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Coupe du monde 2018, allez la France ! Et au fait, le nationalisme c’est la guerre... ou la garantie de la démocratie et du vivre ensemble ?
©FRANCK FIFE / AFP

On est champions ! On est tous (ou pas) ensemble !

Événement sportif extrêmement médiatisé, la Coupe du monde de football a débuté jeudi en Russie. L'occasion pour les différentes populations des pays participants de "sortir les drapeaux".

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que le coup d'envoi de la Coupe du monde de football vient d'être sifflé en Russie, ce qui sera l'occasion pour les différentes populations des pays participants de "sortir les drapeaux", la question du retour des nations et du nationalisme occupe les débats politiques​. Comment analyser le nationalisme entre deux visions, entre celle du "nationalisme c'est la guerre" et celle d'un nationalisme qui serait une garantie de la démocratie et du vivre ensemble ? En quoi les défis actuels, entre le pouvoir des multinationales et les enjeux relatifs à la mondialisation - qui ont pu déstabiliser les électeurs - modifient-ils la donne ?

Edouard Husson : Nous touchons au tabou essentiel des sciences politiques depuis les années 1960. La démocratie est toujours incarnée : depuis l’Antiquité, dans une cité; à l’époque moderne, dans des communautés nationales. Il vaut mieux  le dire d’emblée: une fois que l’on franchit les limites d’une cité, une démocratie sans nation, cela n’existe pas. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a pas de démocratie européenne: il n’existe pas de nation européenne. S’il n’existe pas de démocratie moderne en dehors de la nation, il existe en revanche des nations sans démocratie. Le nationalisme moderne est la forme collective que prend l’émancipation individuelle.  Et la modernité n’a pas produit que des individus épris de démocratie. Il serait faux, pour autant, d’affirmer que les nationalismes sont responsables de la Première Guerre mondiale; C’est la formule qui a justifié toutes les attaques contre les nations, après 1945, au nom de la lutte contre le nationalisme. La Première Guerre mondiale naît du choc entre quatre volontés de conflit non maîtrisables: l’incapacité de Vienne à contenir le bellicisme de Budapest au sein de la monarchie austro-hongroise; la volonté du régime tsariste russe d’effacer la honte de la défaite de 1905 contre le Japon; le fatalisme du gouvernement et de l’armée allemande qui préfèrent en découdre immédiatement plutôt que de laisser France et Russie se réarmer un peu plus; le mélange de haine de l’Autriche catholique et de revanchisme post-1870 qui est largement partagé au sein des milieux dirigeants de la IIIè République. En 1914, les peuples partent en guerre par patriotisme, pour défendre la nation. Le nationalisme est surtout le fait de classes moyennes (supérieures) urbaines. A l’époque, partout en Europe, ce qui était chic, ce n’était pas d’être bobo mais d’être nationaliste.

Chantal Delsol : Les nations sont à la fois nécessaires et comme toute chose, dangereuses si on les magnifie excessivement. Bien comprise, aimée avec modération, la nation est une maison accueillante qui abrite une culture, des moeurs, une histoire, un destin – et dont nous avons besoin parce que nous ne pouvons vivre paisiblement qu’en nous attachant à des particularités, des groupes d’appartenance. Mal comprise, transformée en religion, adorée, la nation devient fauteur de guerre. En raison des nationalismes fauteurs de guerre que nous avons connus au XX° siècle, nous préférons, en bonne part, parler de patriotisme. 

Entre elles, les entités politiques se comparent et se concurrencent toujours. Mais la concurrence peut prendre diverses formes. C’est pourquoi les Grecs, habitant des cités qui se faisaient la guerre en permanence, avaient pensé que des jeux inter-cités pourraient établir une saine concurrence qui servirait éventuellement d’exutoire. C’est bien là que nous en sommes aujourd’hui. Mieux vaut la concurrence dans les stades que sur les champs de bataille.

Quels sont les éléments que le nationalisme a à offrir à la démocratie ? En quoi l'identité nationale, que celle ci soit cultuelle, politique, ou le sentiment d'avoir un destin commun peut-il justement être un rempart contre la guerre civile ?

Edouard Husson : Le nationalisme est destructeur, à terme, de la démocratie. Durant et après la Première guerre mondiale, les nations qui ont la pratique la plus ancienne de la liberté sont celles qui résistent le mieux à la poussée autoritaire, qu’elle soit fasciste ou communiste. Le nationalisme repose sur l’idée qu’il est nécessaire d’unir le peuple contre un ennemi commun. Le bouc émissaire, c’est aussi vieux que l’humanité. Bismarck le sait bien quand il unit l’Allemagne d’abord contre des ennemis extérieurs (Danemark, Autriche, France) puis contre des ennemis intérieurs (catholiques dans les années 1870 puis socialistes dans les années 1880). Mais ce faisant, Bismarck a empêché ce qui était le déploiement normal du sentiment national moderne: le parlementarisme et la démocratie. Bismarck est bien le père du nazisme dans la mesure où il a empêché le sentiment national allemand, conservateur ou libéral, de se déployer naturellement. La rencontre entre le bismarckisme et la Première Guerre mondiale enfante la bête immonde. Ce n’est donc pas de nationalisme mais de sentiment national et de patriotisme qu’il s’agit. Nation vient de “natus” en latin; il renvoie à la naissance, à l’origine. La nation, si elle n’est pas éduquée, est susceptible de tous les emballements, comme une bande d’enfants livrés à eux-mêmes. La patrie, le patriotisme, renvoient au “pater”, le père en latin; donc à l’éducation, à la civilisation, à la transmission. Rousseau est le père du nationalisme moderne et il n’est pas étonnant qu’il ait pensé faux en matière d’éducation. Le nationalisme, dans l’Europe moderne, est souvent venu perturber la croissance naturelle, éduquée, d’un attachement patriotique qui s’incarnait à la fois dans une dynastie incarnant la souveraineté et dans un parlement organisant la liberté.

Chantal Delsol : Pour qu’il puisse y avoir démocratie, il faut quelque chose en commun. On n’est citoyen que pour s’occuper d’un bien commun, appartenant à une entité. Cependant celle-ci n’est pas forcément une nation. Ce peut être une région, dans le cas d’un fédéralisme.

Quelles sont les limites du nationalisme, et quels sont les défis qu'il peut soulever dans le monde contemporain ?

Chantal Delsol : Le danger serait plutôt aujourd’hui une volonté de gommer les entités nationales ou autres, et de prétendre faire de nous de purs « citoyens du monde ». Il est normal qu’un être humain aime sa patrie, et la vocation d’un gouvernant est de travailler à l’intérêt – oui je dis bien à l’intérêt- de sa patrie. Il n’y a rien de honteux, rien d’extrémiste, à dire « la France d’abord », à condition évidemment que ce ne soit pas un rejet des autres. Tout amour est un peu chauvin. On apprend à s’élever à l’universel. Mais il ne faut pas pour autant oublier l’amour des patries particulières. ​Nous ne sommes pas de purs esprits. Nous sommes incarnés, et c’est cela que signifie la nation.

Edouard Husson : Livré à lui-même, le nationalisme s’épuise. Il fait souvent des dégâts considérables - on l’a vu au XXè siècle dans sa version fasciste ou dans sa version communiste. (Les régimes communistes qui tiennent finissent toujours en nationalismes). La question, pour notre monde est de savoir si nous allons faire réémerger des patriotismes utiles à la croissance et à l’équilibre des corps sociaux. Je ne parle pas de l’enthousiasme, bien fragile, qui accompagne une Coupe du monde de football. Rappelez-vous comment l’unanimisme de la jeunesse sur les Champs-Elysées après la victoire de la France en 1998 a laissé la place en seulement quelques années à des Marseillaises sifflées avant le coup d’envoi de matches. Non, la question, c’est de savoir si l’on remettra, dans chaque pays d’Europe, la transmission du patrimoine culturel, de l’héritage politique, le goût des mœurs nationales (au sens de toutes ces évidences de la vie collective qui s’imposent au regard étranger comme “français” ou “italien” ou “danois”) au cœur de l’éducation. Nous avons laissé un individualisme absolu succéder aux excès du nationalisme de droite ou de gauche. Saurons-nous, dans les années qui viennent, revenir à un patriotisme indispensable à la survie du corps social ?

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