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MBS à Washington : le tout-puissant prince héritier saoudien face aux 1001 pièges de la relation américano-saoudienne
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Terrain miné

Mohammed Bin Salmane entame une longue visite aux Etats-Unis qui durera deux semaines. Une opération séduction qui a pour but d'améliorer l'image de l'Arabie Saoudite et de s'assurer le soutien de l'allié américain.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Depuis l'élection de Donald Trump, les relations entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis, délétères sous Obama, ont pris un franc tournant. Mais quels sont les risques concrets d'un tel rapprochement pour les Etats-Unis d'un point de vue intérieur ?

Emmanuel Dupuy : Il y a, en effet, un changement de langage « radical »  entre le président américain - qui avait effectué son premier déplacement à l’étranger en Arabie Saoudite, en mai dernier, et qui accueille aujourd’hui, le prince hériter du royaume saoudien, Mohammed Bin Salman (MBS) - et le candidat Donald Trump, qui pendant la campagne, n’hésitait pas à menacer, en avril 2016, l’Arabie Saoudite. Ce dernier se félicitait, à l’époque, d’ne possible adoption par le Congrès américain d’une loi permettant aux familles des victimes des attentats du 11 septembre 200 de poursuivre l’Arabie Saoudite. Le candidat d’alors n’hésitait pas à indiquer que les Etats-Unis protégeaient l’Arabie Saoudite « en échange de presque rien » et de rajouter que « sans notre protection, ils ne survivraient pas plus d’une semaine ». Donald Trump allait même jusqu’à promettre de réouvrir l’enquête sur les responsabilités et soutiens éventuels de l’Arabie Saoudite aux auteurs des attentats du 11 septembre. Depuis, le président américain est revenu de l’Arabie Saoudite avec près de 380 milliards de dollars (340 milliards d’euros) de contrats dont 110 milliards dans le domaine de l’armement !

Le ton ferme de Donald Trump à l’égard de Riyad, d’il y a un an, n’aura ainsi pas résisté aux appels du pied de Riyad. Pourtant, la crainte d’une trop forte ingérence saoudienne sur la vie politique américaine - via moult sociétés de lobbying et de relations publiques, très influentes au niveau  du Congrès -  correspond néanmoins toujours à une profonde aspiration de son électorat. La critique des Américains à l’égard des états qui ont ouvertement soutenu  la vision d’un wahhabisme prosélyte, qui a pu donné l’impression qu’il fut la matrice des organisations terroristes que les Etats Unis combattaient en Irak, en Afghanistan et désormais en Syrie et dans la bande sahélo-saharienne, demeure prégnante dans le débat d’idée outre-atlantique.

D’un point de vue économique, les industriels américains, dont notamment, les compagnies pétrolières, sont aujourd’hui nettement moins dépendantes des réserves pétrolières et gazières saoudiennes. Les Etats-Unis seront, en effet, à l’horizon 2030, auto-suffisants en matière énergétique. Washington devraient ainsi produire plus de pétrole que l’Arabie Saoudite d’ici 2020. Les Etats-Unis extraient déjà, depuis 2015, plus de gaz que la Russie. Cela résulte d’une accélération de l’exploitation des pétroles et gaz de schiste du Dakota du Nord, de Californie et de Pennsylvanie, qui devrait permettre aux Etats-Unis de cesser d’importer des hydrocarbures durant la prochaine décennie. Peut-être faut-il ainsi y voir une des raisons qui poussent MBS à vouloir privatiser une partie (5%) de la société Saudi Aramco, qui comme son nom l’indique, résulte de la coopération industrielle de plusieurs compagnies américaines depuis sa création en 1944, malgré sa nationalisation en 1980. L’enjeu est d’importance, puisque l’on évoque une valorisation de la compagnie à hauteur de 2000 milliards de dollars. 

Wall Street est ainsi ouvertement en concurrence avec la bourse de Londres pour cette opération boursière particulièrement attendue. MBS a, du reste, deux étapes liés à cet agenda durant son long périple américain de près de trois semaines (à New York, auprès de plusieurs banques américaines et à Houston, auprès de plusieurs sociétés pétrolières). Nul doute qu’il y aura des déçus. L’on prête à MBS d’avoir déjà choisi Londres, étape précédente de son périple qu’il avait commencé la semaine dernière en Egypte.

Donald Trump aura aussi à justifier que la relation entre Washington et Riyad n’est pas uniquement motivée par les intérêts particuliers de son groupe immobilier Trump, dont les deux fils, Eric et Donald, se rendent fréquemment en Arabie Saoudite. Comme c’est, du reste, aussi le cas pour son gendre du président américain, Jared Kushner, qui s’y est rendu, à titre non-officiel, trois fois en 2017. Certains voient ainsi en ce dernier, le déclencheur de la mobilisation anti-qatarie, en juin dernier, accréditant la thèse que la politique étrangère américaine dans le Golfe est davantage mue par les intérêts familiaux du président que ceux des Etats-Unis. Donald Trump demandera t-il à MBS, comme il n'avait pas hésité à le faire durant sa campagne électorale, que l’Arabie Saoudite contribue à résorber la dette américaine qui avoisine les 20 000 milliards de dollars ? Rien n’est moins sûr. L’on a plutôt l’impression que le prince héritier saoudien vient davantage chercher des soutiens financiers pour la mise en place de son projet de «  Vision 2030 ». 

Le risque est ainsi grand que l’opinion publique soit dubitative quant au bénéfice concret pour les contribuables américains de cette nouvelle lune de miel entre Washington et Riyad.

N'est-il pas risqué d'apporter un soutien plein et entier à Mohammed Bin Salman alors que ce dernier n'a pour l'instant pas fait ses preuves et que sa politique de diversification de l'économie et de mise au pas des institutions religieuse est encore très théorique et n'a pas dépassé le stade des actions symboliques ?

Le jeune prince héritier se rend, en effet, aux Etats-Unis avec la casquette principale de VRP de son projet «  Vision 2030 » qui se veut autant réformateur sur le plan économique que sociétal. Néanmoins, la relative jeunesse du projet - présenté il y a seulement un an de cela, en avril 2016 - autant que le côté abrupt - ayant amené plusieurs caciques politiques et financiers du régime saoudien - à être forcé « manu militari » à financer le programme de réformes prôné par le prince héritier, sur fond d’accusation de corruption, a pu interroger, voire perturber, certains des investisseurs que MBS va pourtant chercher à convaincre d’investir en Arabie Saoudite. 

En effet, en vue de la nécessaire diversification économique saoudienne, eu égard, à la baisse des prix du pétrole, les 12 programmes opérationnels présentés en avril 2017 ont incité MBS à s’en prendre à certains partenaires financiers traditionnels de plusieurs entreprises américaines. C’est, par exemple, le cas du milliardaire Al-Walid Ben Talal, qui avant de devoir payer sa « caution » de sortie de l’hôtel Ritz de Riyad (de l’ordre de près d’un milliard de dollars), avait massivement investi dans le secteur des nouvelles technologies de l’information américaine (115 millions dans Apple, 300 millions dans Motorola, 147 millions dans Netscape/AOL en 1997 ; 100 millions dans eBay en 2000 ; 300 millions de dollars dans Twitter en 2011). 

MBS entend ainsi se rendre dans la Sillicon Valley pour convaincre ces mêmes sociétés d’investir dans son ambitieux projet. Il faudra que MBS donne à ces dernières beaucoup de garanties pour ce faire. Le caractère intégriste, voire le caractère expéditif de son réformisme économique et sociétal, imposera sans doute au fougueux prince héritier, de mettre un peu «  d’eau dans son vin » , si j’ose m’exprimer ainsi. Les investisseurs américains chercheront avant tout à rappeler à l’héritier du Roi Salman, que ces derniers ont diversifié leurs investissements dans l’ensemble des Etats de la région. La crise entre le Quartet (Arabie Saoudite, EAU, Bahreïn, Egypte) et le Qatar a été, ainsi de nature à perturber, depuis le « Qatarban » en juin, les entreprises américaines, justifiant une position officielle de Washington jugée quelque peu timorée par Riyad.

Le prince hériter, devra, en outre, convaincre que sa « révolution » vise autant les dignitaires religieux que l’aristocratie financière et la hiérarchie militaro-sécuritaire. Cette dernière est plus facilement atteignable, eu égard aux liens familiaux et relations de cousinage. Les tenants d’un islamisme rigoureux, qui aura permis de mettre en place une véritable diplomatie religieuse, dont on estime qu’elle implique 8 milliards de dollars en soutien à des organisations humanitaires, religieuses et ONG caritatives à travers le monde, sont, eux, nettement plus difficiles à « mettre au pas ».  C’est sur ce plan que MBS est aussi attendu. Les grandes manoeuvres ont, du reste, déjà commencé, avec la promesse saoudienne d'aider à la mise en place de la Force conjointe du G5-Sahel, à hauteur de 100 millions de dollars. Cette action semble ouvrir un indispensable débat sur la genèse du prosélytisme saoudien des années 1990/2000 en Afrique de l’Ouest. Nul doute que les suites à donner à la vague d’arrestations lancées contre plusieurs dignitaires religieux, en septembre dernier, devront confirmer que MBS vise les vrais responsables de l’expansion de l’islamisme que beaucoup d’observateurs dénoncent et ne sert, pas au contraire, de subtil moyen de marginaliser des opposants à la politique de la famille royale sur le plan intérieur comme extérieur.

Quel impact négatif pourrait avoir ce rapprochement sur la conflictualité au Moyen-Orient Est-ce que Donald Trump ne risque pas de se mettre à dos d'autres partenaires en réaffirmant son soutien à l'intervention militaire de l'Arabie Saoudite au Yemen ?

La relation entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite a connu, en effet, quelques turpitudes depuis le pacte du Quincy scellant, en février 1945, leur indefectible relation sur fond d’interdépendance financière et énergétique. La plus notable ne fut pas, étonnamment  le 11 septembre 2001, eu égard à la participation de 15 saoudiens  - sur les 19 -  impliqués dans les attentats ayant touchés les Etats-Unis, mais bel et bien des divergences d’ordre stratégique, apparus à la faveur des « révolutions arabes », à partir de 2011, sous l’administration Obama. Les orientations américaines sur l’évolution politique et institutionnelle en Egypte, sur la perception du conflit en Syrie, sur la guerre engagée au Yemen et bien évidemment vis-à-vis de l’Iran, dont Donald Trump, le roi Salman et son fils, Mohammed Bin Salman, devenu prince héritier en juin 2017, sont au diapason pour dénoncer l’accord nucléaire sur le nucléaire du 14 juillet 2015, paraphé à Vienne par John Kerry, alors Secrétaire d’Etat de Barack Obama.

Les Etats-Unis restent, cependant, relativement prudents sur la question yéménite. Nombreux sont ceux, au Capitole, sur les bancs républicains comme démocrates, et au sein même de la Maison-Blanche à craindre les réactions d’une opinion publique internationale comme américaine de plus en plus outrée devant l’horreur de la situation (plusieurs dizaines de milliers de morts, plusieurs millions de personnes menacés par la famine et le risque de choléra). 

Cette « sale » guerre « incarnée »  par celui qui, avant d’être prince héritier, était ministre de la Défense, a déjà provoqué un débat quant au maintien ou non du soutien américain à la coalition menée par l’Arabie Saoudite, dans le cadre de son opération « Restaurer l’espoir » (ayant succédée - en avril 2015 - à l’opération « Tempête décisive », lancée en mars 2015). Bien sûr, le Pentagone, à travers le Secrétaire d’état à la Défense, James Mattis, continue d’affirmer que les F15 et chars Abrahams livrés par les Etats-Unis à l’Arabie Saoudite et utilisés dans les combats et bombardements ayant fait, ces derniers temps, beaucoup de victimes civiles, ne relèvent pas de sa stricte compétence. Les industriels américains qui sont sollicités pour remplacer ces matériels détruits dans les combats peuvent en effet que s’en réjouir...

C’est oublier, néanmoins, un peu vite, que les Etats-Unis utilisent aussi quotidiennement leur base militaire à Djibouti pour aider la coalition dans son acquisition de renseignement, dans son ciblage de terroristes de l’organisation Al Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) et pour ravitailler les avions de fabrication américaine vendus aux forces armées saoudiennes. Dès lors, faut-il comprendre que les Etats-Unis et l’Arabie sont inextricablement liés sur ce dossier. L’image dégradée des Etats-Unis au Moyen-Orient, notamment vis-à-vis de ce qu’il est convenu d’appeler la «  rue arabe »  davantage, du reste,  que du leadership de ces pays -  résulte, surtout de son indéfectible soutien à Israël, que viennent confirmer la décision de déplacer l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, de reconnaitre de facto Jérusalem comme capitale de l’état hébreux, de relancer le processus de colonisation en Cisjordanie et donc d’abandonner la voie négociée en vue d’une solution à deux états. 

De ce point de vue là, aussi, la convergence de vue semble totale entre Donald Trump et MBS, même si ce dernier continue à défendre « officiellement » le droit des Palestiniens à un état. Il en fut question, au Caire, avec le président Sissi, à l’occasion de la première étape de son périple, l’amenant à Londres, ces derniers jours, puis à Washington pour les prochaines semaines. 

Nul doute, néanmoins, que le récent rapprochement entre Israël et Riyad sur cette question est également de nature à réaffirmer la consolidation de la relation américano-saoudienne.

Comment le renforcement des relations entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis pourrait influencer le conflit existant avec l'Iran ?

Si l’on cherchait encore des raisons de douter de la volonté intrinsèque mue par MBS comme par Donald Trump de « cibler » l’Iran, la récente déclaration du prince, comparant le Guide Suprême iranien, Ali Khamenei à Hitler devrait suffire à nous convaincre qu’une guerre pourrait éclater incessament sur la rive nord du Golfe Persique.

La menace également brandie par MBS visant à indiquer que l’Arabie Saoudite, qui a récemment mis un coup d’accélérateur à son programme nucléaire civil, pourrait développer rapidement un arsenal militaire, pour contrer la « menace »  iranienne n’est pas de nature à nous rassurer pour la stabilité régionale future. 

Rappelons que c’est le 12 mai prochain, que Donald Trump pourrait sortir définitivement du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) liant les cinq membres du Conseil de sécurité, l’Allemagne et l’UE à l’Iran. Nul doute, comme l’a rappelé le ministre des Affaires étrangères saoudien, Adel al-Jubeir ou le jeune frère de MBS, Khaled, actuellement ambassadeur du Royaume aux Etats-Unis que l’Arabie Saoudite  a de quoi se réjouir du départ de Rex Tillerson, à la tête de la diplomatie américaine et se féliciter de son remplacement par le « faucon » néo-conservateur Mike Pompeo. Ce dernier n’a eu de cesse, quand il était membre républicain de la Chambre des Représentants (4ème district du Kansas) puis comme Directeur de la CIA, depuis janvier 2017, d’indiquer qu’il fallait entrer en guerre avec l’Iran. MBS ne dit pas autre chose quand il pointe du doigt l’ingérence régionale iranienne, ou la preuve que l’Iran développe son programme de missiles balistiques à moyenne portée (2000 km), comme deux raisons supplémentaires pour attaquer Téhéran.

Le prochain départ, que l’on dit imminent, du dernier « réaliste » au sein de l’establishment stratégique américain, en la personne du général Herbert Raymond Mc Master, actuellement à la tête du Conseil de sécurité nationale, semble confirmer que tout se met en place, hélas, pour une offensive concertée entre Washington et Riyad à l’encontre de Téhéran. 

Reste maintenant à savoir si quelqu’un, à l’instar d’Emmanuel Macron, qui devrait se rendre à Téhéran en avril, tout en recevant prochainement à Paris, MBS serait de nature et de taille à contrecarrer cette logique va-t-en-guerre...

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