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Comment les progrès dans les sciences du comportement et les technologies de la persuasion sont en passe de prendre le pouvoir sur nos vies
©Fabrice COFFRINI / AFP - © Royal de Luxe / Nantes

Prise en main

Nos décisions sont de plus en plus manipulées. Et c’est vraisemblablement parti pour durer. Et s’aggraver.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » du « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).

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Dans « Head Strong : la psychologie et la domination militaire au 21e siècle », Michael D. Matthews explorait les nombreuses façons dont les usages de la psychologie feront la différence à l’avenir pour gagner les guerres du futur, en ciblant toujours plus au cœur les esprits. Ces progrès fulgurants de la recherche en neurosciences impactent d’ores et déjà nos existences communes, et pas seulement celles de nos futurs soldats en opération. La sphère civile est aujourd’hui conquise et ravie de toutes parts  – elle aussi – par ces nouveaux champs applicatifs des sciences comportementales, et de la neuro-persuasion. Beaucoup s’en inquiètent désormais ouvertement, à commencer par l’ancien locataire de la Maison-Blanche en personne, Barak Obama… 

« Nous ne saurions longtemps échapper aux conditionnements opérés sur nous, entre nous, à travers nous et en nous par nos Médiarchies », prophétise en substance l’universitaire Yves Citton, en marge de son ouvrage emblématique sur son sujet de prédilection : « l’économie de l’attention ». Ingénierie de la perception, Neurodroit, Neuromarketing, Nudge, Neuropolitique, Economie de l’attention, guerre pour l’opinion publique, info dominance, action psychologique, ou encore économie comportementale (BE) : autant de domaines et de nouveaux terreaux de recherches que recoupe ce rapide florilège à la Prévert, ignorés du grand public ou parfaitement méconnus des foules sentimentales. Autant de sujets d’études prometteuses aux yeux des spécialistes, dont les développements actuels impactent dès aujourd’hui en profondeur nos décisions quotidiennes, comme jamais auparavant dans l’histoire humaine. En voici quelques échantillons liminaires, agrémentés d’éléments prospectifs évocateurs.

Quand demain promet d’améliorer les performances cognitives et comportementales du soldat.

Dans beaucoup de champs applicatifs d’ordre militaire, l’ingénierie psychologique et les progrès fulgurants des neurosciences dans l’étude des comportements humains, semblent être en passe de déterminer « qui gagnera », et « qui perdra » les prochains conflits armés du 21ème siècle. À l’image des innovations et des progrès de la science et de l’industrie qui avaient finalement concouru à la victoire des alliés au siècle dernier. Et au premier rang duquel, les Etats-Unis d’Amérique. Les progrès croissants et les investissements majeurs dans le registre des neurosciences sont en passe d’améliorer sensiblement les approches traditionnelles en matière de formation, d'apprentissage et d'autres applications utiles aux forces armées. Des marqueurs neurocomportementaux promettent d’ores et déjà de nouvelles façons d'évaluer la capacité des recrues à assimiler les connaissances et les compétences essentielles dans l’exécution des missions. Ils pourront dans un avenir proche concourir à fournir des indicateurs d’efficience probante sur la préparation des soldats au combat. Les méthodes actuelles d’évaluation des capacités individuelles, avec en toile de fond les exigences requises pour l'exécution d'affectations militaires à haute valeur ajoutée, n'incluent pas les composantes neuropsychologiques, psychophysiologiques, neurochimiques ou neurogénétiques. Mais demain, l’émergence de l’ingénierie neuropharmaceutiques et médicale promet un accès facilité aux tests d’évaluation neuropsychologiques, qui pourraient permettre d’améliorer grandement les taux de succès dans l'entraînement des troupes, et l'augmentation multicritères de leurs performances. Des combattants « augmentés » en quelque sorte.

Opportunité en neuroscience pour les futures applications militaires.

Plus concrètement, les progrès constants issus en droite ligne des disciplines neuroscientifiques – très bientôt couplés aux apports prometteurs de l’IA – modifieront considérablement la façon dont les forces armées seront constituées, formées, entraînées et même dirigées. Bien loin des expériences de « dressage » et de « conditionnement » du soldat d’antan. Il en ira de même dans la manière d’appréhender le champ de bataille à l’avenir et les multiples façons de traiter l’adversaire sur le terrain, en anticipant très en amont les situations de combat. Voici qu’émerge corrélativement l’occurrence d’un nouveau leadership – sous le feu – qui puisera vraisemblablement de nouvelles compétences et les ressources dont il aura besoin, dans le creuset des techno-sciences, pour s’adapter à des environnements mouvants, toujours plus instables et changeants. C’est en tout cas se qu’anticipe dans « Head Strong : La psychologie et la domination militaire au 21e siècle », Michael D. Matthews qui explora dès 2014 les nombreuses occurrences et façons dont la psychologie fera la différence dans les guerres à venir. Un livre passé pourtant inaperçu à sa sortie auprès des spécialistes avertis sous nos latitudes hexagonales. Ce nouveau champ d’application n’est pas limitatif et révolutionnera naturellement d'autres branches militaires – de la sécurité nationale à celles du renseignement – intéressées à appliquer ces progrès rapides d’essence neuroscientifique, à la performance individuelle, la coordination des troupes et l’exécution des actions collectives.

L’armée et les neurosciences, en route vers un nouvel âge de la guerre cognitive ?

La guerre à toujours stimuler les sciences, et vice-versa. Et ses « progrès » se répercutent d’ores et déjà sur nos vies civiles, et pas uniquement sur nos existences « numériques » ou celles de nos soldats en opération. Les amputés auront des prothèses « intelligentes » qui simuleront bientôt les sensations et les fonctions d'un membre réel. Ceux qui ont été exposés aux traumatismes psychologiques bénéficieront de nouveaux traitements adaptés plus efficaces, à la disposition des spécialistes en psycho-traumatologie, afin de prévenir ou de soigner les troubles cognitifs issus des répercussions mentales d’un stress post-traumatique. Et une révolution dans la formation – fortement basée sur la dépendance croissante des militaires à l'égard des simulations de nature immersive – modifiera radicalement la façon dont les policiers, les pompiers et les primo-intervenants seront formés à l'avenir, pour mieux appréhender leur environnement et les terrains d’actions complexes. En son cœur, la guerre est la plus poignante des entreprises humaines. Et la psychologie, en tant que science des comportements humains, sera essentielle au succès des opérations dans ces guerres du futur. Rédigé par un psychologue militaire de West Point, ce livre est l'un des premiers à nous initier aux guerres « plus intelligentes » dans le monde de demain, dont les contours nous apparaissent dès aujourd’hui, et ou « convaincre l’adversaire de céder, sans même avoir besoin de le combattre » pourrait-être à portée de main. Rêvons.

Les GAFAs à la conquête de nos émotions et de nos « temps de cerveau disponibles ».

Les firmes géantes du numérique telles que Facebook ou Google, se forment d’ores et déjà auprès des meilleurs spécialistes en sciences du comportement, afin d’apprendre à toujours mieux capter et diriger nos attentions à des fins de contrôles mercantiles. L’objectif inavoué de tout ceci ? Générer le plus longtemps possible chez les utilisateurs captifs de leurs plateformes, de l’addiction ou des comportements de fréquentations compulsives. Sur le web, les plateformes qui proposent des abonnements ont d’ailleurs bien retenu ces enseignements précieux, et ne se privent pas d’en exploiter les résultantes apprises au contact des plus grands gourous de la Tech. On le sait désormais avec certitude, depuis la publication en avril 2017 dans le « New York Review of Books », d’un sujet traitant des sciences du comportement : l’expert Daniel Kahneman a donné par exemple une master class sur le sujet en 2007 et 2008, à un parterre de VIP très avertis, composé notamment de Sean Parker (Facebook), Larry Page (Google), Elon Musk (Space X, Tesla), Jeff Bezos (Amazon), Sergey Brin (Google), Nathan Myhrvold (Microsoft), Evan Williams (Twitter) et Jimmy Wales (Wikipedia). N’en jetez plus ! Ainsi, tous les dirigeants des GAFAs ont bien été formés depuis plus d’une décennie au management 3.0, et aux avancées d’essence neuroscientifique par des sommités du domaine. Avisés, et grands professionnels, ils sont entre-temps devenus de fervents utilisateurs, au bénéfice de leur réussite commerciale planétaire : on se souviendra à ce propos de ces milliers d’utilisateurs du réseau social Facebook, « manipulés sciemment » pour les besoins d’une expérience de psychologie comportementale à grande échelle, entre le 11 et le 18 janvier 2012. Une expérience très discrète, menée grandeur nature, et portant sur la « contagion émotionnelle » sur les réseaux, ou Facebook avait naturellement associé à cette recherche des scientifiques de renom, issus en droite ligne des universités IRB de Cornell, et de Californie à San Francisco.

Sans le savoir, près de 689 003 « cobayes » anglophones pris au hasard sur la célèbre plateforme en ligne, avaient ainsi vu leur fil d'actualité substantiellement altéré bien malgré eux, pour « mesurer si les émotions exprimées » par leurs contacts influençaient leur humeur du jour par effet retour. À cette occasion, a été testé si la réduction du nombre de messages positifs que les utilisateurs pouvaient voir, rendait ces mêmes individus moins susceptibles de publier eux-mêmes des contenus à caractère positif… Il en a été de même pour les messages négatifs. Les messages postés par ces personnes placées sous étroite surveillance étaient ensuite décryptés pour savoir si elles avaient été influencées par « l'humeur ambiante » ainsi produite. L'étude depuis publiée dans les colonnes de la revue scientifique américaine de l'Académie nationale des sciences (PNAS), a constaté que les utilisateurs ciblés commençaient à utiliser davantage de mots négatifs ou positifs, selon l'ampleur des contenus auxquels ils avaient été exposés. Et pour ce faire, l'algorithme avec lequel Facebook « balaie » l’ensemble des messages dans les fils d’actualité de ses membres, en utilisant un programme pour analyser si un extrait textuel donné contenait des mots positifs ou négatifs, avait été mobilisé et mis à contribution pour les besoins de cette expérience. Le résultat obtenu à été assez net et probant pour les expérimentateurs : les états émotionnels ainsi générés se sont avéré particulièrement « contagieux ». Démontrant sans ambages que les réseaux sociaux sont tout à fait en capacité de produire et de propager des états émotionnels positifs ou négatifs de proche en proche, dans une population d’individus donnés, par le simple truchement d’une contagion émotionnelle de masse. Constat particulièrement vertigineux dans ses implications immédiates.

Quand Obama dénonce Facebook et Google, et doute de l'avenir de la démocratie, compte tenu de leurs effets délétères sur le tissu social.   

« Il est beaucoup plus facile de tromper les gens que de les convaincre qu'ils ont été bernés », comme le rappel avec justesse Tristan Harris, expert sur la façon dont la technologie détourne nos vulnérabilités et nos biais psychologiques, en introduction de l’un de ses billets d’humeur sur le site « Thrive Global ». Les visées intrusives de Facebook avaient d’ailleurs déjà soulevé ici et là, de très sérieux questionnements éthiques dans le giron des chercheurs spécialisés des universitaires américains. « L'équipe avait-elle poussé ses normes de recherche un peu trop loin, dépassant par là les critères énoncés par les lois fédérales et les déclarations sur les droits de la personne ? », s’était en outre interrogés certains commentateurs autorisés. « Si vous exposez les gens à quelque chose qui provoque des changements dans leur état psychologique, c'est une expérimentation », expliquait à l’époque des faits James Grimmelmann, professeur de technologie et de droit à l'Université du Maryland. Et « C'est le genre de chose qui nécessiterait un consentement éclairé », avait-il ajouté de surcroit. Mais à l’époque des faits, l’expérience menée « était conforme à la politique d'utilisation des données de Facebook, à laquelle tous les utilisateurs doivent se soumettre avant de créer leur compte Facebook, constituant un consentement éclairé pour cette recherche ». Car il était fait état d’une vague mention de « recherche », rédigée en très petits caractères dans les conditions d’utilisation des services qu’offre gratuitement la plateforme, que l'on accepte de faite en s'abonnant à Facebook. Dès lors, chacun devait être bien conscient que les comptes utilisateurs Facebook, pouvaient être à tout moment le sujet d’expérience de psychologie cognitive, menée impunément par les meilleurs spécialistes en sciences comportementales de la planète. Et ceci, en toute discrétion, bien entendu… Ce n'est évidemment pas ainsi que la plupart des chercheurs en sciences sociales définissent et envisagent exactement ce que recoupe la notion de « consentement éclairé ».

Dernièrement, c’est l’ancien président Barak Obama en personne qui a haussé le ton en sortant de sa réserve vendredi dernier pour dénoncer en « off » – et en marge des conférences sur le sport à l'université du MIT (Massachusetts Institute of Technology) – les méfaits insidieux que causent les célèbres plateformes Facebook et Google. Celles-là même qui « façonnent notre culture de façon puissante », selon ses propos réprobateurs. Barak Obama semble désormais foncièrement douter de l'avenir de la démocratie en Amérique, dans le contexte politique actuel, perclus d’actions insidieuses à travers la diffusion de fausses informations parasites et de nouvelles bidonnées. Les fameuses fake news soutenues par une ingénierie technologique particulièrement permissive et performante, visant prioritairement à « sidérer » les émotions, et à « capter » toujours plus nos attentions d’utilisateurs à des fins mercantiles pour l’essentiel. Au demeurant, l'ancien président américain a ainsi demandé solennellement aux géants de la Tech qu’il avait grandement contribué à soutenir durant ses deux mandats électifs, de prendre enfin leurs responsabilités à bras le corps eu égard pour les effets pernicieux de leur technologie sur le tissu social. Vœu pieu ? Loin d’être le seul protestataire, des employés ont commencé à s’inquiéter comme Barak Obama des usages dévoyés et des pratiques délétères des GAFAs. À l’image de l’ancien philosophe produit chez Google, Tristan Harris comme le rapporte dans un article, la journaliste Déborah Loye. Celui-ci a d’ailleurs publié, en mai 2016, une tribune expliquant que les plateformes nous manipulaient en « utilisant nos vulnérabilités psychologiques » pour « prendre notre attention en otage ». Début février, Tristan Harris a également lancé le collectif « Center for Humane Technology » avec pour objectif immédiat de sensibiliser la population à ce problème. « Notamment à travers une campagne d’affichage dans 55.000 écoles américaines, financées à hauteur de 7 millions de dollars. Le collectif prévoit en outre des campagnes de lobbying « contre les addictions à la technologie ». Et ses membres savent à quoi ils s’attaquent, puisque selon le New York Times, Tristan Harris a été rejoint par plusieurs « repentis » de la tech comme Sandy Parakilas, un ancien « operations manager » de Facebook ; Lynn Fox, ex-directrice de la communication chez Twitter, passée par Google et Apple ; Dave Morin, un ancien directeur de Facebook ; ou encore Justin Rosenstein, créateur du bouton « like » sur Facebook. »

Du meilleur des mondes, à la théorie du « coup de coude ».

La dernière mode en date dans les affaires est peut-être cette nouvelle popularité qu’a récemment acquise l'économie comportementale (BE). Une discipline qui considère d’ores et déjà possible d'expliquer les modalités de nos choix douteux ou irrationnels, afin d’en contrecarrer les effets pernicieux. Le tout ayant pour vocation de nous suggérer la prise de décisions optimales, mais « en dépit de notre plein gré » au demeurant. Et ceci, en vertu de la détection préalable de nos schémas mentaux d’anticipation, à travers l’application des préceptes du « Nudge marketing ». Une technologie qui exploite sans conteste les faiblesses de nos esprits trop humains diront certains. Une approche délétère issue en droite ligne de la « Behavioral Economics », visant à changer efficacement les comportements individuels et collectifs, en activant « les bons leviers » qui inciteront chaque individu à agir prétendument dans le sens de ses intérêts bien compris. En réalité, ceux attendus et guidés par les marketeurs, les publicitaires, les décideurs politiques et autres dirigeants d’institutions publiques, à l’image des services de la prévention routière ou ceux des services fiscaux. Autrement dit, d’induire des comportements sociaux « bénéfiques » ou prétendus tels, par un effet « coup de coude » : ‘Nudge’ en Anglais. Le tout visant à faire de nous de meilleurs consommateurs et de meilleurs citoyens, dans le meilleur des mondes possibles. Vaste programme.

Des méthodes d’essence discrètes à n’en pas douter, mais en capacité bien réelle de provoquer des changements majeurs dans nos comportements décisionnels. Et tout cela, sous le seuil de nos consciences individuelles bien entendu. Certains y voient le dévoiement de la psychologie et de son immanquable destin qui serait précisément d’être une science des conduites ; et de la modification des conduites ; au demeurant offerte à tous les projets de gouvernementalité, en tant qu’eux-mêmes sont des entreprises « de conduite des conduites ». Rappelons pour la petite histoire que Richard H. Thaler, un économiste américain de renom à l'Université de Chicago ; coauteur par ailleurs avec Cass R. Sunstein du livre « Nudge, la méthode pour inspirer la bonne décision » ; et connu surtout comme théoricien de la finance comportementale, vient très récemment de recevoir le prix Nobel de l'Académie de Stockholm pour avoir découvert cela. En conséquence de quoi les cabinets de conseil et d’expertises avisées qui ne cessent d’éclore un peu partout, répondent pour la plupart aux doux noms évocateurs de « Corporate Psychology and Mental Fitness » ou bien « Neuroleadership Institute », et excellent dans les domaines du « Decision making and problem solving », de la « Collaborating with others », du « Facilitating change ». On le constate ici, les nouveaux maîtres de la Behavioral Economics (BE) ; plus encore sous sa forme « neuro » ; se reconvertissent à grande vitesse en gourous du management des perceptions. Mouvement qui, comme on le sait, ne date pas d’hier mais s’effectue désormais avec de nouveaux moyens de façonnages que revendiquent haut et fort les spécialistes ayant réalisé l’alliance des champs de la neuropsychologie et de l’économie comportementale. Demain toujours et encore des cerveaux, et rien que des cerveaux disponibles ? Rien n’est moins sur en définitive.

Pour clore ce chapitre, laissons peut-être le mot de la fin au très cinglant Frédéric Lordon : « La Neuro-psycho-économie comportementale telle qu’on la voit se mettre au service de tous les projets de manipulation, de normalisation et d’instrumentalisation interroge. Car là où la théorie néoclassique ne s’amusait qu’avec les politiques macroéconomiques, la neuro-Behavioral Economie, science de l’homme unique et définitive, aura nécessairement pour destination de s’en prendre à l’homme. Conformément au projet néolibéral de refabrication des subjectivités, la ‘BE’ servira de corpus scientifique à toutes les entreprises de manipulation des émotions et de conditionnement psychique subordonnées à la valorisation du capital. Pour ceux qui seraient tentés de croire qu’il n’y a là que vaticination plus ou moins fumeuse, je signale que le programme est déjà à l’œuvre : la neuroéconomie envahit les salles de marchés, façonne les nouveaux procédés du marketing, des grandes entreprises telles que BT et Rolls&Royce ont déjà introduit des « programmes de santé mentale ».

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