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Service national, gadget intégral (et onéreux)
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Copie à revoir

Le rapport sur le service national commandé par Emmanuel Macron à un groupe de travail sera remis le 30 avril et précisera les modalités de mise en œuvre et leur coût.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico :  Le retour du service national universel obligatoire devrait être moins ambitieux qu’annoncé durant la campagne. Les premières pistes évoquent l'instauration d'une semaine de « temps de vie partagée » en internat. Un séjour qui inclurait des « activités militaires », des « activités civiques » et des « activités médico-sociales ». Quel est le sens réel de ce projet selon vous ? 

Roland Hureaux : Le service national n’a jamais cessé, en droit, d’être obligatoire mais il a été suspendu par Jacques Chirac en 1997. Il a été remplacé par la Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), devenue la Journée de défense et de citoyenneté, (JDC) pour un coût d’environ 150 millions d’euros par an.

Passer d’une journée à une semaine, multiplierait le coût par bien plus de 6 ou 7 car il faudrait prévoir un logement en internat surveillé et donc des locaux : pour une cohorte de 800 000 jeunes par an, il faudrait, à supposer que le système fonctionne toute l ‘année prévoir 15 000 places de casernement. On peut estimer le coût total à quelques  milliards d’euros.

Pour quel résultat ?

Les jeunes qui passent en JDC répondent positivement aux questionnaires de satisfaction en fin de journée mais ils l’ont pratiquement  oubliée dans les mois et les années qui suivent. Si elle permet de faire de la publicité pour les métiers de la défense, donner une bonne image de ses armées et repérer les cas d’illettrisme, trop nombreux hélas, elle ne marque guère.

Une semaine serait beaucoup plus coûteuse et presque aussi insuffisante  en matière de formation militaire : il n’y a le temps ni pour une formation militaire sérieuse, ni a fortiori pour un apprentissage de la discipline – dont on estimait au temps des « classes » qu’ily fallait au moins deux mois.

Il n’y aurait que peu de brassage social : j’ai observé que si les jeunes bourgeois se parlent assez vite, ceux qui sont issus des milieux populaires ne se dégèlent pas avant une semaine, sauf quand ils viennent du même du même coin.

En résumé, un jour pour un coût supportable ne sert pas à grand-chose, une semaine pour un coût nettement plus élevé ne servirait guère plus.

Le retour du service national est populaire dans la population, chez le plus âgés notamment, qui en ont la nostalgie, mais aussi chez des jeunes où le métier des armes suscitemoins de préventions qu’il y a trente ou quarante ans. Le promettre dans une campagne électorale est une chose, le réaliser en est une autre. Macron l’avait promis pour un mois, ce qui était déjà  mieux qu’une semaine mais techniquement insuffisant et ce qui, comme toutes les formes de service très courts, nécessite un gros investissement en   formation sans retour immédiat ni même  plus lointain.  Les appelés n’auraient pas   en si peu de temps l’occasion de rendre des services, pas même pour faire des gardes : qui se risquerait à confier une arme lourde à un jeune au bout d’une semaine ?

Je pense que, comme beaucoup de promesses électorales, ce projet, déjà bien écorné,puisqu’on est passé d’un mois à une semaine n’aboutira à rien. Ou on rétablit vraiment le servicenational,d’un an minimum et il faut alors changer demodèle d’armée, ce qui n’est pasabsurde,  ou on en reste à unejournée,Entre les deux, le coût net sera trop élevé.  Il est probablequ’in fine, onse contentera de changer une nouvellefois le nom dela  journée d’appel.

La question de son financement avait suscité beaucoup d'émois il y a quelques mois. Jusqu'à trois milliards par ans. Quel regard portez-vous sur la somme investie dans ce projet ? Cela vous semble-t-il justifié ? 

Je l’ai dit, le chiffre de 3 milliards ne me parait pas invraisemblable, si on intègre les investissements immobiliers qui sont  nécessaire – et qui auraient d’ailleurs l’avantage de rouvrir des casernes qui ont été fâcheusement fermées dans certaines petites villes.  Dans un budgetde la défense déjà très serré, où lesprendra-t-on ? Sachant que, comme je l’ai dit, le jeunesn’apporteront rien   en un mois, au moins sur le plan militaire - et sur leplan civil sans doute aussi.

Par rapport à ce qu’était leservicenationald’antan, une complication est la parité. Comme il sembleaujourd’hui   politiquement difficile de réserver ce service obligatoire aux garçons, l’effectif à envisager est double : 800 000 au lieu de 400 000.

Ajoutons que si on veut un brassage social voire intercommunautaire, il n’est pas   question, comme on le faisaitdans les dernières années du service national d’exclurela plupart des enfants d’immigrés, non par racisme mais par application mécanique de la dispense des chargés defamille : père absent, beaucoup de frères et sœurs.

Autre considération : si on engage massivement les jeunesissusde l’immigration dans ce genre d’expérience, peut-être améliorera-on pour la majorité le sens dela citoyenneté, mais lesFrançais sont-ils prêts àgénéraliser l’apprentissagedes armes à feu dans cette population- et dans d’autres ?

Le projet ne dit d’ailleurs pas ce que sera la répartition entre servicecivil et servicemilitaire : va-t-on jumelerles deux – en si peu de temps ? ou bien faire deux catégories ?

Quelles alternatives pourrait-il y avoir selon vous ?

Il est difficile d’imaginer, pour toute les raisons que j’ai indiquées, qu’il y ait un moyen terme entre pas de service national-  ou une journée symbolique comme aujourd’hui -  et un vrai service militaire national.

Le rétablissement de quelque chose comme un service national ne serait pas absurde.

Sa suppression en 1977 est venue à contretemps : à un moment où la cohésion sociale que, malgré tout,  l’ancien service national renforçait, commençait à être remise en cause.

Il est venu aussi à un moment où le niveau de formation générale s’étant élevé, beaucoup d’appelés pouvaient assez vite  rendre des services, y compris militaires, ce qui n’était pas le cas trente ans plus tôt et ce qui n’est pas non plus le cas de beaucoup d’engagés, dontla formation générale est souvent plus faible.

Ajoutons que l’antimilitarisme des jeunes qui avait été fort dans les années soixante et soixante-dix était beaucoup plus faible en 1997 et depuis.

Une armée professionnelle ou semi--professionnelle coûte plus cher car les soldes des volontaires est nettement supérieure à celle que l’on versait aux appelés.

Nos effectifs sont aujourd’hui au taquet. Rétablir un service national, soit  plus d’hommes d’un meilleur niveau à un moindre coût, ne serait donc pas absurde, notamment pour se préparer à des risques majeurs comme une explosion dans notre environnement proche, européen ou africain.

Mais nousn’avonsévidemment pas besson de 800 000 garçons et filles. Comment sélectionner les 200 000 qui seraientnécessaire, sachant qu’il faudrait garder un noyau de 50 000 vrais professionnels ?

Je pense en tous cas qu’il faut maintenir le service militaire adapté telqu’on l’a expérimenté dans l’outre-mer et qui permet la remise à niveau, sous discipline militaire, des jeunes en difficulté. On a commencé à l’étendre en métropole mais il faut savoir qu’il coûte très cher ; il n’est donc pas indéfiniment extensible.

On peut aussi instaurer une garde nationale sur la base du volontariat, pour prendre en charge de tâches comme celles de l’opérationSentinelle.

Je ne crois guère en revanche au service civil : si on ne sait pas à l’avancece qu’on va faire faire aux jeunes, on tombera sur des taches dévalorisées oubienla glande généralisée,sachant qu’il faudrait  de toutes les façons unencadrement lourd et coûteux.

S’il faut faire des propositions, j’avancerais, outre le rétablissement du service national proprement dit, de faire des opérations larges de volontariat pour des tâches précises : par exemple le nettoyage des côtes de France qui serait assorti de quelques rudiments militaires et surtout, pour ceux qui se seront portés volontaires, d’avantagesdans la vie civile,par exemple une année d’ancienneté dans  la fonction publique. 

Mais la question de fond demeure en définitive : service national, pour quoi faire ?

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