductif, car il est une nouvelle fois question de constituer un vivier.

La recherche effrénée de rentabilité et d'optimisation de la marge effectuée par ces applications supplante de fait les éventuelles relations amoureuses. Cela révèle-t-il à quel point nous sommes inconsciemment sous l'emprise d'une idéologie privilégiant le court terme au long terme ?

Avec ce type d’applications, on est en effet sur une logique de court terme, en partie à cause des impératifs marketing que je viens d’exposer, mais aussi pour d’autres raisons qui sont davantage liées à la façon dont notre imaginaire collectif se représente à la fois les médias digitaux et la rencontre amoureuse.

En effet, d’un côté, on associe les outils numériques à l’immédiateté, et d’un autre, on a la représentation d’une relation amoureuse qui s’installe et se construit dans la durée. Même si la façon d’envisager les applis de rencontre a changé, on a toujours dans un coin de l’esprit qu’une technologie de l’instantané et le « grand amour » sont incompatibles. Quelque part, cette technologie de l’immédiat semble trop simple ou trop prosaïque, trop éloigné de l’idée d’une rencontre avec « l’âme sœur » qui aurait quelque chose de « magique ». Admettre que cette technologie de l’instant permette de trouver réellement une compagne ou un compagnon serait une sorte de désenchantement de la rencontre amoureuse trop difficile à accepter pour notre idéal collectif de l’amour.

De fait, on opère une sorte de compromis entre nos représentations de la rencontre amoureuse et la façon dont on considère la technologie numérique. Ce compromis fait que la confiance que l’on place dans ces applis est limitée. On y reste faute de mieux, plus ou moins en attendant « LA » rencontre, la « vraie », celle qui serait inattendue, providentielle, qui fait battre le cœur et redevenir adolescent, bref « LA » rencontre d’une vie. Par conséquent, avec de telles normes de l’amour, les utilisateurs ne sont pas disposés à débourser des sommes importantes pour les applis de rencontres. Ces plateformes alignent alors leurs services sur les attentes et représentations plus ou moins conscientes de leurs clients en proposant des prestations qui privilégient la logique du court terme pour des tarifs relativement modiques.

Quel pourrait être la finalité idéologique de ces nouveaux outils de rencontre ?

Ces outils de rencontre obéissent surtout à la logique du marché en tenant compte de leur environnement concurrentiel, de la spécificité de la prestation qu’ils fournissent, et des attentes plus ou moins conscientes de leurs utilisateurs, et cela dans le but de dégager le plus de profit possible. Même si elles officient dans le domaine de la relation et du sentiment, ce sont des entreprises avant tout. Et, en tant que telles, elles répondent à la logique d’une entreprise telle qu’on la définit dès les premiers cours de marketing et d’économie, à savoir : l’objectif d’une entreprise est de dégager du profit.

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