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Les scientifiques viennent-ils enfin de découvrir la matière manquante de l’Univers ?
©Nasa Ames

Puzzle cosmique

Après 20 ans de recherches, des scientifiques américains ont peut-être mis le doigt sur ce qui est appelé la "matière manquante" de l'univers, une matière comme volatilisée après le Big Bang.

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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Atlantico : Selon une étude récente menée par l'Université du Colorado à Boulder, des scientifiques, après 20 ans de recherche, ont pu proposer une réponse à la question de la "matière manquante" de l'Univers découlant du big-bang. De la théorie à la pratique, environ 30% de la matière serait en effet manquante. Quels sont les résultats de l'étude, et s'agit-il réellement d'une avancée en la matière ?

Olivier Sanguy : Plus exactement, cette étude est menée par Fabrizio Nicastro de l'Istituto Nazionale di Astrofisica (Rome, Italie) à la tête d'une équipe internationale qui comprend des scientifiques de l'Université du Colorado. Ce problème de la masse manquante est central au modèle standard cosmologique actuel. Tout d'abord, rappelons qu'on a constaté que les galaxies manquent de matière. En effet, il est possible de déterminer la masse des galaxies en leur appliquant les lois connues de la gravitation. Le problème est que la masse ainsi déterminée est très supérieure à la masse qu'on peut observer. C'est ainsi qu'on a la notion de matière noire, une matière dont on constate les effets gravitationnels mais qu'on ne voit pas. De plus, on sait désormais que l'expansion de l'Univers s'accélère et cette force mystérieuse est dénommée force noire ou énergie sombre. Le bilan masse/énergie du Cosmos donne 5 % de matière ordinaire dite baryonique (la même qui constitue les atomes de votre corps par exemple), 25 % de matière noire et 70 % d'énergie sombre. Or, même pour ces 5 % le compte n'y est pas par rapport à la théorie du Big Bang et il manquerait environ 30 % de matière baryonique. Ces 30 % sont la "matière manquante". Et pour être clair, ce sont donc 30 % des 5 %. Les scientifiques soupçonnent depuis un moment que cette matière manquante pourrait être présente dans de vastes nuages de gaz sous forme de filaments entre les galaxies. Mais comment de telles structures ont pu échapper aux observations ? La réponse apportée par Fabrizio Nicastro​ et ses collègues et que ces nuages sont à la fois très peu denses et très chauds, jusqu'à quelques millions de degrés. Ce dernier facteur fait qu'ils sont fortement ionisés, comprenez que les électrons sont arrachés aux atomes. Du coup l'hydrogène, l'élément le plus courant, est probablement totalement ionisé. Or, sans électron, il ne peut être détecté par les techniques classiques de spectroscopie. En revanche, même à de hautes températures, des atomes d'oxygène ont pu garder 2 électrons et restent décelables. C'est cet indice qui a été débusqué avec ces travaux.

Quel est le problème posé, de la théorie à la pratique, par cette question de la matière manquante ? L'enjeu est-il de réconcilier la théorie à la réalité et ainsi de pouvoir en proposer une confirmation ?

Oui, l'enjeu est toujours de concilier théorie et observation. C'est en confrontant les 2 que la science avance, soit en confirmant les modèles établis ou parfois en les bouleversant totalement. Ici, cette détection de la matière manquante va plutôt dans le sens de conforter le modèle cosmologique standard connu du grand public sous le terme Big Bang. Lors des tout premiers instants du Cosmos, s'est produite la nucléosynthèse primordiale : dans une fournaise inimaginable d'un milliard de degrés, les interactions entre particules élémentaires ont forgé les atomes les plus simples, à savoir l'hydrogène, l'hélium et le deutérium. D'autres mécanismes expliquent la survenue des éléments plus lourds comme le fer, le carbone, etc. qui résultent pour la majorité des réactions de fusion au cœur des étoiles, ce qui permet de dire que nous sommes des poussières d'étoiles. La nucléosynthèse primordiale explique les différences de proportion entre les différents éléments légers de départ (hydrogène, hélium et deutérium) ainsi que l'abondance de matière baryonique. Donc, le fait qu'il en manque 30 % constitue un problème où la théorie ne rejoint plus les observations. Sauf si Fabrizio Nicastro et ses collègues ont raison !

Quels sont les prochains enjeux à suivre à la suite de cette étude ? Quels sont encore les progrès à réaliser pour une meilleure compréhension de notre Univers ?

Cette étude résulte d'observations très délicates réalisées à l'aide du télescope spatial XMM-Newton de l'Agence Spatiale Européenne (ESA) spécialisé dans le rayonnement X. D'ailleurs, permettez-moi de signaler que nous avons à la Cité de l'espace à Toulouse une superbe maquette taille réelle de cet observatoire. Il a fallu cumuler 20 jours d'observation du quasar 1 ES1553+113 avec XMM-Newton pour y débusquer le signal de l'oxygène très chaud que j'évoquais juste avant. Pour simplifier, la lumière de ce quasar très lointain a traversé une partie de l'univers et cette lumière a été altérée par la matière rencontrée sur son chemin vers nous, dont les filaments de gaz chauds intergalactiques. Aussi remarquable soit le travail accompli, il faut aujourd'hui procéder à d'autres observations pour confirmer que les filaments de gaz chauds sont bien situés entre des galaxies pour coller à la théorie. Sinon, ce ne sera pas le signal attendu de la matière manquante. De futurs spectromètres plus performants dans le domaine des rayonnements X pourraient même servir à dresser un jour une carte de ces vastes filaments.

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