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Radicalisation des contestations : les entreprises de plus en plus concernées en interne
©ALAIN JOCARD / AFP

Nouvelles menaces

Dans la publication réalisée avec la sociologue Anna Dimitrova "Les entreprises face au risque de contestation radicale" (Sécurité & Stratégie, 2018/1), Eddy Fougier analyse de manière exhaustive l’étendue des risques qui pèsent sur les entreprises, selon les secteurs d’activité, les catégories d’opposants et les méthodes de contestation employées.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : On le sait peu, mais la contestation des entreprises et des grands projets d’aménagement a été formalisée dès 2013 par les altermondialistes dans la Charte de Tunis, lors du Forum Social Mondial Cette charte liste très précisément les « grands projets imposés inutiles » (GPII). Quels ont-ils ?

Eddy Fougier : Il s’agit de tous les projets à combattre et qui sont à l’origine des mouvements de contestation qui essaiment sur l’ensemble du territoire. Les projets d’infrastructures (transport de personnes ou de marchandises, production d’énergie) ou d’équipements (tourisme, urbanisme, militaire) » qui, d’après les auteurs de la Charte, « constituent pour les territoires concernés un désastre écologique, socio-économique et humain : destruction de zones naturelles, de terres agricoles et du patrimoine bâti, nuisances et dégradation de l’environnement avec des impacts négatifs importants pour les habitants ». Toutefois, la contestation radicale à laquelle les entreprises doivent désormais faire face ne se réduit pas au seul risque d’avoir une ZAD sur l’un de leurs sites. Ainsi, si l’on reprend l’actualité récente, on peut voir à quel point les actions « directes » visant les entreprises ont eu tendance à se multiplier. En marge des manifestations contre la loi Travail, de nombreuses actions de vandalisme ont été perpétrées par des militants radicaux contre des succursales de banques, des concessionnaires automobiles ou des boutiques de luxe, des fast food, des agences d’intérim ou des enseignes d’entreprises multinationales. En avril 2016, par exemple, une concession Jaguar et Rover a été ainsi saccagée à Paris. Enfin, plusieurs supermarchés ont été pillés.

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Quelle est l’étendue de ces risques ?

Les risques selon de nature et de portée différentes, allant de la dégradation de sites industriels et commerciaux, au risque de réputation et d’image, ou encore au risque de faire échouer un projet et de stopper des innovations, comme ce fût le cas avec les OGM en France. Ces risques représentent des coûts parfois colossaux pour les grandes entreprises mais surtout pour leurs sous-traitants et les PME locales qui, elles, ne seront pas indemnisées comme l’a été Vinci à Notre-Dame-des-Landes. Les assureurs deviennent d’ailleurs très réticents sur ce type de projets.

Enfin, les risques portent sur les biens, mais aussi sur les personnes, parfois victimes de harcèlement. Des employés de l’entreprise ciblée ou d’entreprises sous-traitantes ou encore d’autres parties prenantes d’un projet comme les élus locaux peuvent en subir les conséquences.

Comment les entreprises peuvent-elles anticiper ces contestations ?

Si la contestation n’est pas toujours radicale, les conséquences peuvent l’être si l’entreprise ne veille pas à s’assurer de l’acceptabilité sociale de son projet par le bais de consultations des parties prenantes locales (population, ONG, agriculteurs, etc). A Bure des groupes aussi puissants qu’Areva et EDF sont enlisés dans l’affrontement avec des groupes radicaux qui bloquent le projet d’enfouissement des déchets nucléaires depuis plusieurs années… La contestation est un risque majeur, mais l’absence de stratégie et de réponse des entreprises concernées l’est tout autant.

Le dialogue avec les parties prenantes (« stakeholders ») est une démarche instaurée depuis longtemps dans les entreprises anglo-saxonnes. Pourquoi les entreprises françaises, publiques et privées, parviennent si peu à la mettre en œuvre ?

Nous sommes encore dans la culture qui consiste d’abord à prendre une décision, à lancer un projet ou un produit et, éventuellement à en discuter après. Les entreprises tout comme l’administration ont du mal à accepter cette nouvelle exigence sociétale qu’est la transparence. Jusqu’ici, on ne rendait des comptes qu’aux actionnaires.

Or, lorsqu’on organise un débat national sur le nucléaire alors que le projet a déjà été adopté par les autorités, ça ne peut plus fonctionner plus aujourd’hui. Beaucoup de dirigeants sont restés dans la culture de l’ingénieur et de l’énarque, qui sont persuadés que si la population rejette un projet, c’est qu’elle n’a pas compris de quoi il s’agit ni les intérêts qu’il représente…il n’ y a aucun dialogue avec  les représentants de ces industries, qui se contentent de délivrer une information venue d’en haut. Résultat, à Bure, le premier débat public s’est tellement mal passé qu’un second a été organisé…sur Internet ! C’est absurde.

Le risque de réputation est plus élevé que jamais aujourd’hui. Les entreprises en ont-elles suffisamment conscience ?

Non, certainement pas. Tout ce travail de concertation et de prise en compte des inquiétudes locales est indispensable pour désamorcer d’éventuels conflits, qui une fois déclenchés deviennent ingérables. C’est ainsi qu’un projet d’aéroport se trouve dans une tourmente médiatique, politique et économique qui finit par échapper aux maîtres d’ouvrage. Et dans l’éventualité où finalement, le projet pourrait se faire, les acteurs impliqués préfèrent s’en dégager…

C’est également le cas dans l’industrie agroalimentaire, dont les crises sanitaires successives et les révélations sur la transformation chimique des aliments ont engendré inévitablement une méfiance croissante des consommateurs. Là encore, ils s’agit de grands groupes qui ne savent pas – ou ne veulent pas- répondre. A l’image de la culture d’ingénieur qui domine le secteur de l’énergie, la génération qui est au pouvoir dans le secteur agroalimentaire, dans les organisations de lobbying et dans les lieux de décisions publiques, réagit encore comme si elle n’avait pas de comptes à rendre. Elle rejette souvent la faute sur les associations écologistes ou de consommateurs, au lieu de comprendre les signaux émergents sur leur marché.

Quelles sont les conséquences de la non-réponse à un conflit, à une crise ou une rumeur ?

Ne pas répondre, ou se contenter d’une communication verticale et uniforme, aura pour conséquence de laisser les autres parler à votre place et de s’emparer des médias et de l’opinion publique. C’est d’autant plus risqué que certains mouvements sont très habiles dans le storytelling sur la méchante « word compagny » qui manipule les consommateurs et les citoyens…Une fois l’opinion convaincue, voire effrayée de ces menaces « révélées » par les ONG, les pouvoirs publics sont obligés de réagir et d’interdire des recherches, comme ce fut le cas avec les OGM. Répondre par du « greenwashnig » à du « foodbashing », c’est une impasse…

L’absence de prise en compte des nouvelles demandes concernant la sécurité alimentaire et l’exigence de transparence des consommateurs, peut également avoir pour conséquence de perdre des marchés. On le voit avec la demande actuelle pour des produits plus naturels et sans ingrédients cachés. Au lieu de développer des innovations, les entreprises répondent en affirmant que la substitution de conservateurs, de colorants etc, n’est pas faisable… et laissent finalement des entreprises plus petites, plus jeunes et en phase avec cette demande, s’emparer de ces nouveaux marchés. 

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