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Yémen : la pire crise humanitaire mondiale s’aggrave encore
©AFPTV / AFP

Sans faire les gros titres

Au Yémen, les combats pour la conquête du port d’Hodeida vont avoir des conséquences majeures car ils vont entraîner une interruption de l’aide humanitaire qui arrive pourtant déjà en quantité insuffisante.

Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Atlantico : Alors que le conflit yéménite se prolonge depuis maintenant près de 4 années, les derniers développements de cette guerre ont alerté les Nations unies, d'un point de vue humanitaire, en particulier après l'offensive du port de Hodeida, contrôlé par les rebelles Houthis, alors que ce lieu serait une plaque tournante de l'aide humanitaire apportée aux populations. Quels sont les risques de voir la situation humanitaire se détériorer ? 

Eric Denécé : Ils sont majeurs. Non seulement au regard de l’importance du port d’Hodeida pour l’acheminement de l’aide humanitaire, mais aussi parce que le pays est dans un état de délabrement avancé et que les populations sont depuis longtemps déjà dans une extrême précarité. Rappelons que ce conflit a fait plusieurs dizaines des milliers de victimes, des centaines de milliers de déplacés et qu’aujourd’hui plus de 50 000 enfants y souffrent de malnutrition avancée. Pour mesurer l’état de dénuement que connaît le Yémen, il faut rappeler que les populations qui fuient le conflit cherchent à se réfugier… en Somalie ! Or, cet Etat est lui-même en crise durable et n’a rien d’un paradis ni d’une terre d’accueil.

En conséquence, les combats pour la conquête d’Hodeida vont avoir des conséquences majeures car ils vont entrainer une interruption de l’aide humanitaire qui arrive pourtant déjà en quantité insuffisante. Cela va provoquer très surement un accroissement rapide de la mortalité dans le pays et de nouveaux mouvements de réfugiés quittant la ville.

Tout cela se passe dans l’indifférence générale, très peu de médias occidentaux en rendent véritablement compte. Ce conflit dure maintenant depuis quatre.

Ce qui n’était à l’origine, en 2014, qu’une guerre civile s’est transformée en véritable conflit régional suite à la décision de l’Arabie saoudite d’intervenir en 2015, Riyad prenant la tête d’une coalition de 150 000 hommes avec le soutien occidental.

Rappelons que la légitimité de cette intervention demeure fort discutable au plan du droit international. En effet, alors que le camp occidental et les monarchies  du golfe Persique ont soutenu les « printemps arabes » de 2011 partout en Afrique du Nord et au Proche-Orient, ils s’y sont opposés à leurs frontières. Cela a été le cas au Bahrein, mais surtout au Yémen.

En effet, en janvier 2011, une insurrection parvint à chasser du pouvoir le président Ali Abdallah Saleh. Son successeur, Abd al-Rab Mansour al-Hadi, ancien vice-président, est  élu en février 2012 dans des circonstances très discutables. Il sera à son tour chassé du pouvoir par la rébellion houtie, réclamant plus de considération et d’aide du régime, et fera appel à Riyad.

Les arguments apportés par les forces de la coalition, entre Arabie Saoudite et les Emirats - indiquant que la prise du port de Hodeida est indispensable pour une victoire sur le terrain. Ces arguments peuvent-ils se justifier d'un strict point d'un tel point de vue stratégique ? 

Rappelons d’abord que le port est assiégé depuis deux ans mais que les forces de la coalition ne sont jamais parvenues à s’en emparer. Son importance est en effet stratégique, pour deux raisons.

En premier lieu, car les populations favorables aux Houthis bénéficient de l’aide humanitaire qui y parvient, alors même que Saoudiens et Emiratis – leurs partenaires majeurs dans la coalition - cherchent à les réduire à la famine afin qu’elles cessent leur soutien à la rébellion : l’objectif est donc de les contraindre à se soumettre, sinon à mourir de faim.

En second lieu, parce que les Houthis reçoivent une partie de leur ravitaillement en armes et munitions par ce port dont la perte serait pour eux un vrai coup dur.

Enfin, il y a un aspect symbolique à ne pas négliger : la prise d’Hodeida représenterait enfin un succès militaire pour les forces coalisées qui sont tenues en échec depuis trois ans par les rebelles, en dépit de leur nombre (150 000 hommes), de l’impressionnant, arsenal déployés (chars Leclerc, artillerie, avions d’attaque au sol) et de l’aide occidentale.

Sans compte que les Américains fournissent depuis longtemps renseignement et munitions, et depuis quelques semaines, leurs forces spéciales sont entrées en action pour aider les forces coalisées à repérer les unités de lance-missiles des rebelles.

Aujourd’hui, Saoudiens et Emiratis affirment que la prise de contrôle du port leur permettra d’acheminer davantage d’aide humanitaire… on croit rêver ! Dans ce conflit, les monarchies du golfe Persique et leurs alliés bafouent scandaleusement les principes humanitaires.

Depuis trois ans, ils se livrent à des actions d’une extrême violence (bombardements, pilonages, destructions systématiques des infrastructures civiles) sans se préoccuper des effets collatéraux sur les populations civiles ou sur les monuments ayant une valeur historique ou culturelle. Croire qu’ils tiendront parole et qu’ils soigneront et ravitailleront des populations chiites est une véritable foutaise que ne croient que ceux qui ont décidé de fermer les yeux sur ce conflit et les exactions que Riyad y commet quotidiennement.

Au demeurant, vu la faible efficacité des forces coalisées, rien ne dit que cette prise d’Hodeida aura lieu, qu’elle sera rapide ni qu’elle accélèrera la fin du conflit, tant les racines en sont profondes et la volonté de combattre des Houthis est forte.

La Guerre est au Yémen est souvent présentée comme un affrontement à distance entre Ryiad et Téhéran, mais quelle est la réalité de cette présentation sur le terrain ? Comment évaluer le poids iranien sur le terrain yéménite, et que peut-on en déduire sur les motivations des belligérants ? 

Il est important de relativiser. S’il y a certes un affrontement régional entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le conflit yéménite n’est pas une guerre par « proxies ». Les Houthis, bien que proches du chiisme – ils sont zaydites -  ne sont pas inféodés à Téhéran et n’ont réclamé l’aide de l’Iran que parce que c’était le seul Etat prêt à les aider. Mais ils ont conservé une vraie autonomie dans leur action.

Bien sûr, Téhéran se réjouit de voir l’Arabie saoudite enlisée dans ce conflit et s’il n’a rien fait pour le créer, il fait ce qu’il faut pour que cela dure (instructeurs, ravitaillement en armes et munitions). Des miliciens du Hezbollah libanais seraient même présents aux côtés des Houthis.

Il importe de ne pas inverser la vérité : Riyad n’est pas intervenu au Yémen parce que l’Iran y aurait déclenché une rébellion ; c’est au contraire l’action irresponsable de l’Arabie saoudite qui a conduit Téhéran à soutenir les Houthis. Les Saoudiens, certes obsédés par la présence de tribus chiites irrédentistes sur leur flanc sud, se sont précipités tout seuls dans un piège qu’ils se sont créé !

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