Donald Trump est-il en train de se révéler un grand président... malgré lui ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Donald Trump est-il en train de se révéler un grand président... malgré lui ?
©SAUL LOEB / AFP

Génie malgré lui ?

Nombre de commentaires concernant le président des Etats-Unis se focalisent sur ses déclarations intempestives ou ses emportements. Mais quelles que soient ses bonnes ou ses mauvaises intentions, les résultats obtenus grâce à ses talents de négociateurs lui dessinent une autre présidence que celle d’un agité du bocal incontrôlable.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »
Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

Voir la bio »

Atlantico : Salué par l'Union européenne, la diplomatie russe ou encore l'AIEA, l'accord signé entre Donald Trump et Kim Jung-un est aujourd'hui mis au crédit de l'action de Donald Trump. Malgré les critiques relatives à la forme, à la méthode, ou aux objectifs réels du président américain, les conséquences de ses actions, concernant la diplomatie ou encore l'économie américaine sont de plus en plus présentées favorablement. Faut-il voir Donald Trump comme une sorte de "génie malgré lui" ? 

Jean-Eric Branaa : A la suite de la publication du livre « Fire and Fury » de Michael Wolf, publié début janvier 2018, un débat s’est engagé sur l’instabilité mentale du président Donald Trump. L’auteur du livre remettait en en effet en question l’intelligence du président, reprenant à son compte un vieux débat qui a été soulevé pendant la campagne et qui a rebondit plusieurs fois depuis son élection. Le journaliste déclarait notamment qu’il est « intellectuellement disqualifié pour le poste de président » et argumentait en expliquant qu’il ne lit pas, n’écoute pas les autres et n’a aucune curiosité intellectuelle. Donald Trump a alors répliqué en affirmant qu’il est au contraire un génie et que son intelligence a toujours était très stable : c’est donc un « génie stable », a-t-il lui-même conclu à son propre sujet. 

C’est vrai aussi qu’il jouit d’une réussite extraordinaire dans des domaines où on ne l’attendait pas : très peu pariaient sur sa capacité de réussir une réforme fiscale aussi audacieuse qu’ambitieuse, de dominer le parti républicain comme il le fait actuellement, d’accompagner l’embellissement de l’économie avec d’aussi bons résultats ou de réussir cette négociation avec Kim Jong-Un.

Génie, opportuniste, chanceux, on peut s’interroger longtemps sur le qualificatif qui convient le mieux au 45e président des Etats-Unis. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas un homme politique et qu’il ne pratique pas le politiquement correct. Il ne tente jamais de séduire le camp d’en face et de travailler sa côte de popularité, même s’il est le premier à tweeter les bons résultats dès qu’elle remonte : il avait d’ailleurs prévenu dès le jour de son investiture et, au lieu de tendre la main vers le camp d’en face, comme cela se fait traditionnellement, il avait déclaré laconiquement qu’il « le rejoindront quand ils auront compris ».

Sa forme de génie, si on doit en voir une est peut-être dans sa capacité à se détacher du comportement classique des politiciens et d’être resté lui-même, avec ses qualités et ses défauts, ceux-là même qui l’ont fait aimer ou détester.

Edouard Husson : Toute l’histoire de l’ascension politique de Donald Trump pourrait être écrite du point de vue de ceux qui l’ont sous-estimé. Rappelez-vous: il ne franchirait pas le cap des primaires; mais il fut désigné comme candidat des Républicains. Puis il devint impossible qu’il fût élu; mais il gagna contre Hillary Clinton. Puis on nous annonça que les délégués des Etats ne voteraient pas pour lui; mais c’est bien Donald Trump qui prêta serment. Puis on nous expliqua qu’il allait échouer économiquement; eh bien le chômage est aux Etats-Unis à son plus bas depuis Reagan. On nous a dit que même s’il réussissait économiquement, il allait être empêché. Dix-huit mois plus tard, Donald Trump est solidement installé dans le Bureau Ovale. Comme j’ai toujours parié contre l’immense majorité des experts, depuis ses premières victoires dans les primaires, j’ai tendance à supposer que je joue gagnant en pariant que les élections de mid-terms tourneront bien pour les Républicains. Et que Trump sera réélu. Il fait penser à Reagan, qui a mis fin à la Guerre froide en négociant avec Gorbatchev de main de maître mais que tous avaient présenté, lors de son élection, comme paresseux, pas très intelligent, manichéen, étroitement anticommuniste. Je ne sais pas si Trump est un génie; mais en tout cas il est un grand animal politique. Il fait penser à Bismarck, par bien des côtés: il annonce ce qu’il fera; personne ne le croit; il le fait. Et, comme Bismarck, une partie de sa force vient de ce qu’il ne respecte pas les règles du jeu ancien; il amène les autres à jouer selon de nouvelles règles, qu’il a formulées. A vrai dire, ce sont moins des règles arbitraires que la redécouverte de la politique; alors que les libéraux ont tendance à écarter la politique au profit de la technocratie. 

De sa volonté d'affronter les "sujets qui fâchent" de façon directe, à sa méthode de négociation, en passant par l'identification des faiblesses des adversaires, quelles sont les véritables forces de Donald Trump ? Quelles sont ses réelles différences avec des dirigeants plus "traditionnels" ? 

Jean-Eric Branaa : Donald Trump a surtout une foi en lui-même qui semble assez inébranlable. Avec cette assurance hors du commun, il peut mener tous les combats du monde car il est persuadé qu’il peut tous les gagner. Sa campagne épique –et victorieuse– de 2016 n’est pas faite pour l’amener à penser le contraire.

On s’est également rendu compte très vite qu’il a une culture peu profonde : mais peu lui importe car il en sait assez sur les sujets qui comptent pour lui pour être capable de montrer la direction à prendre et de faire exécuter par ses collaborateurs les taches plus complexes, plus détaillées ou plus techniques. Son atout est son intuition et une capacité à savoir comment faire, même lorsque cela semble très compliqué. Il a donc appris très tôt à bien s’entourer, « des meilleurs » dit-il souvent, ce qui signifie aussi dans son esprit « des plus loyaux ». 

Pour cela, comme dans les négociations, il a le flair pour repérer chez son interlocuteur ses faiblesses et ses difficultés : il en use et en abuse. Pendant la campagne, à coup d’insultes et d’anecdotes désagréables, il a ainsi ridiculisé un à un tous ces adversaires. Aucun moyen n’a été écarté pour arriver à ses fins, et il a toujours fini par venir à bout de chacun d’entre eux. Qui se souvient encore que Jeb Bush était le candidat favori de tous les médias avant l’entrée en campagne de Donald Trump ? Il en a fait de la bouillie et le fils du 41e et frère du 43e président était en pleurs le jour où il a jeté l’éponge et quitté la course.

Il n’agit pas différemment avec les « grands » de notre monde, à la seule exception de notre président. C’est d’ailleurs un anomalie qui mérite que l’on s’arrête dessus et que l’on s’interroge : car Emmanuel Macron est épargné, quel que soit le ton qu’il emploie avec l’hôte de la maison Blanche, quelles que soient les attaques –et on se souvient particulièrement du « make our planet great again »– : il n’y a jamais eu le moindre petit tweet désagréable pour le président français, alors que tant d’autres ont été la cible du président des Etats-Unis !

La rhétorique et les attitudes de Donald Trump sont donc réellement hors-normes et cela déroute tous ses interlocuteurs, partenaires, ou vis-à-vis, dans tous les domaines. Il y a une constante : « le principe d’incertitude ». Il se rend incompréhensible et brouille sans cesse les cartes ; il multiplie les enjeux et fait perdre totalement de vue le principal objet des négociations en cours ; il sait détourner l’attention et se montrer maître de la manipulation : chacun y perd son latin et personne ne peut jamais prendre l’initiative. 

Alors il avance ses pions à sa guise et obtient ce qu’il veut. C’est généralement bien en dessous des objectifs annoncés au départ, qui n’étaient qu’un leurre, et l’interlocuteur repart satisfait et persuadé de l’avoir emporté. C’est une méthode qu’il décrit fort bien dans son livre « l’art du deal ».

Edouard Husson : Trump est encore plus transparent que Bismarck: il a publié un livre intitulé “The Art of the Deal” - l‘art de la négociation réussie.  Dans ce livre, il parle en homme d’affaires mais il ne semble pas agir très différemment en politique. Son livre recommande onze règles: 1. Voir grand; 2. Prévoir le pire pour s’en prémunir; 3. Faire en sorte d’avoir de multiples éléments d’alternative; 4. Avoir étudié soi-même le marché. 5. Identifier les leviers dont on dispose; 6. Choisir le terrain; 7. Faire connaître ce qu’on fait; 8. Riposter qus on est attaquer; 9. Tenir ses engagements de fournisseur; 10. Contenir les coûts; 11. Aimer ce qu’on fait. Il est assez facile de traduire tout cela en langage politique et d’analyser la méthode de Trump. Prenez la Corée du Nord: Trump a eu d’emblée pour ambition de forcer la Corée communiste à un accord de désarmement et l’on peut penser qu’il vise à moyen terme la chute du communisme nord-coréen; il a envisagé une réaction folle de Kim et l’a menacé des pires représailles; il a toujours fait en sorte de garder les mains libres pour pouvoir souffler le chaud et le froid; il a traité le dossier en direct d’un bout à l’autre plutôt que de s’en remettre à des experts de la négociation internationale; il a joué de tous ses leviers: la puissance militaire américaine mais aussi le désir de la Russie et de la Chine d’arriver à un règlement, et le désir profond de paix de l’opinion locale et mondiale; il a choisi d’attaquer Kim sur l’arme nucléaire, non sur les droits de l’homme ou l’idéologie; en homme de télévision, il a écrit un scénario qui ne déparerait pas parmi les plus dramatique de la série West Wing; quand Kim a essayé de sortir du scénario écrit pour lui, Trump a fait mine d’annuler le sommet prévu, à la fin, le président américain tient parole et fournit l’accord qu’il avait annoncé comme possible; tout cela s’est fait sans tomber dans les périls qu’annonçaient beaucoup d’experts; et nul doute que Trump a connu là l’un des épisodes les plus exaltants de sa carrière de négociateur. En somme, je viens de cocher les onze cases en face des rubriques énumérées précédemment. 

A l'inverse, quels sont les points qui viennent atténuer un tel discours, de l'irrationalité perçue de certaines de ses réactions, de ses tweets, de la violence de ses attaques, ou des arrangements avec la réalité qui lui sont régulièrement reprochés ? En quoi les conséquences positives de son action peuvent être plus entendues comme étant un résultat "malgré lui" ?

Jean-Eric Branaa : La plus grande force de Donald Trump réside surtout dans le personnage qu’il a réussi à construire, qui lui donne aujourd’hui la capacité de s’affranchir de tous les codes et de tous les artifices de sa fonction, jusqu’à créer des « fakes news » si nécessaire. Il remarquait avec surprise pendant sa campagne présidentielle qu’il suscite une fidélité hors du commun de la part de sa « base », ce qui lui a permis d’affirmer qu’il pourrait tuer un de ses électeurs sur la 5e avenue, à New York. Cela ne découragerait absolument pas les autres de voter pour lui, a-t-il alors affirmé : il ne perdrait aucun électeur. 

Ses outrances, son tempérament bouillant et ses sorties brutales –et souvent incompréhensibles pour beaucoup– ont fini par faire partie de son personnage et les électeurs s’y sont peu à peu habitués, même si beaucoup ne l’ont jamais accepté. En cassant le moule du politiquement correct il a touché aux tabous de la société et à ceux de la politique. Aucun autre personnage public n’a certainement jamais osé aller aussi loin avant lui. Mais, il faut bien comprendre aussi que les électeurs avaient tout cela en tête lorsqu’ils ont voté pour lui. Or, pour 61 millions de ses compatriotes, cela ne les a pas empêché de cocher son nom sur la liste des candidats.

Cela lui donne aujourd’hui une force que très peu de leaders dans le monde possède : les autres dirigeants restent enfermés dans des codes qui ne leur permet pas d’agir comme bon leur semble, au gré de leurs intuitions ou de leurs humeurs : Donald Trump, lui, peut le faire. L’accord donné en quelques secondes à ce sommet en est un exemple frappant ; Mais la volte-face qui conduit à l’annulation le 24 mai et la décision inverse quelques jours plus tard aurait certainement entrainé une crise sans précédent dans n’importe quel autre pays. 

Rien de tout cela avec Donald Trump : chacun se lance dans de longs discours ou de grandes dissertation sur son caractère ou sa santé mentale mais surtout, au final, finit par accepter son tempo, son calendrier et de regarder dans la même direction. On peut multiplier les exemples, tellement il y en a : on ne trouve pas, en revanche une quelconque opposition sérieuse qui pourrait l'amener à changer cette façon de fonctionner et de faire.

Edouard Husson : Je comprends très bien que l’on déteste Trump. Mais pourquoi le traiter d’imbécile ou juger, comme Hubert Védrine, que le président américain est « pathétique »? Au contraire, plus on déteste le quarante-cinquième président des Etats-Unis plus il faut essayer de le comprendre et reconnaître ses forces. Je ne crois pas du tout qu’il réussisse « malgré lui »; ne lui faisons pas l’insulte de le sous-estimer. Je ne pense pas non plus que Trump soit plus menteur que les autres dirigeants de la planète.  Pardonnez-moi, mais si vous avez plus confiance en Xi Jiping qu’en Donald Trump, c’est que vous n’avez aucune idée de ce qui sépare le président d’une grande démocratie du chef tout puissant d’un régime néo-totalitaire.  Vous n’aimez pas comme Trump tweete? Mais pourquoi ne critiquez-vous jamais la manière dont les grands médias ne laissent aucune place à une présentation équilibrée de son action? Vous pouvez être désolé que Trump fasse tout pour survivre politiquement; mais ne lui reprochez pas de désserrer l’étau des médias traditionnels en utilisant les réseaux sociaux.  Prenons un exemple récent, le débat du G7 sur le commerce. Pourquoi les médias ne sont-ils pas allés regarder le détail des discussions? Pourquoi n’ont-ils pas reproduit l’information selon laquelle Donald Trump, à un moment des discussions, a proposé la suppression de vraiment tous les tarifs douaniers. Le grand jeu des traités de libre-échange, c’est d’obtenir au maximum l’ouverture du marché des autres et de trouver des moyens détournés pour protéger le sien propre. Eh bien ni l’Allemagne ni le Canada n’ont saisi la perche. Ils ne le pourraient pas sans menacer le bien-être d’une partie de leurs électeurs? Pourquoi donc faire comme s’il y avait d’un côté les gentils libre-échangistes et de l’autre le méchant protectionniste? Alors que tous les Etats sont protectionnistes d’une manière ou d’une autre.  Trump propose de revenir à l’un des instruments de mesure les plus objectifs de la vie économique internationale: les droits de douane - toujours comparables entre eux alors qu’il est très difficile d’évaluer par exemple la contribution de l’Etat à la protection de l’économie française ou des normes à la protection de l’économie allemande. Je ne sais pas si c’est génial; c’est du moins frappé au coin du bon sens.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !