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Jeu du chat et de la souris 
entre la Chine et le Japon 
autour la question des îles Senkaku
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Casse-tête sino-japonais

Le populiste Shintaro Ishihara, gouverneur de Tokyo, a annoncé que la capitale japonaise allait racheter des îlots de la mer de Chine orientale, appelés Senkaku en japonais et Diaoyu en chinois. Ces petites îles inhabitées, contrôlées de fait par Tokyo, sont revendiquées par les deux pays, ainsi que par Taïwan.

Philippe  Pelletier

Philippe Pelletier

Philippe Pelletier est géographe. C'est un spécialiste du Japon, où il a résidé et travaillé pendant sept ans.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont, en 1997, La Japonésie, pour lequel il a reçu le prix Shibusawa-Claudel ; Le Japon, publié en 2004 aux éditions Le Cavalier bleu, ou bien le livre éponyme édité en 2007 chez Sedes.

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Atlantico : Les tensions se sont ravivées entre la Chine et le Japon sur la question des îles Senkaku, depuis l'annonce par Shintaro Ishihara de leur rachat pour Tokyo. Quels enjeux se jouent autour de ces territoires qui finalement ne sont que deux cailloux dans la mer ?

Philippe Pelletier :Les enjeux sont essentiellement nationalistes et politiques, sur un plan à la fois interne et international. Les gisements étant moins prometteurs que prévu et demandant des coûts d’exploitation élevés, l’enjeu des hydrocarbures sous-marins présents dans cette zone du plateau continental chinois n’est pas le plus important actuellement.

En outre, même si les gisements avaient été intéressants, il y a toujours une possibilité de trouver un moyen d’entente par le biais d’accords bilatéraux pour une exploitation commune dans des eaux dont l’appartenance est mal définie.

Peut-on considérer les tensions autour de ces îles comme les conséquences d’une guerre sino-japonaise pas encore totalement résolue ?

Je m’oppose à ce type de raisonnement. Il n’y a pas actuellement, ni prochainement, de risques majeurs de guerre entre le Japon et la Chine. Bien sûr, je ne dis pas que cela ne va jamais arriver, mais c’est très peu probable. En effet, les deux pays sont extrêmement liés économiquement. La Chine a supplanté en 2007 les États-Unis comme premier partenaire commercial du Japon. Elle est le premier client du Japon depuis 2002 et son premier fournisseur depuis 2009. Sa place dans le commerce extérieur japonais est passé de 3 % environ en 1980 à 21 % actuellement. C’est absolument considérable. Il est improbable que s’enclenche un conflit d’envergure qui menacerait les intérêts économiques des entreprises japonaises et chinoises.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de tensions sur le plan politique et diplomatique. Il y a un subtil jeu de pression, de chantage et de menaces, car les deux pays se renforcent militairement. Ils projettent désormais leur système de défense sur la mer et sur des distances de plus en plus lointaines.

Jusque là, pour des raisons économiques, politiques et techniques, la Chine n’était pas en mesure de le faire. Quant au Japon, il ne le pouvait pas non plus mais pour des raisons essentiellement politiques, en raison de son alliance militaire avec les États-Unis. Mais désormais l’armée japonaise – appelons un chat un chat, sa « milice d’autodéfense » est la 4ème armée mondiale – pour diverses raisons, qui tiennent notamment compte du rôle américain, est passée à une étape supérieure dans ses modalités de défense, et d’intervention. Les périmètres militaires chinois et japonais se rencontrent donc fatalement, et les tensions se renforcent dans les zones de contact comme les Senkaku/Diaoyutai.

Dans cette optique, pourquoi ces îles cristallisent-elles autant d’attention ?

Les deux pays les revendiquent. Mais la différence entre le Japon et la Chine, c’est que la Chine a parfaitement compris - et de ce point de vue elle a une longueur d’avance sur le Japon - qu’il était inutile et dangereux de s’accrocher à des enjeux territoriaux de façon étroite et classique, héritée de la géopolitique européenne, avec des frontières linéaires et une territorialité de type westphalien. La Chine a ainsi réussi, chose assez incroyable et inattendue, à régler tous ses contentieux territoriaux avec ses voisins, et principalement la Russie, les républiques d’Asie Centrale, la Corée du Nord et l’Inde, même si on trouve encore quelques points litigieux. Le dernier blocage reste le Japon.

Cela dit, la Chine, sous l’influence de Deng Xiaoping, a commencé à contourner ce problème dès 1978, en prenant le parti de laisser la résolution territoriale du litige Senkaku/Diaoyutai aux générations futures. Elle a donc fait preuve de souplesse. Elle continue à revendiquer les îles mais ne veut pas engager n’importe quel bras de fer.

Le Japon, lui, est dans une position tout à fait inverse, pour une raison qui n’est en réalité pas liée aux îles Senkaku et à la Chine, mais aux tensions avec la Corée du Sud avec les îlots Takeshima, mais surtout avec la Russie à propos des Territoires du Nord, c’est-à-dire, selon la terminologie russe, les îles Kouriles méridionales. Si le Japon lâche du lest sur les Senkaku, cela voudrait dire qu’il serait prêt à plus de souplesse sur tous les autres conflits territoriaux et, d’un point de vue politique, surtout intérieur, ce n’est pas envisageable.

Dans cette situation régionale, ont trouve aussi les États-Unis, car c’est le Traité de San Francisco (1952) piloté par les Etats-Unis et les différents accords américano-japonais ayant rendu au Japon les espaces qu’ils occupaient, Okinawa notamment en 1972, qui redéfinissent l’actuel territoire de l’État japonais après sa défaite militaire en 1945.  C’est un système à plusieurs acteurs et c’est une erreur d’analyse que de se cantonner à un rapport Chine/Japon. 

Ceci dit la Chine, sous l’influence de Deng Xiaoping, a commencé à contourner le problème dès 1978, en prenant le parti de laisser la résolution territoriale du litige aux générations futures. Elle a donc fait preuve d’une souplesse peu ordinaire. Elle continue néanmoins à revendiquer les îles mais ne veut pas engager un bras de fer.

Le Japon lui est dans une position tout à fait inverse, pour une raison qui n’est pas liée aux îles Senkaku et à la Chine en réalité, mais aux tensions avec la Corée du Sud avec îles Takeshima, mais surtout avec la Russie pour les territoires du Nord, les îles Kouriles. Au regard de tous ces facteurs, si le Japon lâche du lest sur les Senkaku, cela voudrait dire qu’il serait prêt à plus de souplesse sur tous les autres conflits territoriaux et pour lui, d’un point de vue politique et surtout intérieur, ce n’est pas envisageable.

De plus derrière cette politique on retrouve la patte des Etats-Unis, car d’une certaine façon, le Traité de San Francisco et les périmètres territoriaux définis par l’occupant américain plus les périmètres territoriaux définis par l’armée américaine rendus au Japon avec Okinawa en 1972, tout cela directement de leur influence. C’est un système à plusieurs acteurs et c’est une erreur d’analyse de se cantonner à un rapport Chine/Japon.

Depuis note-t-on les tensions entre la Chine et le Japon sur ces îles ?

Ces rivalités remontent à 1895, depuis la revendication notifiée internationalement par le Japon sur ces îlots pendant la guerre Sino-japonaise. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches des gouvernements chinois adressé au Japon. Ils estiment qu’il était déplacé de faire cette opération pendant la guerre. On croit généralement que ces îlots ont été pris à l’issue de la guerre mais c’est faux.

A l’époque, le gouvernement japonais a appuyé sa revendication sur le fait qu’ils considéraient ces territoires comme terrain nullius, c’est-à-dire n’appartenant à personne. Par conséquent, pour le Japon ce n’est pas une conquête de guerre. Pour la Chine, si

On a toujours l’image de relations diplomatiques très compliquées entre ces deux nations mais qu’en est-il dans les faits ?

Il ne faut pas se tromper. Il y a comme bien souvent dans ces circonstances, un jeu qui s’adresse aux opinions publiques intérieures mais aussi aux opinions publiques extérieures, et dans ce cas précis ce jeu agit comme un camouflage, une sorte d’écran de fumée, qui fausse les ressentis. Sur le fond, des liens solides existent. Il n’y a jamais eu autant d’accords économiques, d’échanges d’étudiants, et de touristes entre la Chine et le Japon.  Jamais. Les deux pays ont noué des relations diplomatiques et économiques fortes, un peu sur le principe amis-ennemis, un peu comme les relations sino-américaines qui se situent différemment sur un plan beaucoup plus mondial, et sur un plan culturel où la proximité entre le Japon et la Chine est quand même beaucoup plus forte qu’entre ces deux pays et l’Amérique.

La Chine approvisionne Wall-Mart, jusqu’à  contribuer à hauteur 10% dans son chiffre d’affaire, et elle est le premier pays à détenir des bons du Trésor américain, devant le Japon d’ailleurs, ce qui renforce de fait le binôme sino-japonais, il est indéniable que les Etats-Unis dépendent de la Chine, mais la Chine dépend aussi des Etats-Unis.

Comment le conflit sur ces îles risque de se décanter ?

C’est un jeu entre les pays. Deux pas en avant, un pas en arrière. Des tests, des négociations gelées, puis reprises. En réalité, il faut analyser si, sur le plan intérieur la Chine a intérêt à mettre le feu ou pas. Si elle y voit un intérêt, un nouveau soutien de l’opinion publique  par exemple, elle n’hésitera pas à le faire. 

En plus, c’est très facile pour les Chinois en raison du mauvais souvenir laissé par l’occupation japonaise, ancrée dans la population et transmis chez les plus jeunes générations.  On sait bien qu’un gouvernement, quand il est dans la difficulté intérieure, cherche toujours un dérivatif à l’extérieur, fusse au prix d’une guerre. Mais le Japon n’est pas la Libye, et nous n’en sommes pas là.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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